RENCONTRE DU 10 JANVIER 2008
invité : DR. ZAMBROWSKI


Après une formation en France de médecin cardiologue, le Docteur Zambrowski a étudié aux Etats Unis.
Il a actuellement a une activité clinique à l'hopital Bichat où il s'occupe de maladies rares..

Il enseigne également l'économie de la santé dans plusieurs universités francaises, dont Paris V Descartes, et donne régulièrement des cours à Paris IX, Dauphine, Paris XI, Science Po, l'Ecole Nationale de Santé Publique de Rennes, mais aussi à l'étranger.

 

LA SANTE VUE SOUS L'ANGLE ECONOMIQUE

Les médicaments :
Dans tous les pays développés, la création, et l'industrie du médicament sont du ressort de l'initiative privée.
En 50 ans, le monde occidental a su créer plus de 3000 entités thérapeutiques.
Dans le même temps, l'URSS avec des capacités intellectuelles équivalentes n'a pu développer que 3 molécules thérapeutiques.
La création de médicaments, de biens, de produits ou même de services en santé s'inscrit dans des aventures industrielles et financières qui appartiennent au monde de l'économie dite libérale, par la conjugaison du dynamisme, de la rentabilité de la croissance et du progrès.

La consommation classique dépend essentiellement des choix du consommateurmais en ce qui concerne la santé, on ne choisit pas d'être malade.
Dans beaucoup de pays, et en particulier en Europe, les dépenses de santé sont mutualisées pour l'essentiel et donc prises en charge par la collectivité.
On ne choisit pas les traitements dont on a besoin ni les soins dont on sait pouvoir bénéficier.
Il y a de fait une augmentation mécanique de la demande de santé de l'ordre de 6 à 7% par an, lié d'une part aux progrès de soins plus sophistiqués et plus onéreux, mais aussi au vieillissement d'une population demandant plus de soins.

0n sait faire maintenant des choses inconcevables il y a 25 ans.
Il y a aussi de plus en plus de bénéficiaires de soins, non seulement parmi les personnes âgées mais aussi, à l'autre bout de la vie : la mortalité infantile qui était encore un problème dans notre pays qui avait un certain retard il y a une vingtaine d'années, a été divisée par trois en moins de vingt ans.
Mais les gosses qu'on rattrape alors qu'ils sont nés à six mois de terme, et ne pèsent pas le poids d'un petit poulet vont nécessiter des soins considérables le temps d'arriver à une maturité raisonnable .
Naturellement, on sait le faire, et les familles n'imagineraient pas, puisqu'on sait le faire, qu'on ne le fasse pas.

Quand j'étais étudiant en médecine, juste avant 1968, on estimait qu'une personne qui avait une fracture du col du fémur, allait mourir dans l'année parce qu'elle devenait grabataire. On n'avait pas de solution sérieuse à leur proposer.
Aujourd'hui, quelqu'un qui rentre à l'hôpital avec une fracture du col du fémur repart dans la vie de manière tout à fait normale avec un beau fémur tout neuf en titane et palladium, plus solide qu'avant, et au passage on aura profité de l'occasion pour " faire une révision " de leurs coronaires et du reste.
Dans les années 70, suite à un infarctus, 8 personnes sur 10 mouraient ou se retrouvaient en invalidité définitive. Aujourd'hui, les proportions sont inversées, et 8 sur 10 repartent pour une vie normale.

La santé n'a pas de prix mais elle a un coût.
Le PIB (produit intérieur brut) de la France est de l'ordre de 1800 milliards d'euros (en 2007).
Avec une croissance d'à peine 2% par an, nous consacrons à notre santé de l'ordre de 10% du PIB (le budget de l'assurance maladie en 2005 était de l'ordre de 130 MM€).
Si l'on y ajoute l'ensemble de la protection sociale, retraite et allocations familiales, on arrive à un niveau proche du budget total de l'Etat, ce qui participe à l'augmentation du déficit global de la France, qui du fait des critères de la monnaie unique doit être limité.

Comment réduire ces coûts ?
Les besoins de chacun font qu'un système de santé reste une priorité, tout comme la protection sociale, que l'on soit dans un système de type étatique comme en France, ou dans un système libéral comme aux USA, où 450 compagnies privées se partagent le marché de l'assurance maladie, avec les risques de diversité de niveau et d'individualisation de la protection, contrairement au système que l'on connaît ici.

