RENCONTRE DU 5 OCTOBRE 2006
invité : M. FRANCOIS HUMBLOT

 

François HUMBLOT dirige le cabinet de recrutement Humblot Grant Alexander, qu'il a créé en 1981.
Avec une cinquantaine de collaborateurs et des bureaux à Paris et dans les principales villes de province, une filiale à Milan et des partenaires dans tous les pays de l'Europe. c'est aujourd'hui le troisième cabinet européen d'origine française.

INTERVENTION DE M. FRANCOIS HUMBLOT.

Notre cabinet intervient sur le segment du dirigeant, de l'expert, du spécialiste du cadre sup, essentiellement par approche directe. On fait aussi un petit peu du recrutement par annonce, c'est 15-20% de notre activité seulement.
On est organisés par secteur d'activité, chaque consultant recouvrant un secteur d'activité spécifique : informatique, technologies, industrie, banque, santé etc…

L'HISTOIRE DE LA PROFESSION :
On est un jeune métier, mais on peut retrouver des références historiques. La première mission de chasse de tête, remonte probablement à Colbert qui a envoyé un agent à Venise pour chercher les maîtres verriers, qui seront à l'origine de la compagnie de Saint Gobain. Le principe est de rechercher du savoir faire là où il était.
Le métier a démarré dans les années 40/50 quand les compagnies américaines ont voulu se développer en Europe. Elles cherchaient des gens pour leurs filiales, et elles en ont chargé des consultants de cabinets de conseil en management (Booz Allen & Hamilton). Depuis, le métier de chasseur de tête s'est créé.
En même temps, sont apparus des cabinets de sélection et d'évaluation issus des recherches faites sur les tests d'évaluation utilisés par l'armée américaine.
On avait donc, d'un coté les chasseurs de têtes qui chassaient les dirigeants, de l'autre coté des cabinets d'évaluation qui faisaient surtout les recrutements de jeunes. La profession s'est développée dans les années 50 à 75.
Au début des années 80 du rapprochement des deux typologies de cabinets avec d'un coté de chasseurs de tête qui sont descendus vers le middle management et de l'autre coté, des " cabinets d'annonce ", qui sont montés vers les dirigeants et la chasse de têtes.
Croissance aidant, on est arrivé " dans les années 90 à un pic dans la profession. On y trouvait à la fois de bons professionnels et d'autres dont on est moins fiers. C'est une chose commune à toute profession naissante mais aussi une source de critiques parfois justifiées.
La première crise arrive en 91 / 93, qui voit disparaître la moitié des cabinets. On assiste à un regroupement progressif de la profession pour aboutir à SYNTEC RECRUTEMENT dont j'ai été élu président à partir de 1996 qui rassemble 150 adhérents qui représentent environ 50% du chiffre d'affaires de la profession. Dans ces 150 adhérents, une large majorité est constituée de structures de moins de 10 personnes.
La profession s'est progressivement structurée, et a commencé à être reconnue et respectée à partir des années 92-93.
Depuis, notre profession a une identité, un savoir faire, une valeur et donc une utilité par rapport au marché de l'emploi.

A partir des années 95, on s'est organisé, pour faire ce métier d'une manière de plus en plus professionnelle, et tout d'abord en mettant les mêmes prestations en regard des mêmes mots (un produit, cela se voit, un service cela se définit).
Nos pratiques ont été mieux définies et respectées ; une mise en commun de nos savoir-faire ont abouti à l'établissement d'un référentiel du métier
Puis on s'est dit que ce n'était pas suffisant et pris conscience que notre métier était un processus qui va de l'analyse du besoin du client, jusqu'à l'intégration du candidat recruté. Il en est résulté une norme construite avec nos clients et l'AFNOR, sortie en 2000.

NOS PRATIQUES :
On a deux clients : celui qui paye (l'entreprise, qui est notre donneur d'ordre) et un autre qui ne paye pas (le candidat) mais qui est un client au sens de la qualité. La norme prévoit des engagements vis à vis des deux.
Le cabinet qui souhaite se faire normaliser, subit un audit par l'AFNOR et il est certifié par rapport à l'ensemble du processus défini par nous et par nos clients. Cette norme représente aujourd'hui le cœur des savoirs faire de nos cabinets et on peut dire que c'est un dénominateur commun.

