Le secteur de La
Défense est partagé entre plusieurs sections, chacune
étant sous la responsabilité d'un inspecteur du travail
secondé par deux contrôleurs (chargés des petites
entreprises). Un projet de modernisation est en cours, mais non encore
finalisé.
Chaque section entre 40 à 45000 salariés et de 100 à
180 entreprises de plus de 50 avec CHSCT, ce qui représente une
très lourde charge, amenant souvent à faire des choix
qui peuvent ne pas toujours être bien compris.
NOS
MISSIONS :
Notre première mission consiste à contrôler
les entreprises et en cas d'infraction introduire des procédures
pénales.
Il y a un deuxième aspect, qui est le conseil,
plus ou moins développé en fonction du territoire et du
nombre d'entreprises rencontrées
La troisième action concerne la prise
de décisions administratives, le plus souvent au sujet
de licenciement de salariés protégés. (Environ
80 par an sur le 92, pour une moyenne nationale de l'ordre de 30). Mais
nous avons aussi beaucoup de sièges sociaux. Mais en cas de refus,
les employeurs font de plus en plus recours, allant jusqu'au ministre,
qui demande alors des explications, et sont pour nous une charge supplémentaire
de travail, au détriment de notre rôle principal.
Dans le cas de La Défense, les chantiers se font surtout de nuit.
Les contrôles aussi.
LES
PROBLEMES RENCONTRES :
Ces dernières années, on voit se développer les
problèmes liés à la " souffrance au travail
", liés à la pratique de l'évaluation individuelle
dans les entreprises, et par voie de conséquence à
l'individualisation des problèmes et la généralisation
de l'individualisme. Il n'y a plus de solidarité,
et on constate qu'il y a une croissance très forte de ces souffrances
au travail. Les suicides, et pas seulement chez Renault (dans une tour
il y en a eu 3) sont la conséquence de cette détérioration
entrainée par les dérives des nouvelles organisations
du travail, qui engendrent stress permanent et harcèlement.
Récemment,
j'ai pu constater la pratique de plus en plus courante, avec un salarié
(cadre de direction) qui ne " rentrait plus dans le schéma
", après qu'il ait demandé un entretien pour un changement
de poste dans l'entreprise, de le pousser à bout pour qu'il parte
de lui-même.
Les sujets les
plus fréquemment rencontrés sur La Défense sont
les entraves, les défauts
de consultation des CE, et les problèmes liés
à une certaine généralisation du "
forfaits jour ", et une disparition
du contrôle du temps de travail quotidien, malgré
l'affichage d'un horaire officiel. On a rencontré des cas de
salariés devant prolonger leur journée tard dans la nuit
plusieurs jours par semaine, sans aucune compensation ni heure supplémentaire
prise en compte, et un temps de repos hebdomadaire minimum non respecté,
en raison des travaux dont ils étaient chargés, faits
en liaison directe avec les correspondants à l'autre bout du
monde.
LE
RÔLE ET LES POUVOIRS DE L'INSPECTEUR DU TRAVAIL :
L'inspection du travail n'intervient que sur
le plan pénal. Elle ne peut pas intervenir dans les
problèmes qui relèvent du civil ou des prud'hommes. Il
a obligation de confidentialité, et par exemple, il ne peut officiellement
communiquer un document que si la personne concernée a décidé
de rendre le sujet public (par exemple dans le cas d'un courrier adressé
à un employeur). C'est d'ailleurs une de nos difficultés
parce que souvent, les salariés savent que nous sommes intervenus
dans l'entreprise et aimeraient connaître les informations que
nous avons recueillies.
Parmi nos moyens,
on peut dresser des Procès Verbaux.
Il s'agit d'un document que l'on transmet au Procureur de la République
qui doit classer juridiquement l'infraction pénale ou la situation
rencontrée. C'est le Procureur de la République qui décide
de poursuivre ou de ne pas poursuivre. Parfois, un juge d'instruction
est nommé dans le cadre d'une procédure pénale.
On a également
la possibilité de faire des " mises
en demeure ". Dans ce cas, l'employeur est tenu de répondre
dans un délai donné à ses obligations. C'est en
général le cas en matière d'hygiène et de
sécurité.
Nous avons la possibilité,
mais plus rarement, d'utiliser le référé
au " civil ", mais il faut qu'il y ait un danger
grave ou imminent et faire la preuve auprès du tribunal.