En France, l'hospitalisation comme les affections de longue durée, les maladies chroniques ou les associations de maladies sont prises en charge à près de 100%. Près de 60% des dépenses de l'assurance maladie sont consacrées exclusivement aux sept millions de nos concitoyens en situation d'affection de longue durée (ALD) prises en charge à 100%. (On y retrouve essentiellement des personnes âgées, mais hélas aussi de jeunes enfants). Mais ALD n'est pas obligatoirement incompatible avec une vie normale, comme par exemple des diabétiques.
Chaque habitant de notre pays dépense en gros 2500 euros par an pour sa santé. Par comparaison, chaque habitant du Mali ne dépense que 25 euros.

L'OMS classe régulièrement la France " meilleur système de santé du monde " avec le Japon, sur un ensemble de paramètres (espérance de vie à la naissance et à 65 ans, incidence des maladies sévères, accessibilité au système de santé, temps d'attente pour l'accès à l'hôpital, etc).

En Europe, le plus ancien système généralisé est celui instauré par Bismarck en Allemagne.
L'entre deux guerres a vu la naissance en France des " assurances sociales ", devenues " sécurité sociale " après 45.

En Angleterre, un système d'Etat a été instauré en 1942 (Welfare State). Il est financé directement par l'impôt. Les hôpitaux dépendent directement de l'Etat, et les médecins de ville sont payés forfaitairement pour une clientèle fixe de 3000 personnes, avec la possibilité de quelques centaines supplémentaires pour les meilleurs. Ce sont ces derniers qui sont gestionnaires d'une enveloppe de dépense de santé dévolue aux malades qui leur sont confiés. Le problème, c'est que vous n'avez pas le choix du médecin qui vous est imposé. Les délais d'attente pour une intervention chirurgicale peuvent y être relativement longs, et on n'opère plus les " patients considérés comme " trop âgés ". Economies obligent.

Dans le budget de l'assurance maladie votée par le Parlement (environ 150 MM €), la moitié est destinée à l'hôpital. Cette dépense est indispensable pour permettre la qualité et la compétence, même si seulement 5% des Français sont hospitalisés et 5% y viennent pour des consultations, des urgences ou des actes particuliers chaque année.

Les Agences Régionales de l'Hospitalisation étaient chargées de la répartition des autorisations d'activités hospitalières, de la création de plateaux techniques, etc… A Paris, cas particulier ; les 32 hôpitaux sont gérés par l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, énorme administration dont les difficultés de gestion ne sont pas de l'ordre du secret.
2008 voit la mise en place des Agences Régionales de Santé dont l'objectif sera de mieux organiser la continuité des soins entre la ville et l'hôpital.
Le médical ne représente que 20% des dépenses d'un hôpital, dont 7 à 9% pour les médicaments. Le reste va au fonctionnement, à l'hôtellerie et au personnel.


A noter que les dépenses de médicaments ont fortement augmenté ces dernières années, du fait de la sortie des nouveaux médicaments. Mais c'est le fait que la genèse d'un nouveau médicament coûte de plus en plus cher, en recherche, en mise au point, en tests sur animaux puis sur personnes saines et finalement sur un grand nombre de malades. Si bien qu'une nouvelle molécule sur 5 qui sort sur le marché s'avèrera rentable. Quel industriel en dehors de l'industrie pharmaceutique prendrait de tels risques ? De plus, le prix de vente est fixé non par l'industriel, mais par la puissance publique, qui le fera selon ses barèmes et en faisant jouer la concurrence. Dix ans après la première commercialisation, le produit tombe dans le domaine public et les génériques, n'ayant pas à supporter les coûts de recherche et d'expérimentation apparaissent.
Globalement, pour un médicament, les coûts de recherche représentent environ 15%, mais il faut ajouter 15% de frais de " publicité " auprès du corps médical, qui en fait reviennent à une formation de fait pour faire connaître les propriétés du nouveau médicament et permettre sa diffusion.
En une vingtaine d'années, la quasi-totalité des médicaments utilisés a changé, de même que les méthodes et matériels utilisés dans les traitements.
Si des excès ont pu exister dans ce domaine (colloques somptueux, voyages, congrès et hospitalités de luxe …), ce n'est plus le cas, la législation et la volonté des industriels y a mis fin, au détriment des prestataires qui en vivaient largement.
L'industrie française du médicament a un CA de 35 MM € dont 40% pour l'exportation. La France exporte 18 MM€ de médicament et en importe 10. Cette industrie qui emploie près de 100.000 personnes contribue tout autant à la balance commerciale que des industries bien plus médiatiques.