Notre processus de recrutement normalisé se décompose en quatre parties :

- l'analyse des besoins. C'est la partie la plus importante dont on peut dire que si elle est mal faite, la mission n'ira jamais jusqu'au bout. On fait appel à nous pour les cas compliqués, soit pour un poste avec un gros enjeu (dirigeant), soit parce que c'est un poste difficile à pourvoir (expert, spécialiste), soit parce qu'il y a beaucoup de candidats. Elle doit être faite par le consultant qui doit faire émerger le vrai besoin, discuter avec son client, comprendre ses enjeux, son organisation définir le poste à pourvoir et enfin, le profil du candidat.

- la phase d'identification. C'est la partie recherche qui comprend l'identification des gens qu'on va approcher comme candidats possibles. C'est un travail qui nécessite des savoirs faire proches de l'intelligence économique. On va travailler avec des fichiers, des annuaires, internet, le téléphone. Le but c'est d'identifier monsieur ou madame untel qui est directeur commercial dans telle boite si on recherche un directeur commercial. Après avoir identifié de 20 à 350 personnes qui correspondraient à la cible

- La période d'identification. Sur chaque mission, il y a un binôme consultant - chargé de recherche. Ce dernier chargé de faire l'identification sous le contrôle du consultant, va faire l'approche des candidats potentiels. Ils seront démarchés par téléphone. C'est un savoir faire bien spécifique : il s'agit de donner envie de venir nous voir. C'est une présélection téléphonique. On doit organiser un rendez vous qualifié avec des gens qui correspondent au profil qu'on a défini préalablement.

- La sélection-évaluation. La personne va être rencontrée par un consultant qui travaille en binôme avec le chargé de recherche. Il n'est pas forcement candidat au moment où il arrive dans le bureau du consultant. Il va parler de lui, de ce qu'il a fait, de son expérience. Le consultant parlera de l'entreprise, du poste et verra avec le candidat, s'il y a une adéquation possible. C'est le cœur de notre activité.

- La phase décisionnelle. Le consultant décide de présenter les candidats et de les accompagner dans la phase finale de négociation avec l'entreprise Il accompagne aussi le client dans sa prise de décision et son rôle ne s'achève qu'à la confirmation de la période d'essai. Il peut aussi intervenir en cas de problème comme par exemple l'évolution de l'organisation et des besoins de l'entreprise au cours du recrutement.

DISCRIMINATIONS :
Depuis au moins un an, il y a beaucoup de débats autour de la diversité et de la discrimination. Nous nous sommes beaucoup engagés au niveau syndical pour deux raisons, la première c'est qu'il y a un enjeu sociétal important et notre image est en cause. Lorsque la HALDE a été crée, environ 40 % de leurs dossier étaient relatifs à l'emploi. Même si le gros des recrutements sont faits par les entreprises, nous sommes en première ligne pour les media.
Les débats actuels sur le sujet, contribuent à faire bouger les choses et à faire en sorte que les entreprises raisonnent plus sur les compétences, les données objectives, des critères d'embauche que sur des critères de sexe, d'âge ou d'origine ethnique.

Il reste toutefois beaucoup de freins sur les critères d'âge, ne serait-ce que parce que les critères liés à la pyramide des âges du personnel de l'entreprise ne peuvent pas être négligés. On se trouve alors dans une situation complètement schizophrénique pour les DRH.
On rencontre, même aujourd'hui, des cas de " discriminations positives ", avec la demande expresse de recruter des femmes. Ce n'est pas toujours facile, ne serait ce que parfois, on ne trouve aucune candidate pour le poste proposé et on peut être amené à modifier le profil demandé.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : A combien revient une opération de chasseur de têtes ?
R :
Une mission de chasseur de têtes, c'est entre 25 et 33% du salaire brut annuel de la personne qu'on recrute. La recherche tourne autour de 20 000€.

Q : Est-ce que vous intervenez sur le périmètre européen ou est ce que vous n'intervenez que sur le périmètre français ?
R : Nous intervenons sur le périmètre européen.

