RENCONTRE DU 11 OCTOBRE 2007
invité : M. aussourd

INTERVENTION DE M AUSSOURD

Ingénieur Général des Ponts et Chaussées


LES ECONOMIES D'ENERGIE ET LE BATIMENT

Les media ont largement commenté ce qu'ils ont appelés le " Grenelle de l'environnement ". Allusion évidente et symbolique aux accords de Grenelle de 1968. Mais Grenelle a été dans des temps plus anciens un autre symbole un peu oublié : le lieu d'une bataille terrible pendant laquelle les troupes du gaulois Camulogène ont été massacrées par les légions romaines de Labiénus (c'était en 52 av J C).
Bon ou mauvais présage ; restons optimistes.

Lorsque l'on parle de développement durable, il faut savoir qu'il s'agit d'une traduction approximative de l'anglais " sustainable development ". Sa définition plus précise est
"un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre à leur propres besoins". En termes plus imagés : " ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis ".
Il repose sur trois piliers indissociables :
L'environnement,
L'économie
Le social.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce qui nous est présenté par la production médiatique est souvent loin de tenir compte de l'ensemble des 3 composants.

Un des pivots de ce sujet reste celui de l'énergie.
Il est actuellement au cœur des réflexions du C A S (Centre d'Analyses Stratégiques, ex Commissariat au Plan)

Nota : voir le site du CAS à l'adresse :
http://www.strategie.gouv.fr
et la liste des documents publiés accessibles du CAS à l'adresse :
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/PublicationsCAS04-09-07.pdf

Le CAS a donc sorti un épais rapport qui, s'il remet en place un certain nombre d'idées reçues, ne donne pas dans ses conclusions, compte tenu de la complexité du problème et de la diversité des hypothèses, des idées bien précises sur les perspectives d'avenir.
Mais, dans les problèmes politiques comme dans le gouvernement d'entreprise, on est souvent lié aux contingences matérielles et budgétaires, avec une vision claire qui dans les meilleurs cas dépasse rarement 18 mois. Difficile dans ce cas de concilier avec un objectif de développement durable.

En ce qui concerne l'énergie, et particulièrement la consommation d'énergie en France, il faut savoir que le bâtiment représente 46% de la consommation, toutes énergies confondues, et 25% des émissions de CO², répartis 70% pour le résidentiel et 30% pour le tertiaire.

STATISTIQUES SUR LES LOGEMENTS EN FRANCE :
30 millions de logements en France répartis en 17 millions individuels et 13 collectifs.
Un peu plus de 25 millions de résidences principales dont 14 de maisons individuelles et 11 d'appartements.
3 millions de résidences secondaires, 1,9 de maisons et 1,1 d'appartements.
Il y a aussi 1,9 million de logements vacants, qui ne consomment théoriquement pas d'énergie.
Les constructions neuves s'élèvent en moyenne à 300 000 par an, et 400000 ces dernières années, et la destruction d'anciens logements serait de l'ordre de 50000 par an.

L'AGE DU PARC IMMOBILIER :
20% antérieurs à 1915
10% entre 1915 et 1949
34% entre 1949 et 1975
35% entre 1975 et 1982

Ceux construits entre 1949 et 1975 sont les plus gros consommateurs d'énergie compte tenu de leur mode de construction " économique " et leur faible isolation. Les anciennes constructions traditionnelles en pierre, briques, etc… étaient mieux isolées et celles construites après 1975 devaient suivre des normes d'isolation de plus en plus contraignantes et moins énergivores.
(Nota : Il faut y voir un effet bénéfique de la première crise pétrolière).

Dans le même temps, une des raisons de l'augmentation du nombre de logements est la diminution du nombre moyen de personnes par ménage, avec l'augmentation du nombre des divorces et des familles monoparentales, ce qui augmente en conséquence le nombre de m² par personne.

LE TERTIAIRE :
Les 30 millions de logements représentent 2,7 milliards de m², soit 70 m² en moyenne, le tertiaire représente 840 millions de m².
La consommation est en moyenne de 210 KWh par an, contre 210 pour le logement. On y rencontre une bien plus grande diversité. Du petit commerce de l'épicier, au supermarché et aux IGH de bureaux, il y a peu de points communs. Le problème, c'est que pour la plupart, ces locaux sont en location, et que le montant des loyers, charges comprises ou non est hors de proportion avec le coût de l'énergie dépensée, ce qui n'incite pas toujours, ni aux économies d'énergie, ni à la modernisation des locaux.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Au delà du rendement thermique des immeubles, n'y a-t-il pas des gaspillages inutiles, comme par exemple l'éclairage des tours de nuit à la Défense?
R :
Il peut exister aussi des obligations contractuelles. De plus, dans certaines tours, seuls les luminaires près des fenêtres peuvent rester allumés, les autres étant éteints.

