RENCONTRE DU 7 SEPTEMBRE 2006
invitée : DANIELE KARNIEWICZ


DANIELE KARNIEWICZ est secrétaire nationale de la CFE-CGC, en charge du pôle protection sociale de la confédération..

Elle préside la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse depuis 2001 où elle a succédé à Jean Luc Cazettes.

INTERVENTION DE Mme.DANIELE KARNIEWICZ

Je suis venue aujourd'hui pour vous parler de protection sociale.
Il y a deux thématiques essentielles dans nos vies de salariés, qui sont l'emploi et la protection sociale.
C'est un bien précieux dans ce pays qu'il faut savoir défendre en tant que délégués syndicaux, d'autant plus que nous sommes dans une phase de changement fondamental de la protection sociale.

C'est par ordonnance en 1945 qu'a été instituée la Sécurité Sociale : " destinée à garantir les travailleurs et leur famille, contre les risques de toute nature susceptible de réduire ou de supprimer leurs capacités de gains, destinés aussi à couvrir les charges de maternité ou les charges de famille que les salariés supportent ".

Ces ordonnances, étaient basées sur les principes de solidarité et d'égalité pour tous, sans discrimination ni sélection, garantissant par exemple un même niveau de prestation pour la maladie, quelle que soit le niveau de contribution qui lui est fonction du niveau de revenus (à l'époque uniquement salarial)... Chacun cotise en fonction de ses salaires mais surtout chacun accède aux soins en fonction de ses besoins.
Même si dans les jeunes générations certains se posent des questions sur ces principes de solidarité ce système reste l'un des plus sûrs que l'on a pour faire face aux événements et aux périodes fragiles de la vie.
Mais avec l'augmentation de l'espérance de vie vient l'augmentation des dépenses maladie et retraite, liées à la vieillesse et à la dépendance.
Les plus grosses dépenses de l'assurance maladie sont liées à la Naissance (un peu de maladie mais surtout les congés maternité et tout l'environnement de la naissance) et la Mort avec les 6 mois qui la précèdent avec des coûts énormes des structures médicalisées.

LA RETRAITE :
Les chiffres de la démographie montrent qu'on gagne à peu près un trimestre d'espérance de vie par an.
Ce phénomène, conjugué avec l'effet Papy-boom, fait que les comptes de la vieillesse sont en déficit depuis 2 ans et que le déficit s'accélère.
Sur le régime général uniquement, on va être à 2,2 milliards d'euros de déficit, et on sera probablement à 3 milliards d'euros en 2007.
La loi Fillon de 2003 le prévoyait, mais on savait déjà qu'on n'allait pas tout couvrir, et il a été un peu plus fort que prévu.

Pour équilibrer les retraites du privé, on peut jouer sur trois paramètres :
- Le montant des cotisations, (elles ont augmenté de 0,2% au 01/01/06)
- La durée des cotisations c'est à dire l'âge du départ en retraite
- Le niveau de la pension. (C'est sur lui que jusqu'ici on a le plus joué, en particulier avec les reformes de 93 en faisant passer du niveau des 10 aux 25 meilleures années)

Je pense vraiment qu'il faut arrêter de baisser les pensions. C'est un problème de maintien de la confiance des assurés, en particulier pour les jeunes qui s'ils voient que le système par répartition s'aggrave et risque de ne pas pouvoir assurer la retraite qu'ils sont en droit d'espérer. Ils risquent de se retourner vers les sirènes des propositions de marchands de retraites.
Le système de répartition, reste encore le plus sur de tous, et même si une baisse des prestations reste un risque, celui de la disparition de la pension suite à la faillite d'une entreprise est impossible.(voir l'affaire ENRON).

Nota : Dans les autres pays développés, le problème du papy-boom est le même qu'en France, et les fonds de pension rencontrent des problèmes analogues pour maintenir les niveaux de pension. Non seulement les 15 de croissance par an ne suffit plus pour alimenter leurs caisses, mais ils sont ou seront amenés à vendre des actions qu'ils détiennent. Ils faudra donc qu'ils trouvent acheteurs à bon prix et pour cela ils espèrent bien que ce soit des fonds de pension qui seraient créés en France où il n'y en a que très peu pour prendre le relai et finalement payer indirectement les pensions des retraités des pays anglo-saxons.

Actuellement, si on prend le régime général avec les complémentaires AGIRC et ARCO, un ouvrier-employé peut espérer une pension équivalente à 70-75% de son dernier salaire. Pour un membre de l'encadrement, à la fon d'une belle carrière, son espoir ne dépassera pas 50 à 60%.