Il faut y aller en temps que partie et on est alors une partie comme
une autre contre un employeur.
Plus fréquemment,
il nous arrive, comme le prévoit la loi, d'adresser des copies
de nos notes d'interventions au CHSCT, au médecin du travail
et aux intervenants de l'entreprise concernés.
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QUESTIONS
DES PARTICIPANTS
Q
:
Quels
sont les droits d'un Délégué Syndical qui aurait
été mis à pied ?
R :
Même mis
à pied, un délégué syndical peut continuer
à exercer son mandat (la jurisprudence date de 2004). L'employeur
doit continuer à payer les heures de délégation chaque
mois. Il faut rappeler qu'il ne pourrait toucher les indemnités
ASSEDIC faute d'avoir reçu l'attestation de la part de son employeur,
qui peut tarder à lui remettre.
Q
:
Certains
employeurs n'utilisent t ils pas leurs appuis politiques pour faire annuler
des décisions d'un inspecteur du travail ?
R :
Il est exact
qu'il existe des procédures de demandes d'annulation d'une décision
d'un inspecteur du travail auprès du ministère. Il y a des
cas de confirmation, d'autres de décision contraire. Cela peut
aller ensuite jusqu'au tribunal administratif ou au Conseil d'Etat.
Q
:
Qui
intervient dans le cadre de contestation des constitutions de comités
d'entreprises ou de comités centraux ? Quel est votre rôle
dans le déroulement des élections ?
R :
C'est du ressort
du directeur départemental du travail. Il y a à Nanterre
trois directeurs adjoints, qui par délégations, reçoivent
les organisations syndicales et prennent les décisions. Sinon,
pour le reste des élections, on n'intervient pas, on ne fait qu'enregistrer
les résultats.
Q
:
Si
à l'occasion d'une visite, d'un stage par exemple, quelqu'un remarque
des situations dangereuses pour le personnel (machines dangereuses), ou
des pratiques complètement illégales, peut il le signaler
à l'inspection du travail et dans ce cas peut il y avoir des suites
?
R :
Nous n'avons
pas à révéler l'origine des plaintes, c'est prévu
dans nos statuts. Nous sommes censés pouvoir intervenir de façon
inopinée, et sans indication particulière. On doit toujours
séparer le fait qu'il y ait eu des plaintes de quelqu'un qui soit
dans l'entreprise ou non et notre intervention. Ce qui fait que même
si c'est quelqu'un de l'extérieur qui nous a informés de
la situation on peut aussi bien intervenir. C'est quelque chose qui peut
se passer dans des petites entreprises qui sont en dehors de tout et qui
font n'importe quoi. Dans ce cas, la procédure du procès
verbal n'est pas adaptée car trop longue (2 à 3 ans de délais
dans le 92). Il reste le référé au civil, prévu
en cas de danger immédiat, mais il faut alors amener la preuve
du danger immédiat devant le juge du TGI. C'est le juge qui décidera
éventuellement la cessation de l'activité.
Nota : Dans ces cas, il y a rarement de DS ou de représentant du
personnel. Le personnel a aussi dans ce cas le droit très théorique
de retrait. Il peut aussi porter plainte pour mise en danger d'autrui,
mais il risque aussi de se retrouver dehors, soit par licenciement, soit
avec la fermeture de l'entreprise.
Q
:
En
fait n'avez-vous pas plus de pouvoirs qu'un juge d'instruction ?
R :
Comme lui, nous
avons l'opportunité des poursuites. Pour le procureur de la République,
sur 250 000 plaintes par an, 15% sont retenues, le reste est classé
sans suite. En droit du travail le pourcentage est plus élevé,
car avec un procès verbal, la procédure est déjà
engagée. Mais ce n'est pas 100%. Mais nous, avons le pouvoir d'entrer
et de sortir à n'importe quelle heure du jour et de la nuit dans
une entreprise, droit que la police n'a pas, et que les entreprises ne
connaissent pas forcément. Ce qui n'empêche pas certaines
de faire tout ce qu'elles peuvent pour entraver ou tout au moins gêner
notre mission. C'est aussi un problème dans les tours de la Défense
où un badge est nécessaire pour pénétrer dans
les divers locaux. Nous pouvons y saisir tous document prévu par
le code du travail, et dans le cadre de discrimination, syndicale ou autre.
C'est seulement dans le cadre du travail dissimulé ou de délit
de marchandage, que l'on peut saisir tout document y compris commerciaux.
