RENCONTRE DU JEUDI 10 DECEMBRE 2009
invité : M PIERRE-ANDRE DE CHALENDAR
DIRECTEUR GENERAL DU GROUPE SAINT GOBAIN

Monsieur De Chalendar (accompagné de M Dominique Azam Directeur des affaires sociales du groupe SAINT GOBAIN) nous a fait l'honneur d'accepter notre invitation alors qu'il est juste de retour ce matin d'un voyage au Brésil.

INTERVENTION DE M PIERRE-ANDRE DE CHALENDAR


Saint Gobain, la plus ancienne entreprise française (fondée en 1665) a beaucoup changé par rapport aux années 60.
40 milliards d'€ de chiffre d'affaires, de l'ordre de 200 000 personnes et des implantations industrielles dans une soixantaine de pays.
La France représente un peu moins de 30% de notre activité si l'on compte la distribution (Point P, Lapeyre etc…) et de l'ordre de 20% de notre activité industrielle.

La situation du groupe aujourd'hui :

Nous avons connu les conséquences directes de la crise actuelle avec une baisse des volumes de ventes du premier semestre de l'ordre de 17% dans tous nos métiers et presque dans tous les pays. Seuls pays à échapper à cette crise : l'Inde et la Suisse.
Il a donc fallu s'adapter et ce le plus rapidement possible, en tenant compte des spécificités locales (législations, habitudes et modes de gestion différentes etc…) et en recherchant des positions fortes de leader pour mieux tenir les prix, à générer de la trésorerie avec une augmentation de capital qui nous a permis de revenir sur les marchés financiers, et un resserrement du fonds de roulement et des investissements tout en préservant l'outil.
Cette mise à la diète momentanée n'a d'ailleurs pas que des inconvénients, car elle peut permettre de se repositionner avec des bases plus solides. Par contre, la R & D et la formation n'ont pas été affectées. Dans toute crise, les plus forts sont aussi ceux qui résistent le mieux.
Le manque de flexibilité tant décrié par certains, n'a pas que des inconvénients. Par exemple, le système de chômage partiel existant en Allemagne et en France a permis de conserver les compétences.
Mais si le second semestre a vu une progression par rapport au premier, c'est parce qu'on s'est adapté, et non parce que l'économie va mieux, car si les pays émergeants d'Amérique du Sud ou d'Asie sont repartis très fort, ce n'est pas encore le cas ni de l'Europe ni des USA.


La stratégie du groupe :

Ces 20 dernières années, Saint Gobain a évolué vers des métiers régionaux plutôt que des métiers mondiaux, c'est-à-dire produire dans un pays ce qui est vendu dans ce pays (soit du fait des coûts de transports élevé de ces produits, soit du rayon d'action de l'unité pour les services de commerce tels que Point P). Notre activité s'est concentrée sur les métiers de la construction et de l'habitat qui représentent près de 80% des activités du groupe.
Nous avons deux axes de développement :

- Une plus forte croissance dans les pays émergeants.
La crise ne fait que conforter notre choix, car le différentiel de croissance ne fera que s'accroitre entre pays émergeants et pays développés dans les années qui viennent.

- les économies d'énergie et la protection de l'environnement,
40% de l'énergie dépensée en Europe est dans l'habitat, et 30% va au chauffage. Les bâtiments " basse consommation " fabriqués aujourd'hui consomment 6 fois moins que la majorité du parc. Si l'on ajoute un peu d'énergie solaire sur les toits, on diminue encore les besoins d'énergie fossile pour se chauffer.
Quelle que soit le résultat de la réunion de Copenhague, les économies d'énergie deviennent un passage obligatoire, et les activités de Saint Gobain sont essentiellement dans ce secteur, ce qui ne fait que conforter nos choix stratégiques.

Les valeurs du groupe :

Du fait de l'histoire de notre groupe, nous avons une culture d'entreprise très forte, et le principe de prendre nos décisions stratégiques sur un temps long.
Nous avons mis par écrit nos " principes de comportement et d'action ", qui prennent en compte le respect des personnes, l'engagement, et une tradition très forte de dialogue social.

 


QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Le pouvoir va de pair avec une " solitude " due à l'effet de cour qui souvent empêche les vraies informations de remonter jusqu'au chef. Le syndicalisme et le dialogue social ne peuvent-il pas être un moyen pour palier à cet isolement ?
R : Je préside personnellement le comité de groupe de Saint Gobain, dans lequel les discussions peuvent amener des évolutions de décisions de la direction, du fait d'informations qui n'étaient pas remontées autrement. Les problèmes qui me remontent à l'occasion des comités de groupe concernant des filiales, ne sont généralement pas étrangers à d'autres problèmes qu'il faut traiter. Il y a souvent une corrélation entre le dialogue social, l'ambiance et la sécurité dans les usines, et les performances économiques.

Q : Que pensez vous des cumuls au niveau des conseils d'administration et des directions des grandes entreprises ? (Voir le problème posé par la nomination de M Proglio à la tête de l'EDF)
R : Je suis aussi administrateur de Veolia, et il est important que la succession de M Proglio (Il est Président non exécutif de Veolia ; le pouvoir est juridiquement dans les mains du directeur général) ne soit pas brutale. Pourra t il continuer longtemps compte tenu de ses nouvelles charges à EDF ?