La réforme de 2003 ne permet pas encore l'équilibre de a CNAV, car sur les 2,2 Milliards d'euros de déficit, 1,7 Milliards sont dus aux départs anticipés pour longue carrière.
Encore aujourd'hui, il y a beaucoup plus de gens qui partent à 57-58 ans qu'à 60. Il ne suffit pas de parler de l'emploi des séniors si les entreprises continuent de les faire partir avant 60 ans.
Il est prévu dans l'accord et la loi de se revoir régulièrement pour faire le point et faire évoluer le système pour l'amener à l'équilibre.
On peut s'attendre à un durcissement du système, c'est-à-dire un durcissement des trois paramètres montant et durée des cotisations et niveau des pensions.

Il faut aussi avoir un langage clair sur les choix de finances publiques et cesser de faire passer pendant l'été des réformes en douce et sans rien dire. C'est très bien de prévoir des régimes très protecteurs pour les " services publics " tels EDF-GDF, la SNCF, la RATP ou La Poste. Mais si on est capable de prévoir de tels régimes très protecteurs, il faut être capable de l'assurer pour tout le monde. Il faut arrêter de dire aux salariés du privé qu'à chaque fois qu'ils ont une difficulté ils doivent se la financer et de se serrer la ceinture, mais par contre, vous, salariés du privé, avez le droit de payer des impôts pour aider le régime de retraite et de maladie d'autres statuts. Je dis clairement et sans attaquer personne qu'il faut avoir le courage de dire qu'on aide tout le monde et qu'il y ait une certaine égalité d'accès à la protection sociale.

L'ASSURANCE MALADIE :
Le problème est un peu similaire sur l'assurance maladie:
Nous avons un niveau de santé en France qui est satisfaisant, en tout cas c'était vrai il y a 2 ans parce qu'il se détériore. Mais il coûte très cher : 10% du PIB, une des plus fortes dépenses au niveau européen. En revanche on vit plus longtemps et mieux. La réforme de l'assurance vise à dépenser moins et mieux.
La réforme Assurance Maladie de 2004 réaffirme dans son préambule les principes des ordonnances de 1945, de l'universalité des droits et l'accès aux soins pour tous…
Aujourd'hui on nous dit qu'il faut responsabiliser tout le monde, y compris le corps médical.
Il faut éviter les présentations simplistes et les ministères ont tendance à toujours parler des honoraires des médecins.
Il n'est pas normal de toujours entendre s'offusquer que ceux qui ont des responsabilités et des compétences soient bien payés. Comparons les tarifs des médecins et ceux des coiffeurs ou des plombiers…
Pour les médecins, le vrai problème n'est pas que celui des honoraires, et on ferait mieux de parler de numerus clausus, parce qu'aujourd'hui c'est " l'alerte rouge " : on en manque de plus en plus. Le weekend, c'est de plus en plus acrobatique pour en trouver un.
Il faut aussi responsabiliser les patients. C'est le pourquoi du parcours de soin. Le dossier médical qui était personnalisé est maintenant partagé. C'est votre médecin traitant qui va vous guider et on fait le pari que ce pilotage fera baisser le nombre de consultations, de traitements et d'opérations et que ça coûtera moins cher. Cela a été déjà expérimenté et prouvé localement, et avec la participation individuelle à 1€ (qui n'est probablement qu'un début) on espère que la tendance se confirmera dans sa généralisation à l'ensemble de la France..
Il faut s'attendre à un déremboursement progressif, qui vise à diminuer le déficit de la Sécurité Sociale (il est passé en peu de temps de 16 à 4 milliards d'€)
Par contre on aura recours aux complémentaires santé.
Dans vos entreprises vos patrons vont renégocier les contrats collectifs. Si ce n'est pas déjà le cas, vos employeurs ne vous proposeront pas d'augmenter le prix des contrats parce que cela impliquera l'augmentation des cotisations des salariés mais aussi celles des employeurs. Ils vous proposeront de baisser les prestations des contrats collectifs dans un socle commun et on va vous proposer de créer des options individuelles qui coûteront cher. On est loin de l'égalité des soins pour tous. C'est un véritable risque de dérapage.
De fait on se trouve sur une phase d'évolution du choix de société, sans que personne n'ait le courage d'afficher clairement le choix qui est fait. C'est un problème essentiellement politique de choix de la protection sociale qui nécessiterait transparence et pédagogie.
Il faut expliquer les différents statuts existant dans le pays et la façon dont on les finance, comment on cotise et comment on nous restitue nos cotisations. Nous sommes dans un système contributif qui doit le rester. Il faut avoir le courage de dire que s'il faut faire des efforts, ils doivent être partagés par tous.

