RENCONTRE DU JEUDI 10 MARS 2010
invité : Me. DANIELE KARNIEWICZ
Danièle KARNIEWICZ est l'incontournable secrétaire nationale de la CFE-CGC qui préside depuis de nombreuses années la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Viellesse de la Sécurité Sociale).
Qui mieux qu'elle pouvait nous entretenir du grave problème des retraites, bien connue depuis des décennies, dont le décor a été planté dans le livre blanc de la commission Rocard en 1990, et par le travail et les propositions du COR, mais dont aucun gouvernement n'a voulu ou pu jusqu'à ce jour prendre les mesures nécessaire pour amener lessolutions indispensables.

INTERVENTION DE DANIELE KARNIEWICZ

La feuille de route est claire et c'est déjà bien.

Pour commencer par quelques éléments de la problématique, pour ceux à qui cela aurait échappé.
Il y a un problème de financement et une contrainte démographique.
Deux facteurs expliquent cela :
- D'une part le papy boom, avec 700 000 à 750 000 départs par an
- D'autre part l'espérance de vie qui augmente de façon importante et ceux qui prennent leur retraite ont la chance d'en profiter plus longtemps.

- Une troisième contrainte est le ratio démographique (rapport entre le nombre de personne qui cotisent et le nombre de personne qui travaillent effectivement) : ce rapport se dégrade).
La pression se fait par les deux bouts : le début d'activité et la fin d'activité, les jeunes entrent plus tard (7 trimestres de cotisation en moins qu'auparavant) et ceux qui sortent en fin de période sortent beaucoup plus tôt également, soit un poids plus lourd sur les actifs.


Ordre de grandeur des déficits : la CNAV entre dans un déficit de l'ordre de 10 Mds par an et AGIRC + ARCO prennent sur les réserves pour payer les retraites.

La dernière projection de 2007 du COR (Comité d'Orientation des retraites) donne un déficit prévisible de 70 Mds par an à l'horizon de 2050.

Il est vrai que si les facteurs d'activité, comme l'emploi, progressaient, cela arrangerait les choses, néanmoins par rapport à la démographie, cela ne sera pas suffisant, les flux démographiques évoluant, dans 20 ou 30 ans cela s'inversera probablement, il faut seulement tenir (voir un peu moins maintenant depuis le temps que l'on dit 20 à 30 ans).

Par rapport à cela et en schématisant :

- Une grande réflexion sur un éventuel changement de retraite à été demandée par le Parlement avec comme sujet : "Examiner techniquement le passage d'un régime en répartition comme aujourd'hui, vers un passage par points, ou en tranche notionnelle.

- Dans le premier régime on a un système qui paye au temps T ceux qui sont en retraite au même moment : système fantastique de solidarité entre les générations (créé dans l'après guerre) où les actifs payent la retraite de ceux qui sont en retraite aujourd'hui.

- Certains disent qu'il faut remettre à plat ce régime, qu'il faudrait regrouper les régimes, AGIC/ARCO etc. voir réinventer un autre régime ou se caler sur ce qui se fait dans d'autres pays comme la Suède (mais la Suède n'est pas forcément le modèle pour les retraites)

- Délibérément je ne veux pas en parler, car aujourd'hui c'est une commande folle qui peut avoir un intérêt dans 5 à 10 ans, car cela pourra permettre de répondre à plus de choses, notamment plus d'égalité de traitement entre les français (public / privé/ régimes spéciaux / régimes des parlementaires) mais un changement de système pourrait répondre à cela. Si on se fixe des objectifs cela pourrait répondre à plus de solidarité, mais aujourd'hui il faut connaître les lignes de la solidarité, mal connue par les français, ensuite on pourra se dire est ce que c'est cela que l'on veut, ou autre chose. Les comptes notionnels, ne règleront pas cela non plus.

La question principale est le financement et il est faux de dire qu'un autre système apporterait quelque chose de nouveau.
La CGC propose pour plus tard un mode assis sur plus que la masse salariale, par exemple une cotisation sur la consommation, mais cela ne se fera pas tout de suite par un changement de système. Consacrons-nous sur l'essentiel. L'espérance de vie augmente, expliquons aux salariés qu'il y a un problème.