Q : Les délocalisations industrielles vers les pays à bas coût de main d'œuvre sont-elle inéluctables et une cause de la décroissance de nos économies ?
R : A Saint Gobain, on ne délocalise pas puisqu'on produit ce qui est vendu sur place. La croissance des pays émergeants vient d'abord du fait que les habitants ont envie d'améliorer leur niveau de vie en même temps qu'une démographie importante, et dans le cas particulier de la Chine un taux de change anormal. Je pense au contraire que ce sont les pays développés qui ont le plus à craindre d'un arrêt de la mondialisation. Par contre, l'existence d'une industrie forte est fondamentale, ne serait ce que parce-que les services sont fondamentalement liés à l'industrie, d'où l'importance de la R & D et de la formation.

Q : Comment abordez vous la question de l'emploi des séniors à Saint Gobain ?
R : Un accord global au niveau du groupe a été signé l'an dernier dans le cadre de la GPEC, qui se décline dans les filiales soit sous forme d'accord, soit sous forme de plan d'action. Il faut tout de même voir qu'il s'agit d'une sorte de schizophrénie, car pour l'entreprise, il est important de conserver des compétences (on a connu des cas où il a fallu faire revenir des retraités pour leurs compétences). D'autre part, en cas de besoins de réduction d'effectifs, on observe la demande de mesures d'âge de la part des partenaires sociaux, et du côté des salariés, on peut rencontrer des volontaires pour le départ, comme des volontaires pour continuer. Il ne peut y avoir que des solutions sur mesure tout en préservant l'avenir à moyen terme.

Q : Que penser de la pratique de distribution d'actions gratuites pour les salariés ?
R : Le CA a décidé cette année la distribution de 7 actions gratuites à tous les salariés dans l'ensemble du groupe. C'est un moyen de reconnaissance vis-à-vis des salariés dans un moment difficile, mais aussi un volet éducatif, et un moyen d'encourager l'actionnariat salarié. L'actionnariat salarié représente actuellement un peu plus de 7% et en France plus de 80% des 50000 salariés du groupe sont actionnaires. L'idée est d'aller au-delà et de l'étendre dans d'autres pays.

Q : Comment appréhendez vous le fait syndical dans Saint Gobain ?
R : C'est un élément majeur de la vie de l'entreprise, même s'il peut y avoir des difficultés par moment. Savoir en faire quelque chose d'utile et d'important pour progresser, même si ce peut être difficile, est une marque importante de compétences de la part des dirigeants d'entreprises. Mais cela dépend aussi des personnes concernées, tant dirigeants que syndicalistes.

Q : Comment sont considérés les cadres et leur évolution ces derniers temps ?
R : Ce sont les salariés dont la relation à l'entreprise a été le plus perturbée ces 20 dernières années. Il en est résulté une diminution de l'attachement à l'entreprise. On est dans un monde dont l'évolution s'est accélérée, le changement et la mobilité deviennent une nécessité vitale, même si tous les secteurs n'ont pas la même vitesse d'évolution.

Q : Un cadre ayant des responsabilités dans une entreprise, à qui l'on demande dévouement et résultats, pris à plein temps par son travail, peut-il être aussi syndicaliste vis-à-vis de sa direction ?
R : C'est une question difficile. Les cadres qui accèdent à des fonctions syndicales importantes ne peuvent pas faire leur travail de la même manière que les autres.
Il est évident que lorsque l'activité syndicale dépasse des horaires hebdomadaires, et qu'il faut faire le travail " normal " dans l'entreprise, les limites physiques sont vite atteintes. L'accord sur le droit syndical dans une entreprise permet un certain nombre de choses au niveau des directions générales, mais son application devient plus problématique au niveau des responsabilités opérationnelles. (VOIR LE TEMOIGNAGE EN FIN DE C R)

Q : Le plan de croissance européen mis en cours génère t il de la croissance pour Saint Gobain ?
R : Oui, mais dans notre domaine de la construction, le délai entre la décision et la mise en œuvre (surtout dans la sphère publique) est plus long. Par exemple, la décision dans le cadre du " Grenelle de l'environnement " de la rénovation énergétique des bâtiments publics mettra entre un an à 2 ans avant la réalisation.

Q : Est-il normal qu'un cadre dont l'activité professionnelle est appréciée voit ses perspectives barrées du fait de son engagement syndical ?
R : Un engagement dans une activité syndicale, associative ou élective est une preuve de qualités personnelles. Le syndicalisme comme les activités associatives ou électives peut développer des compétences très utiles dans une entreprise, et elle a tout intérêt à en tenir compte dans l'évolution professionnelle des intéressés. Par contre, il faut admettre que la hiérarchie directe le comprend plus difficilement. Le suivi du problème par les directions générales est essentiel.

Q : Avez-vous mis en place un tutorat de transfert de compétences par les seniors pour les plus jeunes ?
R : Il faut aussi que les séniors aient envie d'aider ceux qui doivent les remplacer et cela peut s'avérer psychologiquement difficile.

