RENCONTRE DU 1erFEVRIER 2007
invité : M. M Bernard Van Craeynest

INTERVENTION DE
Bernard Van Craeynest
Président de la CFE-CGC

J'ai écouté avec grand intérêt vos interventions, qui montrent que vous êtes tous de très grandes entreprises, performantes mais aussi qui imposent d'importantes restructurations à leur personnel mais aussi à toute la chaine de la valeur (relation donneur d'ordres / Sous-traitants).
Les dirigeants ne cessent de nous expliquer que les conditions de travail s'améliorent, puisqu'il y a de plus en plus de participation, d'intéressement et d'actionnariat salarié.
Je passe mon temps à leur expliquer que par exemple les accords d'entreprise sur l'intéressement ne sont pas pris en compte, dans le cadre d'un prêt bancaire. Seule compte la fiche de paie !

C'est bien le problème de l'individualisation totale des salaires qui se pose aujourd'hui. On voit de plus en plus apparaitre les rémunérations au mérite, au bonus, aux parts variables et, sur des objectifs toujours de plus en plus élevés avec de moins en moins de moyens pour les atteindre et de moins en moins d'objectivité dans l'évaluation. C'est un sujet majeur que nous avons à traiter avec le patronat, mais aussi avec les politiques.
En cette période électorale, nous alertons les candidats à l'élection présidentielle pour leur demander un certain nombre de choses très précises que nous allons finaliser, avec le Comité Confédéral. Le questionnaire tournera autour de 5 thèmes essentiels :

Fiscalité / prélèvements obligatoires
En France, nous en sommes à 44%. (Le Medef insiste sur le fait que dans ces 44%, 17,1 % pèsent uniquement sur les entreprises). Seulement 48% des foyers fiscaux paient l'impôt sur le revenu.
La succession des lois de finance ne permet plus aucune lisibilité à l'ensemble du système et la décentralisation a occasionné une explosion de la fiscalité.
Nous demandons aux candidats de nous mettre en perspective sur 5,10 15 ou 20 ans la façon dont il compte faire évoluer le système pour le rendre plus lisible, cohérent et équitable. A notre sens, il faut totalement remettre à plat la fiscalité, la reconstruire et distinguer ce qui relève de la solidarité nationale, financé par les impôts, de ce qui relève du produit de nos cotisations sociales, quitte à en élargir l'assiette. Par exemple, nous préconisons pour le financement de la sécurité sociale, le prélèvement basé sur la consommation (parfois appelé TVA sociale).
Il n'y a plus de raison de faire supporter l'ensemble de l'édifice uniquement par les salaires ce qui relève de l'effort individuel, librement consenti ou imposé.

Le logement
L'effort sur le logement intermédiaire doit être poursuivi. On met beaucoup l'accent sur les logements sociaux, pour lesquels beaucoup de retard avait été pris. Mais le système a évolué de telle façon, qu'il n'est plus convenablement géré. Il n'y a plus de fluidité entre le logement social, l'intermédiaire et l'accession à la propriété. Il faut que toutes les données du problème soient prises en compte.
Nota : le nouveau secrétaire national confédéral en charge du logement et de la consommation est Jean Frédéric Dreyfus.

Emploi, Formation, Sécurisation des parcours professionnels
Au-delà de la nécessaire croissance économique, nous demandons aux candidats de nous expliquer comment ils comptent répartir et utiliser les richesses.
En matière d'emploi, nous venons d'un système de grande fluidité du marché du travail (dans les années 70 les salariés n'hésitaient pas à changer d'entreprise pour une meilleure rémunération, de meilleures perspectives de carrière, un meilleur poste …
Nous sommes aujourd'hui passé à un phénomène de glaciation du système qui fait que les salariés sont extrêmement craintifs et figés, malgré la dégradation des conditions de travail. La situation n'est plus acceptable.

Avec l'augmentation de la durée de vie, il faudra aussi revoir l'équilibre du système entre le temps d'activité et le temps de retraite.

C'est la globalité du système qu'il faut redéfinir et reconstruire. La CFE-CGC qui a su bâtir l'UNEDIC en 1958 (avec d'autres), l'ARRCO au début des années 60, l'APEC, etc… a la capacité d'imaginer de nouveaux systèmes.
Nous devons bâtir une architecture cohérente et équitable permettant aux salariés d'affronter les difficultés d'aujourd'hui. Nous demandons donc aux politiques de nous définir clairement dans quel sens ils veulent aller.
Nous assistons hélas dans la campagne présidentielle actuelle à une succession d'annonces sans perspective d'ensemble (diminution du déficit, répartition des richesses nationales, accompagnement du vieillissement de la population).
Nous ne pourrons juger de la crédibilité de chacun des candidats que sur des réponses claires sur la gestion et l'utilisation du budget de l'Etat.