La tentative de mise en place du dossier médical informatique individuel pose des problèmes considérables non seulement techniques et financiers, mais surtout de confidentialité et d'éthique. A terme, il devrait éviter cette débauche de redondances inutiles et diminuer des risques de soins contradictoires.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : L'hôpital représente 50% des dépenses maladie. Or, si les dépenses de la médecine de ville, de la pharmacie, des actes paramédicaux sont connus dans le détail au centime près, c'est loin d'être le cas pour l'hôpital dont la gestion reste des plus opaques.
R :
C'est encore vrai, mais ce système vit ses derniers instants. Mais s'il y a eu une prise de conscience brutale, le changement n'est pas facile, car les enjeux politiques, économiques et locaux sont considérables. L'hôpital est parfois le premier employeur d'une commune. C'est par exemple le cas à Marseille où l'assistance publique est le premier employeur de l'agglomération. Mais l'opacité actuelle de la gestion est devenue incompatible avec la difficulté économique. Depuis le premier janvier 2008, les établissements de soins sont financés exclusivement sur la base de leur activité en fonction des maladies ou des types de séjour qu'ils dispensent en fonction de tarifs établis de manière transparente sur des études et des moyennes mesurées. Chaque établissement a maintenant une comptabilité analytique, et des embauches de spécialistes ont été réalisées dans ce but.
Les missions d'enseignement et de recherche font toutefois l'objet de financements à part.

Q : Dans l'hôpital, les urgences font un travail remarquable, mais sont peut être un peu trop encombrées par des interventions qui ne relèvent pas de leur ressort, mais plutôt de ce qui relevait autrefois des dispensaires peut être trop tôt supprimés ?
R :
Le maintien à l'hôpital de malades qui n'en relèvent pas réellement a peut être existé avec la dotation globale annuelle, mais cela devient plus difficile avec le système mis en place actuellement de paiement en fonction des actes et des maladies concernées.

Q : Lors de tests de nouveaux médicaments ou d'examens pour les besoins d'une thèse d'un interne, il n'était guère coutume d'en informer le malade. Qu'en est-il désormais ?
R :
Pour les tests de nouveaux médicaments dans le cadre par exemple d'un contrat avec un laboratoire pharmaceutique, " l'absence de non consentement " du malade est devenue absolument obligatoire. Cela peut aussi poser problème, car ce fait pourrait dans certains cas fausser les résultats avec la modification de son comportement suite à cette information.

Q : Certains pays ne fabriquent-ils pas des génériques de médicaments encore couverts par la protection des brevets ?
R :
Cette pratique qui a effectivement existé n'existe plus depuis la signature les accords de l'OMC. En contrepartie, ils ont le droit de vendre des génériques chez nous, sachant que leur prix de revient est bien plus bas et une main d'œuvre qualifiée au coût dix fois moins cher que chez nous, des semaines de 48h et plus et 52 semaines par an de travail. La capacité industrielle de l'Inde on vient de s'en apercevoir avec MITTAL et TATA, est beaucoup plus évoluée que ce que l'on aurait pu imaginer il y a peu.

Q : L'augmentation du coût de la santé plus rapide que le PNB est probablement due en partie au vieillissement de la population. Mais y a-t-il des solutions pour revenir à l'équilibre ?
R :
Que ce soit pour la santé et l'hôpital et vos entreprises, on retrouve le même problème que vous avez connu : la nécessité de réduire les coûts et pour cela augmenter la productivité, la performance et rationaliser le fonctionnement. Le déficit actuel est de l'ordre d'un mois de fonctionnement. Il suffirait donc d'obtenir une amélioration de 6 à 7%. Vos entreprises on toutes réussi, et au-delà cette augmentation de productivité dans les années passées si elles voulaient survivre, même si cela a commencé par coûter de l'argent. Il faut rationaliser les flux et les processus de décision. Cela commence par n'hospitaliser que si nécessaire, ne pas faire d'examens redondants ou inutiles etc…

