RENCONTRE DU 12 FEVRIER 2009
invités : MM. SAMMARCELLI ET BRUCKERT

Jean-Yves SAMMARCELLI est retraité de la Banque WORMS et a été conseiller prud'homal pendant 16 ans, président de la section encadrement et président d'audience. Il est actuellement conseiller juridique à l'UD 92.

Jacques BRUCKERT est nouvellement retraité d'ATOS-ORIGIN et entame son troisième mandat de Conseiller Prud'homal à Boulogne.

J Y S : Fonctionnement des Conseils de Prud'homme de Nanterre

Nanterre est le 3ème Conseil de Prud'hommes par importance pour l'ensemble des affaires et le 2ème pour l'encadrement.
Il a actuellement un stock de 6500 dossiers encadrement.
En 2008 on a traité environ 3000 affaires avec une audience encadrement pratiquement 4 jours sur 5 et nous avons eu 200 audiences de jugement (sans parler des conciliations).

Le nombre de conseillers encadrement a passé de 30 à 45, dont 13 pour la CGC, 12 CFDT et 7 pour la CGT.
Mais le nombre des greffiers n'a pas été augmenté à cause des restrictions budgétaires drastiques imposées par la Chancellerie. Nous réclamons en vain une augmentation du nombre de greffiers.
On cherche aussi à resserrer les dépenses concernant les conseillers qui bénéficient de deux systèmes de dédommagement
- les vacations, soit 7 € /heure environ en dehors des heures de travail
- les frais de déplacement pour se rendre aux conseils.
Ces dépenses sont de plus en plus contrôlées et contestées

Après délibération, le président doit rédiger le jugement, ce qui lui demande en moyenne 4 à 5 heures. La Chancellerie ne paie que 3 heures.
Il existe une demi-douzaine de formulaires pour justifier du temps de transport, de délibéré, de rédaction, de préparation des audiences, d'étude des dossiers, etc…

LES DELAIS :

Il faut en moyenne 15 mois entre dépôt de la requête et l'audience de jugement, + 2 à 3 mois de délibéré.
La conciliation c'est 8 à 9 mois entre le dépôt de la demande et la tenue cde l'audience.
S'il y a appel (qui est suspensif), la Cour de Versailles va être saisie et il faudra attendre 2 ans et pendant ce temps, l'entreprise n'a rien à payer sauf cas rare de décision d'exécution provisoire. Cela fait 4 ans.
La moitié des affaires vont en appel.
Les appels viennent surtout des employeurs. 80% des jugements sont confirmés par la cour d'appel.

Si lors du délibéré, les conseillers prud'homaux ne se mettent pas d'accord, il y a départage.
L'affaire est rejugée en 1ère instance avec un juge professionnel départiteur. Délai de départage : 9 mois.


En bref, le fonctionnement du Conseil de Prud'hommes de Nanterre n'est pas satisfaisant alors qu'il y a de plus en plus d'affaires.
Le secteur de La Défense dépendant de Nanterre.

NOTA : La loi de juin 2008 modifie la sortie d'un contrat de travail. C'est la rupture conventionnelle qui devrait limiter la jurisprudence prud'homale. On va voir comment cela va se passer. Le salarié dispose de 2 semaines pour se rétracter. Les inspections du travail devraient contresigner l'accord, mais leur accord peut être tacite, cela devrait éviter les transactions forcées ou l'habillage de transactions sous couvert d'une procédure de licenciement.

 

J B : La procédure prud'homale.


1ère étape : dépôt d'un dossier.

Cela se fait au greffe ou par lettre recommandée.
Si à Nanterre, il faut 9 mois avant la conciliation, à Boulogne c'est 2 mois, mais il faut attendre très longtemps entre conciliation et jugement.

2ème étape : L'audience de conciliation.
Il n'y a qu'un conseiller de chaque collège. On n'y fait pas de droit, mais on incite à la transaction.
Le taux de conciliation est de 5 à 10%. Les avocats n'ont pas intérêt à la conciliation.
Un conseil : si vous souhaitez réussir la conciliation, allez-y seul sans avocat. La conciliation a lieu à huis clos.
C'est à la conciliation qu'est fixée la date du jugement.
On peut aussi concilier après coup, jusqu'au jour du jugement. Celui qui vient alors pour concilier devient prioritaire et est entendu immédiatement.

3ème étape : L'audience de jugement.
A 9h le président fait l'appel, on enregistre les demandes de renvoi, puis on écoute les affaires l'une après l'autre.
Sur 12 affaires inscrites au rôle, il en reste une demi-douzaine.
On entend les 2 histoires totalement différentes concernant la même affaire.
On essaie de limiter la parole aux avocats, mais cela dépend du président d'audience.
(Je suis très direct et j'arrive à les tenir en 10-15 mn.)
Tout le monde peut assister aux audiences.
Chaque partie dispose de 10 à 15 mn, et on pose des questions s'il y a lieu.

Après l'audience, on va en délibéré et on rend le jugement au bout de 2 mois à Boulogne ou 3 mois à Nanterre.
Le délibéré consiste à vérifier si ce qui est dit est étayé par des pièces et à décider des condamnations. Souvent certaines affirmations ne sont démontrées par aucune pièce figurant dans le dossier.