Dans le mode actuel de fonctionnement : il y a trois leviers
1- Le niveau des retraites par rapport au dernier salaire (le taux de remplacement)
2- La cotisation (taux de cotisation, ou l'assiette, ou la base)
3- La durée d'activité

Je dis souvent que poser la question aux français "êtes vous d'accord pour travailler plus longtemps" est une mauvaise question, la vraie question est de dire : avec quel niveau de vie voulez-vous vivre votre retraite ? Dans un contexte qui évolue, il y a des aspects de fragilité qui arrivent (à 80 ans on ne va pas reprendre un travail).

Après c'est facile,
- soit on veut un niveau de vie correct, avec des personnes âgées qui pourront s'assumer toutes seules
- ou alors on s'en fiche et on laisse les choses se passer et s'agrandir le déficit et il faudra que toute la collectivité fasse des efforts. (NDLR : Laisser l'ardoise à nos enfants)

Objectif de niveau de vie à la retraite : on doit parler bien sûr du niveau de la pension par rapport au salaire (sans inclure les autres niveaux de vie, le patrimoine) on doit raisonner en disant : du jour au lendemain je pars en retraite, quels sont mes nouveaux revenus, avec combien vais-je vivre.

Pour nous la retraite doit être un salaire différé : il faut juste le définir, et pas sur une moyenne
(la moyenne actuelle est à 70%, mais certains partent à 85 ou 90%, d'autre à 30% du salaire d'activité). La revendication de la CGC est de définir un taux de remplacement minimal pour chacun des salariés du privé, dire qu'il y a un % en dessous duquel on ne peut pas aller. En fonction de cela on pourra définir l'effort à fournir collectivement pour l'obtenir.

- Pour cela, il reste deux leviers :
1- Le Levier des cotisations (employeur et salarié), avec la possibilité d'avoir une marge de manœuvre pour que les employeurs fassent quelque chose, mettre un peu plus sur la retraite, du côté des salariés ils auraient sans doute intérêt à mieux cotiser, plutôt qu'à se disperser.
Augmenter la durée des cotisations retraites, de 3 ou 4 ans puis mieux redistribuer.

On peut aussi penser avoir un basculement de l'assurance chômage vers les retraites.

Mais avec la crise cela a été arrêté, on pourra se reposer la question dans 3 ou 4 ans.


Elargir l'assiette de financement :

- il faut réinventer une autre assiette, une assiette plus socialisée maladie et famille, afin de dégager des dépenses plus socialisées, des cotisations pour les salariés plus fortes peut être.
Faire la chasse aux niches sociales : La Cour des Comptes les a repérées, mais cela ne rapportera pas suffisamment en bout de course, il y a des choses symboliques dans le Rapport de la Cour des Comptes (Comme les Stock options, mais aussi les tickets restaurant), au total cela n'ira pas chercher très loin en face des besoins.
Il y aussi l'épargne salariale,….

Nais on ne peut pas tout demander et son contraire, il faut être cohérent.

Dernier levier : celui de la durée d'activité
Je ne revendique pas que la durée du privé soit allongée, néanmoins si on veut équilibrer les forces, à la CFE CGC on est plutôt ouvert à l'allongement de la durée, la CFE-CGC est très originale par rapport aux autres syndicats. Aujourd'hui pour obtenir une retraite à taux plein, deux facteurs sont à obtenir :
Actuellement, 60 ans comme âge légal et un certain nombre d'annuités : 40 aujourd'hui avec une évolution vers 41 annuités en 2012.
On pourrait jouer sur les deux facteurs :
- on garde 60 ans comme âge pivot de la retraite, mais on allonge les annuités, 41, 42, 43.
- ou alors on peut aussi dire que si on a 40 ou 41 annuités, cela va c'est suffisant, on bloque le nombre d'annuités, et ensuite on joue sur l'âge légal de départ à la retraite et on peut dire c'est à 61, 62 ans que l'on part.
Cela pourrait être aussi un cocktail des deux. Certains ne veulent rien changer, d'autres parlent de la taxation du capital.

