RENCONTRE DU 11 SEPTEMBRE 2008
invité : M Gino NECCHI.
Monsieur Gino NECCHI est venu 2 fois au groupement, en 1991 et en 2003.
Avocat Général auprès de la Cours d'Appel de Paris jusqu'à ces derniers temps,
il a désormais intégré le Contrôle Général des lieux de privation de liberté.

L'EVOLUTION DE LA JUSTICE

Aujourd'hui, la Justice est à un tournant, à l'image de toute notre société.

Quatre éléments déterminent ce changement.
- La judiciarisation :
- La médiatisation :
- La dimension internationale :
- La victime et les conséquences sur l'idée de la justice :

1- La judiciarisation :

C'est la multiplication des recours par des personnes à la justice.
Les repères classiques ont cédé, et l'individualisme croissant génère des conflits. Les recours se multiplient en droit administratif : tout projet public est soumis à un recours !
En droit pénal, la " tolérance zéro " formalise l'avertissement et le fait figurer au casier judiciaire.
Cet éclatement se double d'une multiplication de textes et d'une préférence des requérants pour le pénal (aidé par le nombre élevé des avocats : 2200 à Paris !).

Tout cadre, toute personne ayant des responsabilités peut être mise en cause. L'introduction du pénal partout par des requérants met en difficultés les élus, et plus encore les maires des petites communes, sans moyens correspondant à leurs responsabilités. Tous, nous devenons un peu cantonnés dans notre vie sociale.
Ces excès peuvent entraîner des difficultés dans l'approche des conflits.
La Justice devient un signe de tension, au lieu d'être un signe d'apaisement ; Il faudrait trouver des voies de conciliation.

2- La médiatisation :

En prenant l'exemple du procès des auteurs des attentats de 1995, on voit que certains journalistes ont fait un mélange entre les notions d'auteur et de complice. Or, il n'y a pas d'à-peu-près en droit pénal.
On se rend compte que les journalistes ont peut-être besoin d'être mieux formés. Mais, aussi, il leur faut vendre de l'information, et vite, pour intéresser le public ;
De plus, la confidentialité protège la vie privée de la personne poursuivie, comme celle de la victime.

3 - La dimension internationale :

Il existe une convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et une Cour européenne qui siège à Strasbourg. Elle ne peut pas mettre en cause un jugement national, mais elle condamne éventuellement l'Etat qui a rendu la décision. Ce peut être pour non respect des délais ; mais plus il y a de recours, plus les délais s'allongent !
En outre, le droit européen se développe. Jusqu'il y a 2 ans, seuls, les bandits n'avaient pas de frontières. Aujourd'hui, en cas d'infraction, la Justice et la police diffusent une recherche de personnes.
La mise en rétention est de la compétence des procureurs généraux. Un service à Nanterre diffuse dans toute la France. Le pays d'arrestation procède à un contrôle formel ; en France, la Cour d'Appel vérifie si le mandat européen s'applique à la personne arrêtée.

Il y a 15 ans, cela n'existait pas. Mon action était limitée au ressort de Nanterre. Aujourd'hui, les grands criminels ne sont plus préservés en passant la frontière. Mais, il en est de même pour des infractions plus mineures, comme les infractions au stationnement.

4 - La victime et les conséquences sur l'idée de la justice :

A l'origine, la justice est un pouvoir de l'Etat (fonction régalienne). Richelieu a joué un rôle très important, avec ses Gardes du Cardinal et l'interdiction du duel. La violence doit être un monopole d'Etat. Partout où ce monopole a disparu, les petites gens trinquent (exemple récent : le Kossovo).
Or, aujourd'hui, on met l'objectif sur la victime un peu partout. Avant, c'était le respect de l'ordre public qui primait. L'Etat décidait. Maintenant, la victime peut faire un recours contre la décision du procureur.
On assiste en même temps à un recul de l'autorité publique et à un traitement de toutes les affaires par le droit.

Nous sommes à un tournant du droit. Mon métier de magistrat est passionnant, mais je prends du recul en entrant dans mes nouvelles fonctions.

Nota : Cette évolution est non seulement une conséquence de l'évolution de la société, mais peut être aussi du résultat de l'évolution de la législation et du travail des représentants élus qui ont progressivement fait dériver vers le pénal des choses qui ne relevaient que du civil.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : FQ : L'approche judiciaire nécessite t elle d'être cartésien ?

R : Dans un dossier, il faut être très prudent, très logique et démontrer.
Il faut réfléchir à haute voix et respecter les gens poursuivis

Q : Comment vivez-vous le non-lieu ?
R :
Après le dépôt des réquisitions, mon dossier est terminé. Ensuite, les juges du siège décident. Je garde peu de souvenirs d'acquittements. Il ne faut pas envoyer tout le monde en prison ! Rappelons-nous que dans l'affaire d'Outreau, la presse poussait l'opinion publique en ce sens.

Q : il y a le problème de l'argent et du choix de l'avocat.
R : Vous avez raison, il y a rupture d'égalité, mais surtout dans l'accès au droit.


Q : Que penser des collectifs dans les procès ?
R :
Ils permettent aux victimes d'avoir de meilleurs moyens, mais ils ne doivent pas se substituer à elles dans la procédure.

Q : La hiérarchie des prescriptions me choque !
R :
La prescription est le droit à l'oubli. Elle peut être interrompue facilement. Après un certain délai, il y a dépérissement des preuves et l'action n'a plus de sens.

Q : N'est il pas suranné de maintenir une juridiction spécifique pour les affaires administratives ?
R :
Nous avons une tradition administrative et de puissance publique, avec ses règles propres. Je suis favorable à la dualité des juridictions en l'état actuel du droit, mais le droit public évolue.

Q : Il est particulièrement choquant dans un pays dont la devise est " liberté égalité fraternité " que, pour des faits identiques, des décisions différentes soient rendues suivant qu'il s'agisse d'hôpitaux publics ou de cliniques privées.
R :
Les logiques sont différentes.

Q : Vous est il arrivé de regretter une décision ?
R :
Il faut mener une réflexion à tête reposée, échanger avec des spécialistes et ensuite, faire une démonstration.