Dialogue social et représentativité
Le 12 décembre 2005, Dominique. de Villepin a initié le dossier de modernisation du dialogue social en France, confiant les dossiers à messieurs Chertier et Haddas-Lebel. Il a ensuite décidé de consulter les partenaires sociaux pour élaborer une nouvelle loi. Nous avons rencontré le 1er Ministre ainsi que messieurs Borloo, Larcher et Jacob de nombreuses fois jusqu'à fin octobre 2006 pour élaborer un texte qui puisse être présenté avant la fin de la session parlementaire et de la législature.
Nous sommes arrivés, à ce que nous pourrions appeler " le plus petit dénominateur commun ". Toutefois, la loi a le mérite d'exister et vient d'être adoptée par le parlement.

La modernisation du dialogue social
En substance, cette loi dit que chaque année le gouvernement vient devant la Commission Nationale de la Négociation Collective, dans laquelle siègent les partenaires sociaux, pour expliquer sa vision du code du travail, du champ social et ce sur quoi il a l'intention de légiférer. A charge pour les partenaires sociaux de dire les thèmes sur lesquels ils souhaitent négocier. Le gouvernement ne doit alors plus agir dans les domaines concernés durant un délai de 3 mois renouvelables. Si les partenaires sociaux n'arrivent pas à se mettre d'accord, ils rédigeront un relevé de conclusions dont le législateur pourra s'inspirer, mais il aura à nouveau les mains libres pour rédiger son texte parlementaire.

La représentativité
C'est l'UNSA qui est à l'origine de ce dossier. Suite à son score de 5% aux prud'homales, l'UNSA a souhaité démontrer sa représentativité dans le secteur privé. Le Conseil d'Etat s'est déclaré incompétent sur le sujet. La représentativité des 5 organisations syndicales a été fixée par un arrêt du 30 mars 1966 qui n'a jamais été revu depuis. Depuis bientôt 41 ans, le paysage a considérablement évolué. Le rapport Haddas-Lebel traite de 4 chapitres : la représentativité, le dialogue social dans les PME/PMI, le financement des organisations syndicales et les accords majoritaires.
Pour ce qui est de la représentativité, le rapport a fixé 2 scénarii : l'un dit d'adaptation, l'autre de transformation. Le poids de chaque organisation devrait être mesuré à l'occasion d'un scrutin national, ou un scrutin au sein des entreprises. Dans cette hypothèse seraient alors déclarées représentatives, les OS qui franchiraient le seuil de 5% (scénario adaptatif) ou 10% (scénario de transformation).
Le scrutin de référence n'a pas encore été décidé.

La CFE-CGC a fait un score de 7,01% aux dernières élections prud'homales. En cumul des élections d'entreprise (CE/DP), nous arrivons à 6,6% (mais il faut rappeler que les listes communes faussent les scores).

Rappelons aussi que la part des cotisations, dans le budget global de la CFE-CGC n'est que de 27%. Le reste est fourni par des subventions. Il nous faut donc d'avantage d'adhérents pour renforcer notre autonomie, mais aussi pour nous permettre d'identifier des candidats aux élections et des militants.
Par ailleurs, nous devons gérer, nous aussi le phénomène du " papy-boom ". Il faut rajeunir les équipes CFE-CGC et faire prendre conscience aux jeunes de l'intérêt d'agir collectivement pour défendre leur parcours professionnels et leurs garanties collectives.
Pour cela, il faut que la CFE-CGC démontre de son caractère attractif, offre davantage de services, mais aussi que les employeurs reconnaissent les carrières syndicales. Un salarié qui mène une carrière syndicale, est quelqu'un qui accepte de faire plus au sein de l'entreprise (de se former au droit, à l'économie, à la gestion …).
Il y a un vrai problème d'image de marque du syndicalisme en France. Beaucoup de salariés sont extrêmement réticents à nous rejoindre, car craignent pour leur carrière, mais aussi pour des raisons d'affichage vis-à-vis de leur entourage. Il faut avoir conscience de cet état d'esprit, pour faire en sorte de le modifier.
Un autre piège nous est tendu, avec le projet gouvernemental du prélèvement de l'impôt à la source. Je vous rappelle que les cotisations syndicales sont déductibles à hauteur de 66%. Nous joignons donc l'attestation de cotisation à une OS à notre déclaration. Donc, si ce projet ce concrétise, les employeurs seront informés des appartenances à une OS.