La mutualisation et la solidarité sont essentielles, mais elles ont leurs limites. Nous nous sommes toujours battus à la CGC et je me battrai toujours pour que ceux qui ont des salaires plus forts puissent verser un peu plus pour qu'on puisse mieux vivre ensemble. Mais la cotisation progressive, qui existe dans certains programmes politiques n'est pas acceptable. D'ailleurs lorsque j'ai demandé que l'on fasse une étude entre le niveau de santé et la contribution par catégorie, on n'en a plus reparlé, car personne n'a voulu regarder les chiffres qui eux sont connus et mettent en évidence que le ratio contribution / utilisation est plus fort pour ceux qui cotisent le plus.
Quand j'ai participé aux travaux du Haut Conseil de l'Assurance Maladie, il y a eu bien sûr des débats sur la CMU mais je n'y rentre pas parce que je pense qu'il faut un socle de solidarité, je ne veux pas d'un système où des gens qui se présentent à la porte de l'hôpital en soient chassés, je ne veux pas d'un système de soins comme aux USA. Il faut savoir soigner les gens qui sont dans le besoin mais il faut savoir être rigoureux sur ce qu'on demande.
Nota : Contrairement aux idées reçues et véhiculées en France, même aux USA, on peut aussi se faire soigner gratuitement, car il y existe de très nombreux hôpitaux de fondations qui prennent en charge les soins pour tous les indigents qui s'y présentent. Et en France avant la CMU et le RMI, personne n'a été chassé de l'hôpital, les municipalités se chargeaient généralement de ce type de secours.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : La Sécurité Sociale et bientôt les caisses AGIRC et ARRCO, vivent à crédit. Mais l'Etat est aussi en déficit et par exemple les impôts sur les revenus sont à peine suffisants pour payer l'intérêt de la dette. Peut-on résoudre le problème sachant le niveau de l'endettement ?
R :
C'est quelque chose que vous voyez dans les publications de la CFE-CGC, au niveau de la recette. C'est vrai qu'il faut aussi se poser la question des ressources de la protection sociale : Nos propositions sont de dire que sur la maladie, il faut créer une cotisation sociale sur la consommation parce que tous les calculs qu'on a fait - Michel Lamy en a fait pas mal - arrivent à la conclusion que si on baisse de 10% les charges patronales qui sont dans le prix de revient et on transfère 10% de ces charges en cotisations sociales sur la consommation des produits, on comble le déficit de la sécurité sociale, parce que la base est plus large. Bien sûr la CGT crie au loup parce que la cotisation sur la consommation touche tout le monde, mais cela permet collectivement d'avoir plus, c'est immédiat et cela touche les produits importés et peut éviter des délocalisations, en particulier dans les services au moins pour l'assurance maladie. Pour les retraites, on dit qu'il ne faut pas révolutionner le système mais faire en sorte que soit soumis à cotisation tout ce qui doit être soumis à cotisation. En plus on constate que de moins en moins d'entreprises paient des charges sociales (exemptions pour les plus petits salaires, pour les séniors etc…) Ces exonérations devaient être compensées par des reversements de l'Etat par des ressources provenant de l'impôt, ce qu'il ne fait pas. De plus, il a été prouvé scientifiquement que ces exonérations ne créaient pas de nouveaux emplois contrairement à ce qui était annoncé. Quel que soit le système, le niveau de vie assuré pour les retraites de nos parents ne pourra pas être maintenu. Ce qui n'empêche pas de prévoir des compléments en placements mobiliers ou immobiliers. .

Q : Les dernières lois régleront-elle le problème de financement des retraites ?
R : La réforme Fillon a une qualité essentielle, sinon de régler définitivement le problème du financement des retraites, celui de prévoir que les partenaires se revoient à période régulière pour faire le point de la situation et prendre les mesures adaptées. Le système français apparaît comme " le vilain petit canard " sur le plan international, suite au lobbying du FMI. Même les polonais viennent nous faire l'éloge de la retraite par capitalisation et de l'assurance maladie privée. Le système par répartition est pérenne par définition, et c'est le seul qui puisse garantir un solde de retraite impossible dans les autres systèmes. Il serait donc préférable de conforter notre système actuel plutôt que d'aller vers d'autres beaucoup plus incertains et risqués.

Q : Comment expliquer qu'un article médical vendu 15€ en Espagne coûte en France 73€ et remboursé par la Sécurité Sociale sur la base de 59€ ?
R : C'est un problème de plus en plus à l'ordre du jour au niveau de la direction de l'assurance maladie. Il y a des sources d'économie qui existent et pas seulement sur les médicaments. Pendant des années, on a demandé aux praticiens conseil de ne surtout pas faire de contrôles sur l'état de santé des personnes… Mais l'ensemble des déviances ne représentent guère plus de 4 à 5% des dépenses. Mais même s'il s'agit de faits marginaux, si on veut faire des économies, on ne peut pas tolérer que des gens abusent du système.