Une fois qu'on a décidé du jugement, il faut le justifier et le rédiger.
On notera qu'à Boulogne règne une bonne entente entre les conseillers.

Le jugement est structuré :
- la demande du demandeur,
- les faits
- les dires du défendeur ( il faut des pièces)
- la décision de condamnation : de débouté, de condamnation partielle…

Le jugement est signé par le président et le greffier.
On se fait confiance et il n'y a jamais de trahison (changement dans la décision commune).
Dans le délibéré, on peut ne pas juger : si l'affaire n'est pas claire, on re-ouvre les débats pour avoir des éclaircissements complémentaires. On re-convoque dans les 2-3 mois.
Autre éventualité (assez rare) : la nomination de 2 conseillers rapporteurs, qui interviewent les parties. (Ex : calcul d'une commission). Souvent cela se termine par une transaction.

Dans 6 à 7% des cas on va en départage pour 3 types de motifs :
1° Une position qui relève de la doctrine, en particulier quand il s'agit de juger des syndicalistes.
2° Problème juridique difficile : ex : application du droit étranger : charia, droit anglais ou droit français…
3° Espoir d'une condamnation supérieure car Boulogne paie peu, rarement plus de 6 mois, alors que le juge départiteur est plus généreux.

L'avenir des prud'hommes :

C'est une exception française, avec les tribunaux de commerce dont Bruxelles voudrait bien la disparition.
Les avocats aussi préféreraient qu'on aille directement chez un magistrat professionnel.
Le MEDEF aime bien les prud'hommes qui leur font faire des économies, mais suggère des nominations plutôt que des élections, qui coûtent cher.

En dehors des jugements, il faut assurer l'Administration : travaux administratifs (présidence d'une section, répartition des tâches).
A Nanterre, où c'est important, on facture le temps passé.
A Boulogne, il n'y a pas de rémunération pour ce travail (Ailleurs, ne qualifierait-on pas ça de travail dissimulé ?).
Préparation des audiences : on avait droit à une demi-heure, plus maintenant.

Nota : Tom Kemp rappelle l'existence des juridictions de Sécurité sociale qui traite presqu'autant d'affaires que les Conseils de Prud'homme. Les assesseurs (qui sont désignés par les partenaires sociaux) y sont chapeautés par un magistrat. Mais ils ont le privilège de siéger aussi en cour d'appel.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Est-il exact qu'il n'y ait que 50% de greffiers présents ?
R : Quand une audience se prolonge tard le soir, le greffier récupère.

Q : Ne peut-on pas condamner l'Etat ?
R :
On peut aller à la Cour européenne, mais il faut prendre un avocat.

Q : Rôle de l'avocat pour aider le syndicaliste.
R : Aux prud'hommes, un DS peut défendre un salarié. L'avocat n'est pas nécessaire. On peut aussi se faire défendre par son conjoint, ses parents. On peut aussi se défendre soi-même.

Q : Un salarié est parfois muté dans une filiale de son entreprise. Peut-il saisir les prud'hommes ? Le contrat de travail est-il une base absolue, l'avenant refusé peut-il être mis en avant ?
R :
Pour refuser une mutation lorsqu'il y a une clause de mobilité dans le contrat de travail, il faut prouver l'intention de nuire à l'employé
Ce n'est pas un problème de prud'hommes. Vaut-il mieux être mis à la porte avec 6 mois de salaire ou être muté dans une filiale avec un boulot ? Les employeurs en abusent : le conseil de prud'hommes n'a pas le pouvoir, sauf cas exceptionnel, d'obliger à réintégrer le salarié.

Q : Est-ce que la filiale peut licencier le salarié muté qui n'a pas accepté le nouveau contrat ?
R :
Oui.

Q : Comment s'effectuent les répartitions entre les nouveaux élus tous les 5 ans ?
R : Chaque organisation syndicale récupère des présidences de section en fonction des résultats. Il y a une intersyndicale et on signe un accord.

Q : Dans le référé, il y a 2 juges et non 4 : cela signifie-t-il que compte tenu de l'urgence, il n'y a plus notion de collège ?
R :
Oui. Le référé n'examine pas le fond. On joue souvent le rôle d'assistante sociale.

Q : N'y a t il pas un fort taux d'appels abusifs?
R : En appel, il faut savoir que le plus souvent les condamnations sont aggravées.

Q : Clauses de mobilité et de non concurrence : est-ce spécifié dans les contrats, y a-t-il une jurisprudence ?
R :
Il est délicat de s'opposer à une mutation pour cause économique ou de réorganisation. Par mobilité, il faut entendre tous les établissements de l'entreprise en France existant lors de la signature du contrat. Une clause de non concurrence doit être limitée dans le temps (2 ans maxi), dans l'espace et doit être rémunérée. La clause de mobilité doit être nécessaire à l'entreprise.

Q : Il y a des réseaux de malveillants mis en place pour émettre des témoignages?
R : On n'a pas vu cela.