Q : Ne peut-on pas diminuer les consommations actuelles dans les bâtiments ?
R :
Les constructions actuelles sont beaucoup plus performantes que les anciennes, du fait de l'application des nouvelles réglementations. On peut effectivement améliorer de manière importante les bâtiments anciens, sachant toutefois que les bâtiments antérieurs à 1949 sont nettement moins énergivores que ceux construits entre 1949 et 1975. Actuellement, on estime qu'en 2050, 40% du parc bâtit sera encore antérieur à 1975.
On sait qu'il est nécessaire de faire d'importantes incitations pour l'amélioration des bâtiments en vue d'économiser l'énergie. L'augmentation des prix du pétrole ne fait qu'accroitre cette nécessité.
Qui dit améliorations dit travaux coûteux. Si un propriétaire occupant sera incité à les engager, un propriétaire bailleur le sera beaucoup moins, du fait que c'est le locataire qui paie les charges, et qu'il peut être très difficile pour lui de rentabiliser son investissement.
Si pour les parcs immobiliers HLM, la vue à long terme de ces organismes les incite à moderniser leur parc, ce n'est pas forcément le cas pour les autres sociétés d'investissement immobilier.
Nota : on a vu ces dernières années d'importants pans de l'immobilier propriété d'investisseurs institutionnels revendus à des investisseurs étrangers par immeubles entiers, qu'ils se sont empressés de revendre à des particuliers avec une forte plus value, en ne faisant que le minimum d'aménagement et laissant aux nouveaux propriétaires l'ensemble des problèmes à régler dont ceux de l'isolation et des installations à moderniser.

Q : A t on une idée des dépenses pour les travaux d'amélioration des bâtiments ?
R :
On peut les estimer à environ 55 milliards d'€. Les 2/3 sont réalisés par des entreprises, le reste est effectué par le " bricolage " soit le " travail au noir ".

Q : Les techniques de construction ont beaucoup évolué.
R :
Après la construction traditionnelle et les structures " économiques " de l'après guerre, le mur de la maison d'aujourd'hui est fait de parpaings de 15 cm doublé à l'intérieur de 10 cm de laine de verre et d'une plaque de placoplatre. Il y a aussi l'isolation du toit et celle des fenêtres avec les doubles vitrages, mais également l'isolation par rapport au sol. Si ces techniques sont largement connues, certaines d'entre elles exigent un savoir faire que même des professionnels ont parfois de la peine à suivre.

Q : Quid de la mise aux normes actuelles d'une habitation ancienne ?
R :
La norme actuelle de consommation énergétique pour une construction neuve est de l'ordre de 100 KWh par m² et par an. Chacun pense en premier lieu au remplacement des fenêtres par d'autres comportant des doubles vitrages. Il y a aussi les murs. L'isolation par l'extérieur n'est pas impossible, mais complexe. Par l'intérieur, avec des panneaux isolants, il faut penser que cela risque d'amener à refaire tout ou partie de l'installation électrique. Il y a ensuite les combles ou le toit, et enfin le sol si par exemple il n'y a pas de sous-sol. (Le calcul du coût pour amener un pavillon de 120m² aux normes actuelles a été estimé à environ 77000€, en Allemagne, et devraient être légèrement inférieur en France).

Q : Qu'en est il de la réglementation ?
R :
Des normes d'isolation des bâtiments sont apparues dans les années 70 avec la première crise pétrolière, mais actuellement, les bâtiments neufs doivent suivre des règles de plus en plus strictes, du fait de directives européennes qui visent à faire diminuer progressivement la consommation par m². Comme d'habitude en France, cela se traduit par des règles complexes et des calculs compliqués, qui deviennent difficilement accessibles pour un artisan, et encore moins pour les " bricoleurs ".

Q : Comment peut faire le citoyen qui désire améliorer le rendement thermique de son logement ?
R :
Des études de comportement ont été faites sur le sujet : Le premier reflexe est le plus souvent de rechercher un artisan local, ou de demander conseil à des amis, ou faire appel aux pages jaunes. Ils peuvent aller se renseigner dans les grandes surfaces de bricolage (Leroy Merlin, Castorama etc…) où ils trouveront des fiches pratiques, des livres, et des conseils auprès de vendeurs pas toujours très compétents. Il y a bien sûr la jungle d'Internet, et les fournisseurs d'énergie que sont EDF et GDF, et finalement l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie), établissement public créé par le pouvoir politique théoriquement destiné à diffuser les informations sur le sujet, qui possède plusieurs sites d'information, mais dont le succès est loin de ce qu'il devrait être.