Q : Lorsque vous recrutez un candidat pour un poste européen, est il informé de toutes les conditions de son embauche, et en particulier sur les différences qu'il va rencontrer à l'étranger sur la protection sociale et la fiscalité qui l'attendent ?
R : Vous avez cité le cas d'une très grande entreprise dans laquelle les cadres envoyés à l'expatriation sont amenés à découvrir par eux-mêmes les joies et les inconvénients qu'ils vont rencontrer dans leur nouveau pays d'accueil, par exemple l'absence de retraite complémentaire, une assurance maladie réduite, des congés maternité aléatoires… Je vous garantis que pour le service qui a été créé, je ne donne pas cinq ans pour qu'il y ait encore un cadre recruté comme cela qui soit encore dans l'entreprise.
Chez nous, on recrute surtout des " locaux ". Mais dans le cas d'embauche pour l'expatriation, nous sommes très vigilants sur les conditions offertes, et c'est aussi notre intérêt de ne pas mettre sur pied un marché de dupes, qui risquerait finalement qu'à risquer l'échec de notre mission. S'il y a des différences entre les pays, il y a des plus et des moins, et il faut que l'un compense l'autre de manière équitable et en toute connaissance de cause par l'intéressé..

Q : Avez-vous participé à un échange des bonnes pratiques au niveau européen en tant que représentant de cette profession?
R : On a crée il y a deux ans une confédération européenne avec les organisations des différents pays européens. On s'est vu trois ou quatre fois, on les a invités à notre congrès annuel cette année.

Q : Avez-vous rencontré des différences de pratiques dues aux différences culturelles ?
R :
Il y a une grande similitude, notamment en matière de code de déontologie. Il y a très peu de différences entre les chasseurs de tête d'un pays à l'autre en Europe.
Aux USA, la pratique diffère quelque peu. Plusieurs cabinets peuvent être chargés d'une même mission. Ils sont payés quand le candidat est embauché, et c'est le premier arrivé qui gagne. Cette pratique peut conduire à des dérives. Nous préférons signer des contrats exclusifs avec obligation de moyens, pas de résultat.
L'organisation européenne du conseil en recrutement est en train de naitre et plus cela ira, plus on aura d'échanges avec les consultants des autres pays.

Q : Quels sont les critères utilisés ?
R : Dans certains pays, l'âge est plus valorisé que dans d'autres. Au Japon par exemple, plus on est vieux, plus on est compétent. Au point d'ailleurs que c'est difficile pour les jeunes d'arriver à percer. Mais au delà des compétences métier, les critères de personnalités sont les mêmes et cela transcende les pays.
En France, il y a quand même plus de critères basés sur les diplômes et la formation. Aux Etats Unis, on valorise plus l'expérience et l'autodidacte. En France, les lobbies des anciens élèves de grandes écoles sont encore très influents, mais petit à petit, deviennent moins exclusifs, et on tend à élargir les recrutements vers les formations universitaires.
Nota : Il est aussi vrai que si en 1968 un recteur expliquait que la faculté n'était pas faite pour apprendre un métier mais pour acquérir une formation générale, les temps ont bien changé et d'excellentes formations y sont maintenant dispensées.

Q : Il est habituel de voir des anciens fonctionnaires, énarques par exemple à la tête des grandes entreprises françaises. Les fonctionnaires font ils parti de vos cibles ?
R : Très rarement.

Q : Les femmes sont majoritaires en nombre dans la société française et à l'université, mais très rares dans les conseils d'administration des entreprises ?
R :
Chez nous, on est 50 dont 66% de femmes, dix nationalités. Cela donne une équipe formidable qui s'enrichit mutuellement. Je crois beaucoup à la diversité dans le recrutement.
Au niveau du recrutement, il y a un peu plus d'ouvertures qu'avant. Par contre, l'arrivée des femmes dans les conseils d'administration, cela dépend d'autre chose, la gestion de carrière. La pensée dominante chez les DRH est actuellement un peu trop manichéenne. Ceux qui gravissent sont ceux qui sont identifiés comme ayant de hauts potentiels. Or cette identification se fait autour de 30 / 35 ans, une période où les femmes s'investissent souvent moins dans leur vie professionnelle en raison de leur famille et de leurs enfants.
Aujourd'hui, la femme qui sacrifie tout pour sa vie professionnelle réussit. Mais celle qui veut maintenir un certain équilibre au début de sa vie professionnelle est très pénalisée. Pour moi, il faut plutôt raisonner par périodes successives et permettre quand ses enfants ont grandi qu'une femme si elle est brillante puisse accéder alors à des postes importants plus rapidement.

Q : Le fait de travailler uniquement sur le secteur des gens qui n'ont pas de problème d'emploi n'est il pas un risque d'accentuer la fracture sociale ?
R : Le marché du reclassement de ceux qui cherchent un travail est très différent de celui des entreprises qui ont des difficultés à trouver le bon candidat pour assumer un poste. C'est une autre problématique. On travaille sur la partie des gens difficiles à trouver. On intervient sur la partie des gens qui n'ont pas de problème pour trouver un job. Ce qui nous fait marcher, ce sont les créations de poste et les mobilités volontaires.