Il n'y a pas de petites mesures sans conséquences. Il faut donc bien appréhender l'ensemble des propositions pour être en capacité d'orienter le système.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Les entreprises et la typologie des emplois évoluent. On voit de nouveaux genres de salariés apparaître : free lance, portage salarial, tous cadres pour la plupart. La CFE-CGC va donc devoir s'adapter.
R :
C'est un problème qui a été abordé à la CFE-CGC dès 1998, aux " assises de la modernité ".
Il est clair qu'aujourd'hui, au long de leur carrière, les salariés passent de plus en plus d'un statut à un autre. Une OS aujourd'hui doit donc être capable de défendre l'ensemble des salariés, quelque soit leur type d'activité. Par exemple, nous avons toute légitimité pour informer les cadres sur des projets de reprise d'entreprise.
Nous revenons au syndicalisme de service, qui consiste à démontrer à nos adhérents actuels et potentiels, que nous avons une expertise, un savoir-faire, notamment autour du réseau de nos représentations.

Q : En France, si l'on regarde l'origine des adhérents aux différents syndicats de salariés, on peut observer que la majorité d'entre eux viennent des " services publiques " et des grandes entreprises.
L'essentiel des embauches actuelles se fait dans les PME, où les organisations syndicales sont très peu représentées. Comment faire pour plus s'intéresser à ces PME ?
Par ailleurs, pourquoi la représentativité des OS ne serait pas abordée sous un angle régional, plutôt que national ?
R :
En ce qui concerne le territorial, il se développe, au travers des lois de décentralisation une responsabilité accrue des régions dans le développement économique, la formation professionnelle. Nous sommes dotés nous aussi d'un réseau représentatif au niveau régional, au travers de nos UR, UD et UL.

Q : Dans de nombreuses entreprises, des militants CFE-CGC ont été précurseurs pour l'actionnariat salarié et ont souvent été à l'origine d'associations de salariés actionnaires dans leurs entreprises pour permettre des actions auxquelles n'avaient accès ni les organisations syndicales ni les représentations du personnel. Il me semble dommage que la confédération ne sache pas profiter suffisamment de cet atout.
R :
La CFE-CGC a toujours soutenu l'actionnariat salarié, en particulier lors de l'élaboration de la récente loi sur la participation. Nous avons permis des avancées significatives dans les négociations. Malheureusement, la pression du MEDEF n'a pas permis toutes les avancées que nous souhaitions. Nous nous battons aussi pour qu'il y ait, au sein des Conseils d'Administration, des représentants des actionnaires salariés.
Toutefois, attention au travers de l'actionnariat salarié qui peut entrainer le salarié à dépendre d'une même entreprise pour son salaire, son épargne et son éventuelle future retraite.
L'actionnariat salarié est la démonstration que l'on croit en son entreprise, et que l'on investit en elle plus que sa capacité de travail, mais à condition qu'il y ait de justes contreparties.
Il est important de souligner que nous devons nous regrouper tous sous l'étiquette CFE-CGC et non plus nous différencier au travers de nos Fédérations respectives. En effet, le patronat, nous contre souvent au travers d'associations d'actionnaires lors des élections de représentation (FCPE, …).

Q : Quels sont les moyens que nous donne la CFE-CGC pour atteindre nos objectifs de croissance et d'augmentation du nombre d'adhérents ? Avez-vous un plan média ?
R :
Depuis un an, je m'emploie à mieux faire connaître la CFE-CGC. Bien entendu, nous avons un plan média. Je travaille depuis le mois de septembre avec une équipe spécialisée. Toutefois, n'ayant pas des moyens démesurés, nous devons optimiser nos performances. Nous sommes conscients que nous devons réussir à attirer d'avantage l'attention.
En un an, j'ai réalisé une somme considérable d'interviews, mais pas sur les grandes chaînes généralistes. Je travaille sur ces aspects. Cela fait partie de mes objectifs.
Notre appellation est aussi un handicap structurel : CFC-CGC (7 caractères, trop long par rapport à la place de plus en plus réduite pour le social). Il y a aujourd'hui une crise globale des médias, liée au développement du numérique, des nouveaux formats de diffusion, des nouvelles méthodes de travail… Dans ce cadre, il y a de moins en moins de place pour le social.
L'actuelle campagne présidentielle monopolise aussi beaucoup les médias en ce moment.
Toutefois, il ne faut pas renoncer devant l'obstacle et cela fait partie de mes objectifs.
En ce qui concerne les moyens que nous mettons à votre disposition, il est clair que nous devons renforcer votre connaissance des services que l'on propose. En effet, je constate que nous avons trop d'adhérents qui ignorent tout ce que nous pouvons mettre à leur disposition (PSYA, Comité Intersyndical de l'épargne salariale…)