- La CFE-CGC préconise de retenir comme choix l'âge de la retraite. Pourquoi : pour une raison fondamentale, au niveau des principes qui est de dire que ceux qui demande les annuités opposent des parcours de vie professionnelle en disant il faut faire partir plus tôt ceux qui ont commencé plus tôt. Sur l'instant cela parait plus juste, mais c'est quoi la justice, c'est quoi travailler? travailler en apprentissage à 16 ans ou faire un cursus d'études techniques. Est-ce qu'il y a plus de travail pour celui qui est en apprentissage, ou plus de travail pour celui qui prépare un enseignement technique, ils ont travaillé pareil.
Apprentissage à 17 ans, étude d'ingénieurs ou de médecins tous produisent également de la richesse : les deux se respectent, et il ne faut pas opposer les parcours, l'âge a le mérite d'être identique pour tous.


- A la CFE-CGC on revendique de travailler plus sur l'âge de départ en retraite que sur la durée.
L'âge de 60 ans est de plus en plus virtuel, les gens partent plus tard. Les femmes sont pénalisées par la durée, ceci pénalise juste plus de la moitié de la population, l'âge moyen de préparation du dossier retraite départ est de 61 ans, par le fait des femmes qui font la sortie à 65 ans, âge où l'on a la retraite pleine. Ce sont les femmes qui font monter l'âge de départ en retraite car elles n'ont pas toutes leurs annuités.
Il faudra qu'il y ait une progressivité, parler d'afficher quelque chose à faire pour les 20 ans à venir et pas pour ceux qui seront à 2 ou 3 ans de la retraite, il faut faire quelque chose à plus long terme, quitte à y aller progressivement.


Le travail a un impact sur la santé de l'individu.

La pénibilité est un vrai débat, le problème, c'est le type de travail qui compte ; parler d'allongement de la durée d'activité, cela veut dire qu'il faut parler de la vraie pénibilité (ceux qui sont usés) la vraie pénibilité physique, psychologique aussi pour ceux de demain.
La pénibilité ne doit pas être du systématisme, parce que j'ai passé dans un poste dit pénible je vais partir plus tôt.

La CGC dit qu'il faut faire à un moment donné un bilan de santé, ce n'est pas parce que j'ai passé tant d'années dans un métier pénible que je dois partir plus tôt, il faut faire un bilan de santé : suis-je apte à poursuivre mon métier, si c'est non il faut arrêter ce travail, puis je trouver un autre travail moins pénible, si les gens ne peuvent plus continuer à travailler, ce n'est pas la retraite qui doit financer. Cela doit être financé par la collectivité des entreprises.

- Comment se passe la négociation ?
Pour la CNAV, qui est le socle des salariés du privé, ce sont les parlementaires qui décident, par un texte de loi. Cela doit commencer (par hasard) après les élections régionales. En avril les bilatérales vont commencer afin de construire un consensus.
Le Sénat et l'Assemblée nationale auditionnent les partenaires sociaux, par un projet de loi d'ici septembre. Les commissions auditionnent les syndicats de façon à remettre un projet de loi pendant l'été ou à la rentrée.

En orientation ce sera surement l'allongement de la durée d'activité la vraie question : est-ce que l'on affichera un changement de l'âge légal de la retraite, ou est-ce que l'on parlera d'autres solutions de progression comme les annuités, ou est-ce que ce sera un peu des deux.

Fin 2010 il y aura également le changement des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO entre les partenaires sociaux et les employeurs.
Nous aurons un beau match très agréable et très tonique … à négocier avant la fin de l'année. (L'accord actuel renégocié fin 2010 au plus tard entre les partenaires sociaux et les employeurs)

La dernière fois, avec le précédent accord, il y a eu des heurts sur l'allongement de la durée d'activité, les employeurs ne seront pas d'accord cette fois-ci pour renouveler à l'identique.

Pour l'AGIRC et l'ARRCO l'âge de départ actuel est 65 ans, on permet quand même de partir à 60 ans en renégociant à chaque fois le financement entre l'âge de 60 ans pour la période 60/65.

- AGIRC ARRCO, les conditions de départ
Il y aura aussi à redéfinir les dépenses qui entrent dans l'AGIRC et l'ARRCO : les éléments familiaux,
la prise en compte des enfants pris en compte pour le calcul de la retraite, période de retraite et âge de retraite.