En France, en 2005, 250 000 observations ont été faites
par les inspecteurs du travail et seulement 9 000 procès verbaux.
On est obligé de faire des choix car si on devait les traiter toutes,
le délai d'attente pour des affaires banales risquerait d'atteindre
10 à 15 ans.
Q
:
La
clause de mobilité est souvent utilisée comme motif de licenciement.
Peut-on s'en protéger ?
R :
Au niveau individuel,
il y a peu de choses à faire, en particulier pour les cadres. D'ailleurs,
elle peut avoir des motifs légitimes pour l'entreprise. S'il s'agit
de motif factice, et que l'on puisse le prouver avec des éléments
solides, les prud'hommes peuvent être envisagés dans les
cas individuels. Si on peut amener la preuve qu'un certain nombre de licenciements
ont été pratiqués avec le prétexte du refus
de mobilité, pour masquer des licenciements économiques,
et contourner les obligations légales, en particulier les consultations
des CE, il y a délit et une poursuite pénale peut être
envisagée.
Nota : on rencontre aussi fréquemment l'utilisation de cette clause
pour couvrir des départs avant l'âge de la retraite pour
des salariés désireux de quitter l'entreprise. Avec des
indemnités de licenciement défiscalisées. Mais il
s'agit souvent d'un accord entre les deux parties, et le salarié
concerné n'a généralement aucun intérêt
à s'y opposer. Il s'agit tout de même d'un détournement
de la procédure.
Q
:
Comment
traiter les problèmes de discrimination ?
R :
Le principal
problème est d'en établir la preuve. S'il s'agit d'une inégalité
de traitement pour le même travail, on peut obtenir gain de cause
aux prud'hommes, mais pas au pénal. Il faut pour cela un critère
supplémentaire, sexuel, syndical, d'origine ou religieux.
Q
:
Avez-vous
des difficultés pour appliquer votre droit d'accès aux entreprises
?
R :
Mis à
part des contraintes dues aux systèmes de contrôle d'accès
par badge qui peuvent géner notre circulation, il arrive de rencontrer
des difficultés, du fait des personnels des sociétés
de gardiennage pas toujours au courant (il nous est arrivé de devoir
faire appel à la police pour faire appliquer notre droit de visite)
mais aussi par la volonté d'entraver notre mission par la direction
de l'entreprise, qui met des obstacles à notre mission, allant
jusqu'à nous interdire l'accès aux locaux et aux documents.
Q
:
Chez
SCOR, la direction a inventé la notion de " Partner ",
avec un avenant au contrat de travail des salariés concernés,
modifiant leur mode de rémunération en y intégrant
une part essentielle sous forme de bonus lié à la performance
individuelle et la rentabilité de l'entreprise. Ils ont été
" nommés " sans aucun critère connu. Aujourd'hui,
on peut constater qu'un " Partner " peut être rémunéré
deux fois plus qu'un autre salarié ayant fait le même travail.
En 2006, on a pu noter aussi, lors de la distribution d'actions gratuites,
que le salarié " de base " en a reçu en moyenne
1000 à 2€, tandis que le " Partner " a bénéficié
de 46 000 à 1,7€. N'est ce pas un cas de discrimination ?
R :
On constate effectivement
que dans de plus en plus d'entreprises la pratique de remplacement d'une
partie importante du salaire par des parts variables et des bonus. Le
jour où l'entreprise supprime le bonus et réduit la part
variable, le salarié se trouve dans une situation où son
revenu peut être divisé par deux ou trois, et le mettre dans
une situation qui le pousse à partir. D'ailleurs, un certain nombre
de suicides dont on a parlé ces derniers temps sont liés
à cette pratique. Il y a matière à engager des actions
tant au niveau des prud'hommes que du TGI.
Ce qui me frappe, c'est qu'il y a eu peu d'actions au niveau syndical,
au niveau des prud'hommes sur la notion de résultat tangible, concret
pour aller jusqu'en cassation pour qu'il y ait des références
juridiques sur ce sujet parce que c'est une dérive très
forte.