Q : Qu'est il prévu pour la formation des artisans ?
R :
La CAPEB (Confédération des petites entreprises du bâtiment) est consciente du rôle des artisans et de la nécessité de leur formation, d'autant plus qu'ils sont chacun très spécialisé, et qu'il leur est difficile de répondre individuellement à des offres qui regroupent des techniques diverses. Mais le CAPEB ne représente pas la totalité des entreprises concernées, et améliorer la formation dans plus de 300.000 entreprises, et plus de 1,5 millions de personnes est un projet de longue haleine, qui devra s'étaler sur une quinzaine d'années. Il existe toutefois un passage obligé de toutes ces entreprises qui peut permettre de faire passer le message : le négoce des matériaux, qui non seulement touchent toute la profession, mais ont aussi tout intérêt à diffuser les informations et les formations sur la maitrise de l'énergie.

Q : On peut aussi se demander si un des objectifs non avoués de la complexité des réglementations ne serait pas aussi d'obliger à passer par des organismes qui en vivent, ou de complexifier la vie des plus petites entreprises en vue de les faire disparaitre ?
R :
Il y a surtout un phénomène culturel qui veut que changer les habitudes demande du temps. On a l'exemple de la prise de conscience de la sécurité dans le bâtiment. C'était le secteur où il y avait le plus d'accident du travail. Il y a trente ans, celui qui travaillait en hauteur en utilisant une sécurité contre les chutes était traité de femmelette par ses collègues. Il a fallu 15 ans de patience, de stages, d'information et de formation pour que la prise en compte du facteur sécurité devienne naturelle et culturelle.

Q : Les économies d'énergies dans le bâtiment ne sont pas que le fait de l'isolation et l'utilisation de chaudières à condensation. Il y a aussi l'utilisation des énergies dites " renouvelables ", telles que l'éolien, le géothermique et le solaire.
R :
L'utilisation de l'énergie solaire pour réchauffer de l'eau est effectivement une solution qui peut s'avérer rentable, même dans le nord de la France, et de ce point de vue, l'Allemagne est en avance dans ce domaine (nota : c'est pour cette raison également que le matériel pour installer un chauffe eau solaire est encore cher en France, plus qu'en Allemagne). Mais il faut que l'installation soit faite suivant les règles de l'art si on veut que l'installation ait une longévité suffisante. Les capteurs photovoltaïques sont également une solution, mais l'installation est très onéreuse (les prix auront tendance à baisser avec l'arrivée de nouvelles technologies), et demande un entretien non négligeable. De plus comme le stockage de l'énergie n'est pas une chose aisée (les batteries sont chères), les surplus de production lorsqu'il y en a, doivent être cédés à EDF à des tarifs dérisoires. De plus ces systèmes ne fonctionnent que de jour.
Les éoliennes peuvent être une solution, à condition d'avoir obtenu l'autorisation de les installer, et sans parler des nuisances sonores, faut il encore qu'il y ait du vent !
Il reste les pompes à chaleur, avec ses diverses déclinaisons, soit en pompant la chaleur dans l'air extérieur (mais le coût de l'installation et les problèmes d'entretien du matériel rendent la rentabilité assez aléatoire dans ce cas de figure), soit en récupérant de la chaleur emmagasinée dans le sol, avec un échangeur enterré à plus d'un mètre de profondeur dans un jardin, ou à partir d'eau puisée en profondeur, mais le coût de l'installation est alors important.
Ces installations sont très onéreuses. Il existe des subventions pour aider et inciter à les mettre en pratique.
(voir le site de l'ADEME : http://www.ademe.fr)

Nota : On parle beaucoup du réchauffement climatique, sujet médiatique s'il en est. Mais un des effets de celui-ci ne sera-t-il pas de diminuer les besoins de chauffage donc de dépense d'énergie ?

Q : N'y a-t-il pas des moyens plus industriels de stockage de l'énergie électrique que les dispendieuses batteries ?
R :
Les batteries modernes sont encore extrêmement onéreuses, et les batteries au plomb ont le défaut de vieillir, de demander un entretien important, et de contenir du plomb. Il y a en France plusieurs installations où EDF stocke l'énergie produite en heure creuse en pompant de l'eau d'une réserve inférieure dans un réservoir situé plusieurs centaines de mètres au dessus, pour pouvoir l'utiliser aux heures pleines. Cette solution a fait ses preuves depuis des années, mais les sites sur lesquels une telle installation peut être réalisée ne sont pas très nombreux;

Nota : Les économies d'énergie ne doivent pas être le seul fait d'installations moins énergivores mais aussi le fait d'efforts pour moins consommer.
Une chose dont les media n'ont jamais parlé en France, c'est l'expérience faite à Cuba qui m'a été rapportée par un ami de retour d'un voyage là bas. L'énergie y était rare du fait de l'embargo subi par ce pays. Il y a deux ou trois ans, le gouvernement cubain a décidé de remplacer gratuitement toutes les lampes d'éclairage à incandescence chez les particuliers par des lampes fluo (celles que l'on trouve maintenant partout dans les grandes surfaces et qui sont réputées économiser 80% d'énergie). Le résultat en a été parait il considérable.

HB