Q : A ce jour, un jeune qui vient de terminer ses études a-t-il intérêt à racheter ses années d'étude ? Serait-il possible d'utiliser l'enveloppe participation intéressement en exonération de CSG et CRDS pour le rachat des années d'étude avant le départ en retraite ?
R : Le rachat des années d'études est une revendication de la CFE-CGC. Le principe a été introduit dans la loi, mais ce n'est qu'un premier pas, mais le prix actuel est encore bien trop élevé pour les salariés. On peut espérer que des améliorations soient obtenues lors des prochaines négociations.

Q : Les entreprises continuent à proposer des accords pour faire partir des salariés de plus de 55 ans. Il y a une complète incompatibilité de ces propositions avec l'allongement de l'âge du départ en retraite, et l'incertitude sur les décisions qui seront prises au niveau national dans les années qui viennent. Quel est l'avis de la CGC sur la négociation de ce type
d'accord?
R :
On est actuellement dans une situation complètement schizophrène. On est favorable à la possibilité de pouvoir cumuler emploi et retraite, et les règles actuelles devraient être améliorées dans ce sens. Par contre, chez les employeurs on constate la tendance à vouloir se débarrasser des plus de 50 ans, alors que l'on sait qu'il va falloir travailler plus longtemps. Le pire, c'est que lorsqu'on négocie un " plan social ", on constate la plupart du temps qu'il y a affluence de volontaires pour en profiter…
Ici comme souvent, l'intérêt général ne correspond pas forcément à l'intérêt individuel, et au niveau des syndicats, on se trouve écartelé entre les deux. Si une entreprise propose une telle négociation, notre rôle est de tenter d'aboutir au meilleur accord possible, mais en y incluant des contreparties à l'embauche, et s'il le faut, pas seulement de jeunes, mais aussi de personnes d'expérience en échange des départs.

Q : Quelle est la stratégie de la CFE-CGC face à la menace qui plane sur l'AGIRC, que d'autres syndicats voudraient voir fusionner avec l'ARRCO ?
R : L'AGIRC est une création de la CGC en 1947 suite à la constatation que les cadres exclus du système de l'assurance sociale d'avant la guerre ont tout perdu de leurs placements en vue de leur retraite avec l'inflation. Pour l'instant, la CGC n'est pas favorable à cette fusion, ne serait ce que si l'ARRCO n'a pas de problème aujourd'hui, une situation analogue l'attend à brève échéance. De plus, une telle fusion entrainerait inévitablement la perte des avantages durement négociés pour les cadres par la CGC, notamment en matière de prévoyance, ce qui est d'évidence un des objectifs masqués du MEDEF. Une réflexion est en cours, et des propositions n'attendent qu'à être validées avec l'aide d'experts. Tâche difficile dans ces temps où certains essaient de remettre à plat les critères de représentativité.
Nota : si le problème est repoussé pour l'ARRCO, c'est essentiellement du fait que les cadres qui en étaient exclus au début on cotisé à cette institution au lieu de réserver leurs cotisations à l'AGIRC.

Q : Connaît-on les différents éléments de la structure des dépenses de la Sécurité Sociale. ?
R : Dans les dépenses d'assurance maladie, la moitié est réservée à l'hôpital. Je suis membre du conseil d l'assurance maladie, et je confirme que lorsque ce conseil demande des éléments sur les comptes, ils lui sont fournis avec tous les détails… sauf pour l'hôpital ! Et ce sous prétexte que l'hôpital a une mission de service public qui ne pourrait pas être comparé avec le reste. Il est actuellement impossible de pouvoir repérer les raisons des surcouts. On sait qu'il y a de sérieuses économies à faire, ne serait-ce par exemple qu'il n'existe pas dans cette institution de centrale d'achat, et que les commandes dans un hôpital sont souvent passées service par service. L'hôpital n'a pas de notion de dépense et d'économie, contrairement aux cliniques privées. L'enjeu est de taille, mais ça prendra du temps, car il s'agit d'un problème culturel.

Q : Où en est on par rapport aux dérives prédatrices de l'Etat sur la trésorerie de la sécurité sociale ?
R :
Un certain nombre de décisions gouvernementales entrainant des dépenses supplémentaires de la sécurité sociale devaient s'accompagner de reversements de sommes importantes de la part de l'Etat. Dans les faits, ce sont plusieurs milliards d'€ que n'ont jamais été versés, comme par exemple dans le cas du régime agricole…
Le déficit se creuse d'année en année et l'Etat n'a jamais dit comment il allait résoudre le problème, sinon qu'il propose régulièrement de modifier les règles de compensation… sur le dos du privé.
Nota : l'utilisation par des entreprise des mesures pour lutter contre le chômage à la limite de la légalité couterait près d'un milliards d'€ à la sécurité sociale.

.HB