Q : Avez-vous pratiqué le changement de localisation dans le but d'économies ou pour provoquer des départs de personnel ?
R : Nous n'en avons pas l'intention. Toutefois, le problème pourrait se poser car notre bâtiment de La Défense n'est plus aux normes, et il va falloir trouver une solution.

Q : Comment est répartie votre R & D dans votre groupe ?
R : Nous avons 4 centres de R & D transversaux, et des centres des métiers. 40 à 50% de la recherche est faite en France, ce qui est un pourcentage supérieur à la part de la France dans le CA du groupe. La mesure de " crédit d'impôts recherche " a été une occasion pour relocaliser de la recherche. La nationalité d'une entreprise se voit dans la localisation du siège social et de la R & D. Pour le reste, on va là où sont les marchés.

Q : Pourquoi dans notre négociation sur les séniors à Saint Gobain, la direction n'a pas retenu notre proposition d'utiliser le télétravail dans des cas de fin de carrière, et pouvez vous envisager des formules pour alléger la tâche de salariés dont la compétence pourrait encore être utile à l'entreprise ?
R : Je suis ouvert à des formules variées, et à la possibilité de pouvoir travailler jusqu'à 65 ans.

Q : Peut-on espérer revoir un administrateur salarié au CA du groupe Saint Gobain, comme cela était le cas après la privatisation ?
R : Il y a un administrateur représentant les actionnaires salariés mais aussi deux représentants du CCE qui assistent à tous les conseils. Mais je ne serais pas forcément contre. Par contre, je ne suis pas favorable à la cogestion à l'allemande. Chacun son métier.

Q : Quels sont les prochaines innovations que l'on peut attendre de Saint Gobain dans les années prochaines ?
R : Il y a énormément d'innovations dont la diffusion est proche. Dans la gamme des verres, nous avons les verres passifs (isolants thermiques ou acoustiques par exemple), mais aussi des vitrages actifs, tels que les verres à opacité commandée, des vitrages électro chromes, ou bientôt des panneaux de verres plans éclairants (OLED).
Nous préparons des panneaux capables d'absorber les composés volatils.
Nous travaillons également sur les piles à combustibles avec des matériaux céramiques pour l'habitat isolé.
Nous travaillons également sur l'énergie solaire, et nous fournissons 20% des vitres de protection des panneaux avec des verres à fort facteur de transmission. Nous venons de mettre en service une usine en Allemagne qui fabrique un nouveau type de panneaux photovoltaïques en couche mince sans silicium. Nous venons également de lancer une activité d'installation de toits solaires " clefs en main ". Il faut noter toutefois qu'à ce jour, ce type de matériel de production énergétique est encore tributaire des subventions et des politiques des états en 2008, 50% des installations solaires étaient installées en Allemagne, du fait de leur politique de subvention, pour l'équipement et pour le rachat de l'électricité produite). On peut espérer que ces procédés deviennent économiquement rentables d'ici une dizaine d'années. Cette activité sera probablement une des activités majeures de Saint Gobain dans les années à venir.

TEMOIGNAGE du délégué coordinateur CFE-CGC du groupe Saint Gobain :
Syndicaliste chez Saint Gobain depuis 25 ans, j'ai dû concilier cette activité avec mon activité professionnelle, mais lorsque l'activité syndicale dépasse les 80 heures par semaine et que l'on veuille aussi faire du travail " professionnel ", on atteint vite les possibilités physiologiques de l'individu. Il y a dans le groupe un accord sur le droit syndical qui permet un dialogue social, mais plus on descend dans la hiérarchie du groupe, plus la tache devient difficile, du fait des préoccupations plus proches des exigences de la rentabilité que du dialogue social. Le problème est au niveau de la reconnaissance de l'engagement syndical qui prend non seulement du temps pour les discussions, mais également l'acquisition d'une véritable culture juridique qui n'a fait que s'amplifier avec l'évolution actuelle du droit du travail. Notre rôle nous amène aussi parfois dans certaines entreprises à devoir compléter la formation de jeunes RH frais émoulus de l'université et bardés de diplômes, mais sans expérience du terrain.
On se trouve également confronté maintenant à une nouvelle génération de jeunes très ambitieux qui n'ont pas forcément la culture industrielle du groupe, et ont parfois des méthodes extrêmement brutales apprises dans les cours de management privilégiant la rentabilité immédiate à l'humain. Il en résulte un décalage entre les consignes basées sur analyses de marché et " indicateurs " simplistes et des décisions finalement contre productives des responsables d'usines, contraints qu'ils sont de suivre les consignes qu'ils reçoivent. On peut y voir une des causes de la démotivation des cadres âgés qui ne comprennent plus le fonctionnement de leur entreprise. Et ce n'est pas à Saint Gobain que l'on rencontre la pire des situations loin s'en faut.
En ce qui concerne le problème des séniors, on est partagé entre la problématique à court terme de faire partir les plus anciens pour laisser la place à des jeunes qui seraient sans emploi, et la GPEC qui doit mettre en place les moyens pour assurer la formation et assurer la possibilité de maintien dans l'emploi le plus longtemps possible.


HB