Nota : Dans le cas de SCOR, une procédure en référé
a été introduite au tribunal de Versailles concernant l'absence
d'accord collectif concernant les discriminations en relation avec un
article de la convention collective. Le tribunal nous a donné raison,
mais la cour d'appel a jugé que ce n'y avait pas matière
à référé, et revoyait sur le fond. Problème
: comment financer les avocats pour poursuivre au TGI, et autre solution,
saisir la commission d'interprétation de la convention collective
de l'assurance (on se rappellera que l'actuel PDG de SCOR a été
4 ans à la présidence de la fédération française
d'assurance)... Mais il s'agit d'un problème qui se répand,
et dont l'impact est préoccupant.
Certaines fédérations de la CFE-CGC, comme par exemple la
FIECI, ont un fonds d'assistance juridique qui permet d'aider au financement
de telles poursuites, mais apparemment pas la fédé de l'assurance.
Q
:
On
constate de plus en plus d'entreprises qui prennent des stagiaires d'école,
ce qui est en soi une bonne chose, mais qui au lieu de participer à
leur formation les utilisent comme " intérimaires à
bas coût ". On m'a même cité, ce qui est pire,
des diplômés bac+5 employés à titre de "
stagiaires " pendant plusieurs années dans une entreprise
de luxe du CAC 40 avec la perspective qui n'arrive jamais d'être
embauchés un jour. Ne s'agit il pas d'un genre de " travail
dissimulé ?
R :
La solution est
pour cette personne d'attaquer en prud'hommes, en faisant la preuve qu'elle
exerçait un travail normal, et que l'entreprise ne payait pas les
charges sociales correspondantes.
Q
:
De
qui dépend hiérarchiquement un inspecteur du travail ?
R :
Contrairement
à ce que l'on pourrait croire, nous ne dépendants pas du
directeur départemental, dont les fonctions sont différentes,
même s'il nous arrive d'avoir une délégation de pouvoir
de celui-ci (par exemple pour des PSE).
Q
:
Comment
devient on inspecteur du travail ?
R :
Comme tout emploi
de fonctionnaire, sur concours, soit interne, soit externe. En externe,
il faut actuellement un niveau bac + 4. Une formation en droit n'est pas
indispensable, car il y a une formation de 18 mois en deux temps ; générale
puis spécialisée où on apprend l'électricité,
la chimie, on entre dans le détail des situations que l'on risque
de trouver. Il y a beaucoup d'aspects techniques en matière d'hygiène
et de sécurité. En interne, on peut entrer comme secrétaire
administratif et puis finir inspecteur du travail par concours internes.
Des formations sont prévues pour s'y préparer. Mais il faut
au moins sept ans d'ancienneté pour accéder au grade suivant.
Q
:
Recevez-vous
régulièrement les accords d'entreprise et CR de DHSCT, et
quelle exploitation en est faite ?
R :
Les accords doivent
être diffusés et enregistrés aux prud'hommes et à
la DDTE, sous peine de ne pas être opposables aux salariés.
S'il y a opposition des organisations syndicales, pour être validé,
il faut une consultation des salariés. Il ne doit pas être
signé par les DP ou le CE, mais par les organisations syndicales.
Nous vérifions ces points, en particulier si un problème
se présente.
Pour les CHSCT, nous recevons généralement les convocations,
parfois hors délai. Sur mon secteur j'ai environ 150 CHSCT, et
par an. On participe quand un ordre du jour a attiré notre attention
ou pour faire connaissance avec une entreprise. Je m'astreins à
bien lire tous les ordres du jour (7 ou 8 par jour).
Q
:
Quel
est l'avenir de l'inspection du travail ?
R :
L'existence de
l'inspection du travail est liée à des conventions internationales
dans laquelle la France est engagée. Par contre leur rôle
n'est pas identique dans tous les pays. En France, si leur mission première
reste la sécurité des salariés, petit à petit,
d'autres missions nous ont été demandées par le législateur.
Il ne faut pas que celles, qui pour certaines sortent du rôle défini
par l'OIT, en particulier lorsque l'on a voulu nous utiliser comme supplétif
de la police pour des contrôles d'immigrants clandestins. Nos missions
évoluent aussi avec celle du travail salarié, de moins en
moins manuel, mais avec de plus en plus de risques psychosociaux, et de
maladies professionnelles qui rendent les enquêtes plus complexes.
Il est prévu de recruter 50% d'agents en plus d'ici à 2012.
Q
:
Qu'en est il du futur code du travail ?
R :
La partie législative
est déjà sortie, applicable à partir de mars 2008
et les décrets sont codifiés. On est passé de 600
à 1200 pages, mais il contient aussi des décrets nouveaux.
HB
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