Certains sont prêt à fusionner les caisses AGIRC et ARRCO, pas la CFE-CGC car ce serait pour faire encore plus de redistribution et il y en a déjà beaucoup eu et même beaucoup trop.
On peut défendre la solidarité dans le pays mais il y a une ligne rouge à ne pas franchir quand les fonds sont rares en période de crise : on peut redistribuer en prenant plus aux classes moyennes, pour donner aux plus démunis, mais il y a aussi la volonté d'aller attaquer le statut cadre (un peu lutte des classes qui existe encore beaucoup dans le pays).


- Position CGC sur l'AGIRC et l'ARRCO
J'ai proposé de continuer à séparer l'AGIRC et l'ARRCO, mais de financer l'AGIRC au premier euro, cela veut dire :
Aujourd'hui il y a le plafond de la SS, tous cotisent à l'ARRCO (cadres et non cadres) et les cadres cotisent à l'AGIRC.

Je pense qu'il faut que l'AGIRC récupère toute sa marge de manœuvre de cotisation, cela a un coût, cela se négocie, cela s'appelle une soulte. Il y a des gens qui ont cotisé toute leur vie à l'ARRCO, ils vont avoir une retraite versée par l'ARRCO.

Cela donnera une marge de manœuvre à l'AGIRC de façon à éviter de lire des bêtises, il faut arrêter ce que mettent certains journaux : ce n'est pas la retraite de la femme de ménage qui finance la retraite des cadres, c'est le contraire qui se passe. Les éléments de solidarité dans le pays montrent que ce sont les classes moyennes qui financent.
Il ne faut pas trop chercher les cadres. Ceux qui peuvent en parler le mieux de la solidarité c'est ceux qui la fournissent : c'est à dire nous les cadres.

¢ En résumé présenter l'AGIRC où les gens cotisent au 1er euro et plus à l'ARRCO ce serait mieux
Nécessité de trouver des alliés : il y a 10 ans la CGT aurait aidé, car elle est respectueuse de la hiérarchie. La CFDT ne se privera pas de vouloir tuer l'AGIRC, la CFTC non plus.
FO très présent à l'ARRCO, pour des raisons de champs de responsabilité, ils auraient peur que le fait de séparer fragilise l'ARRCO.

Il reste les employeurs qui pourraient aider, mais ce n'est pas gagné; sauf à mettre d'autres éléments dans la négociation, les employeurs une chose les fait bouger : c'est de développer des socles de retraites supplémentaires.
Je n'ai jamais dit oui, il faut d'abord avoir une garantie sur les mécanismes actuels l
Je reviens à mon taux de remplacement : si on est capable de définir un socle collectif en deçà duquel on ne descendra pas (60%?) avec la CNAV, l'AGIRC et l'ARRCO; après au delà bien sûr on sera prêt à réfléchir à d'autres mécanismes sur une méthode collective mais il faut d'abord définir le socle.
Le fonds de réserve des retraites c'est cela, sous condition d'avoir défini le socle.
Il ne faut pas faire comme dans certains autres pays qui ne définissent rien et mettent des piliers dans tous les sens pour faire baisser le socle par répartition et en inventer d'autres à mettre en place et ça c'est non.

- Au travers de la projection en Europe de l'OCDE, le Taux de remplacement n'est pas beau, , l'évolution dans les 20 ans se dégrade beaucoup; certains disent : mais les retraites en niveau augmentent quand même. Ce qui baisse c'est le niveau de retraite par rapport au dernier salaire d'activité et ce n'est pas acceptable.

- Cela commence déjà dans les Pays de l'Est : il se prépare une génération entière de gens âgés pauvres qui n'auront que 20% du dernier niveau d'activité, et il faudra bien alors prévoir une aide sociale comme il y avait eu après-guerre et que l'on a réussi à tuer.

Ne pas opposer les niveaux de générations :
Les plus pauvres actuellement sont les jeunes, mais est-ce une raison pour appauvrir les retraités : la réponse est non. Il y a une répartition ensuite dans les familles. Il faut faire attention à construire une société digne entre toutes les générations.
Il y a des vies de famille difficiles c'est vrai.
Débat de société : comment veut on traiter les personnes âgées ? C'est un élément de dignité tout simplement.

Je suis également contre le fait de faire payer plein pot les assurances maladies avec des mutuelles aux plus âgés qui ont financé toute leur vie, et d'inventer des systèmes privés.
Un cercle de solidarité doit exister envers tous et particulièrement en faveur des personnes âgées.



HB