Q : La graphologie est une activité, qui n'est guère utilisée qu'en France. Est-ce un moyen sérieux de sélection ?
R : La graphologie est un outil pertinent à condition d'être utilisées par de bons. Elle n'a jamais pris au niveau mondial pour des raisons culturelles. Elle n'a jamais pris aux Etats-Unis car les Américains n'écrivent plus à la main depuis plus longtemps que nous.
Aujourd'hui, c'est un outil obsolète, qui est de moins ne moins utilisé parce que les groupes sont de plus en plus mondiaux et que seule la France l'utilise. Ce n'est pas plus du charlatanisme que les tests, mais Ce n'est pas une science exacte. La graphologie est malheureusement presque morte parce qu'elle a été mal défendue par ses organisations syndicales qui n'ont pas su résister aux pressions internationales et des fabricants de tests.

Q : Vos recherches sont essentiellement ciblées sur les personnes d'expérience ayant une activité en rapport avec le besoin de votre client. Comment repérez-vous des personnes de grande expérience qui n'ont plus d'activité en entreprise ?
R :
Ce sont le plus souvent eux qui nous contactent. Il y a aussi ceux qu'on a déjà identifiés et qui sont dans nos " bases candidat ".

Q : Comment détermine-t-on que quelqu'un a un haut potentiel ? Une fois choisi, il sera poussé, aidé à progresser dans sa carrière et de ce fait, peut être empêché de détecter une autre personne qui aurait été meilleure à un autre moment.
R : Vous avez raison. Par contre, je peux vos rassurer, aujourd'hui, l'évaluation de hauts potentiels se fait principalement sur des comportements managériaux.

Q : Dans nos entreprises, on voir encore beaucoup de " plans sociaux " qui prévoient des licenciements des plus de 55 ou même 50 ans. Cette aberration peut elle continuer longtemps ?
R : On s'est trop longtemps voilé la face, et on a assisté à un consensus de fait entre les patrons et les délégations syndicales. Mais faire partir tout le monde à 55 ans a fait qu'à 50, on est considéré comme vieux. Chacun sait que l'espérance de vie qui était de 65 ans quand l'âge de la retraite a été fixé à 65 ans. Maintenant, l'espérance de vie est de l'ordre de 80 ans et augmente régulièrement. Les directions ne peuvent plus se permettre de mettre les plus de 50 ans dans un placard jusqu'à 65 ans, sinon on risque d'aboutir à une explosion sociale. Les DRH et les partenaires sociaux en ont généralement pris conscience, mais pas forcément les directions générales. De toute façon demain, on est dans une situation, en Europe, il y a un phénomène qui fait que malgré tout, on aura une pénurie sur certaines catégories de personnel entre 25 et 50 ans. Ceux qui n'auront pas pris les mesures permettant d'optimiser la gestion des carrières et de faire rentrer du sang neuf et géré plus intelligemment les compétences en interne, vont se retrouver en pénurie de talents après demain et ce sont de concurrents qui auront mieux géré leur ressources humaines qui en tireront profit. C'est vrai dans les industries lourdes, mais c'est encore plus vrai dans les métiers de prestations de services intellectuels tels que le conseil, l'informatique et l'ingénierie.

Q : Comment se répartissent vos clients ?
R :
Nos clients parisiens sont surtout les grands groupes qui nous confient essentiellement les recrutements difficiles, car ils possèdent leur propre service de recrutement. Par contre, nous avons beaucoup de clients parmi les PME, en particulier en province. Ce sont des missions de caractère tout à fait différent. Dans la PME, en général, on est le conseiller en matière de recrutement du dirigeant et on lui fait tous ses recrutements.

Q : Comment est ce que cela fonctionne avec les annonces offres d'emploi publicitaires ?
R : Les annonces d'offres d'emploi, sont soumises aux règles de la publicité, elle ne doit pas être mensongère et elle ne doit pas discriminer. Certains sont plus vigilants que d'autres, il y a des sites irréprochables, genre " cadre emploi "i, d'autres le sont moins. Mais ce n'est pas facile de faire une annonce parce qu'il faut à la fois, qu'elle soit sélective mais pas discriminante. Si elle est trop large, on a trop de candidats qui correspondent ou pas. Si elle est trop fermée, vous n'en avez pas assez.

HB