Q : Le fait de se syndiquer ne facilite généralement pas la carrière au sein de l'entreprise. Pourquoi ne pas aller voir le législateur sur ce sujet ?
R :
A l'initiative de la CGT, il y a eu un certain nombre de procès en discrimination syndicale auprès de grands groupes. Les entreprises sont donc plus attentives à la gestion de leur personnel syndiqué pour éviter de se retrouver devant les tribunaux. Il y a aujourd'hui une obligation de l'employeur de démontrer qu'il ne pénalise pas les salariés pour actions syndicales.

Q : En Suède, il y a un prélèvement systématique sur le salaire pour adhésion à un syndicat, qu'en pensez-vous ?
R :
Il est important de reconnaître, que beaucoup d'adhésions à une OS se font par relation ou sympathie vis-à-vis d'un individu. D'où l'importance d'un syndicalisme de proximité. Nous comptons donc aussi sur les relais de terrain pour faire croitre nos effectifs.
Le modèle nordique est souvent pris en exemple comme modèle de syndicalisme de service. Il est vrai qu'en Suède, il y a le taux d'adhésions le plus élevé aux OS (près de 80%). Je n'y vois que du bien !
Toutefois, il ne faut pas oublier que le modèle syndical français a été bâti en 1895 (CGT), uniquement sur un mode conflictuel et oppositionnel (lutte des classes). Je pense que nous pourrions évoluer, mais cela demanderait des vrais efforts de tous (plans d'actions et objectifs communs à tous).
Nota : Si comme en Suède, il fallait être syndiqué pour pouvoir profiter du bénéfice des mutuelles…

Q : Le sigle CFE-CGC- ne prend pas en compte une population importante du monde bancaire : les techniciens. Les termes encadrement et cadre-ne sont ils pas trop restrictifs ?
R :
En ce qui concerne notre appellation. Je vous rappelle que la CGC a été créée le 15 octobre 1944. C'est sur ce sigle que nous sommes reconnus représentatifs par l'arrêt du 30 mars 1966. Au début des années 80, la CGC a décidé d'évoluer, car il a été considéré que le seul aspect " Cadres " était trop restrictif. La CFE-CGC a alors été crée. En juin 1999, Claude Cambus a été chargé de modifier notre sigle, mais cela n'a pas été concluant.
Il faut savoir qu'une telle opération demande un budget communication gigantesque: Un cabinet doit vous inventer un nouveau nom, le déposer, vérifier les propriétés intellectuelles, et lancer une campagne de communication importante pour s'imposer dans l'esprit du grand public. Nous n'en avons pas aujourd'hui les moyens. Nous avons une échéance très importante : les élections prud'homales en décembre 2008. Il ne me semble donc pas le moment de modifier un sigle que je l'efforce de faire partager par tous. Je suis conscient de l'importance de ce sujet, mais il sera traité après 2008.

Q : Pour contrer le patronat dans les entreprises, nous sommes souvent amenés à créer des intersyndicales. Ne peut-on faire des intersyndicales autour d'un projet d'adhésion obligatoire à une OS par les salariés pour pouvoir bénéficier des avantages sociaux ?
R :
En ce qui concerne une intersyndicale, je suis d'accord, bien entendu, mais à condition de ne pas y perdre notre âme, ou alors d'en prendre la direction ! Sur le sujet du CPE, par exemple, nous avons crée une " intersyndicale ponctuelle thématique ". Il apparaissait alors comme une évidence à tous d'être en intersyndicale.


Nota : Si l'intersyndicale peut se révéler payante, il ne faut pas oublier que pour des élections, les résultats d'une liste intersyndicale ne seront pas prise en compte dans les statistiques, donc pour la représentativité de la CFE-CGC.

HB