Q : Dans certains pays, l'assurance généralisée ne couvre que les gros risques, les petits soins et maladies bénignes restent à la charge du malade ?
R :
En France, un certain nombre de médicaments peu efficaces ne sont plus remboursés, d'autres dont l'utilité n'est pas essentielle, qui ne soignent que de petites affections ou dont l'efficacité est faible suivront. On va voir des mutuelles proposer des plans de protection complémentaires pour les rembourser. Cela pourra devenir comme aux USA un argument d'embauche pour les entreprises. Des mécanismes devront aussi être trouvés pour les plus démunis.

Q : L'obligation du médecin référent n'est il pas un inconvénient ?
R :
C'est une bonne chose d'avoir un médecin qui vous connaisse bien. Un malade, c'est une personnalité, une psychologie, un relationnel. En cas d'urgence, vous avez la faculté d'aller voir n'importe quel médecin. Que ce soit la nuit, le week-end ou en vacances. En plus il n'est pas compliqué de changer de médecin référent : il suffit de remplir le formulaire téléchargeable sur internet, le faire signer par le nouveau médecin et l'envoyer à votre caisse de sécurité sociale.

Q : Qu'en est il du projet de dossier médical individuel ?
R :
Le dossier médical individuel est un projet complexe à mettre au point, du fait de l'exigence de stricte confidentialité (la CNIL est très vigilante à ce sujet), mais aussi du fait de l'énorme quantité de données à stocker, pour 60 millions d'individus tout au long de leur vie, et de ce fait l'énormité du coût du projet. Une solution serait peut être que ce dossier soit stocké sur la carte vitale.
Nota : les progrès de miniaturisation des mémoires devraient rendre rapidement cette solution possible. Reste la confidentialité et le problème de falsification…

Q : Certains médecins ne sont ils pas responsables de la surconsommation de médicaments ?
R :
C'est vrai, mais actuellement, toutes les prescriptions sont télétransmises par le pharmacien à l'assurance maladie. Elle peut vérifier et comparer celles-ci et relever les aberrations, les excès et les anomalies. Des médecins ont été embauchés par les caisses, qui ont la compétence pour aller demander des explications aux confrères pour lesquels on a constaté des anomalies. L'évolution n'est pas instantanée, mais on constate une diminution progressive du nombre de lignes d'ordonnance.

Q : Existe-t-il une formation continue pour les médecins ?
R :
Elle devient obligatoire. Le médecin va être tenu d'accumuler des points pour participer à des activités extrêmement rigoureuses de formation continue. Un médecin qui n'aura pas remis à jour ses connaissances et fait évaluer ses pratiques se privera du droit de soigner des assurés sociaux, il pourra fermer boutique. Mais il reste beaucoup à rattraper.

Q : Pourquoi ne peut on pas acheter les médicaments en supermarché ? Cela ferait probablement baisser les prix ?
R :
Le coût nominal des médicaments est une chose, le coût des erreurs est bien plus élevé. En France, le pharmacien est responsable des médicaments prescrits par le médecin. Aux USA, les pharmaciens étaient amenés à compter les médicaments pour les distribuer à l'unité, on revient au système des boites préemballées. Quant à la vente des médicaments en supermarché, même si l'automédication revient à la mode, le pharmacien garde un rôle de conseil que le supermarché a l'impossibilité d'offrir.
Nota : le supermarché est-il une garantie de moindre coût ? La comparaison de produits similaires et de qualité égale vendus en pharmacie et en supermarché n'est pas forcément en faveur du supermarché.

Nota : L'automédication peut avoir des conséquences imprévisibles, et pas seulement sur la santé des malades. L'exemple de Bayer a retiré il y a quelques années un anti cholestérol du marché parce que plusieurs décès ont été constatés aux USA par des patients qui l'avaient utilisé. L'enquête a montré plus tard que ces décès étaient dus à l'utilisation simultanée avec un autre médicament d'un concurrent américain pris à trop forte doses, dont la dangerosité a été démontrée par la suite et a été depuis retiré du marché. L'opération a coûté des millions de dollars à Bayer.