RENCONTRE DU 5 JANVIER 2006
invité : M WESTRELIN
Secrétaire national de l'Union des Professions Artisanales

M Westrelin était jusqu'à récement artisan charpentier dans le Nord de la France.
Malgré son départ en retraite, il continue à se dévouer à la cause de ses anciens collègues artisans et à militer au sein de l'UPA dont il est secrétaire national.
INTERVENTION DE M WESTRELIN

J'étais, il y a très peu de temps, artisan charpentier bois, dans les Flandres, sur la frontière Belge, entre Lille et Dunkerque. Une entreprise artisanale de huit salariés Nous faisons des charpentes, salles de sport, du lamellé-collé, des charpentes de maisons, d'écoles, de salles des fêtes, l'entretien et la réparation, quelques fois dans des clochers

Avec mes huit salariés, on est très éloigné des grandes entreprises que vous représentez. Comme j'avais commencé de travailler un peu avant l'âge de seize ans, j'ai pu récemment bénéficier de la loi permettant les départs anticipés pour les longues carrières et partir en retraite à 59 ans. Mais si j'ai pu partir en retraite c'est parce que j'avais un repreneur à qui transmettre l'entreprise, que j'ai épaulé pendant deux ans et qui maintenant vole de ses propres ailes.

Je suis vice président de la CAPEB, (Confédération de l' Artisanat et Petites Entreprise du Bâtiment) et à ce titre je siège à l'UPA (Union Professionnelle Artisanale)

L'entreprise artisanale est une entreprise qui compte de zéro à 20 salariés. Juridiquement, il s'agit d'une entreprise de moins de 10 salariés (au départ), et qui est inscrite au registre de la Chambre des Métiers.
Depuis 1996, la loi Raffarin permet le développement de ces entreprises artisanales et de conserver leur inscription au répertoire des métiers les entreprises de plus de 10 salariés. Mais la moyenne est de 4 salariés.

L'artisan est donc dans son entreprise le chef d'entreprise, le DRH, le responsable administratif et commercial, le responsable technique, le conducteur de travaux, le chef d'atelier… Dans 70% des cas, il est aidé dans ses taches par son épouse.

Les activités du monde artisanal recouvrent de l'ordre de 250 métiers qui regroupent des métiers du bâtiment (carreleur, plombier, chauffagiste maçon, électricien, menuisier, charpentier…), de l'alimentation (boucher, boulanger, charcutier, chocolatier glacier…), des services (soins à la personne, esthéticienne, coiffeur), la mécanique et les métiers des métaux -hors construction- (horlogers, joailliers), les métiers du vêtement (couturières, tailleur, fourreur ), les écrivains publics (il y en a de plus en plus).

Le monde de l'artisanat recouvre 850 000 entreprises inscrites au répertoire des métiers réparties essentiellement:
- 12 % dans l'alimentaire
- 13 % dans les métiers de service
- 39 % dans le bâtiment et les travaux publics
- 31 % dans les transports et la réparation

Ce qui fait entre 2,2 et 2,3 millions de salariés. Et trois millions d'actifs car le chef d'entreprise participe directement à la production.

Tout ce monde professionnel est structuré en syndicats, au sens de la loi de 1884, à l'identique des syndicats de salariés.

Ces syndicats sont regroupés en fédérations professionnelles.
Dans l'alimentation on retrouve par exemple les fédérations des bouchers, des poissonniers, des pâtissiers, des coiffeurs etc… Elles sont regroupées dans la confédération CGAD (Confédération Générale de l'Alimentation de Détail - section artisanale car chez eux, il y a aussi la section grandes entreprise -).

Au niveau des services transport, métaux et autres, il y a 40 à 45 fédérations professionnelle (mécanique taxi, horlogers, etc…) réunies en dans la confédération, CNAMS (Confédération Nationale des Artisans des Métiers de Service).
La troisième confédération qui est née en 1946 est celle du bâtiment, la CAPEB, (Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprise du Bâtiment), dont je suis un des vice présidents. Elle regroupe 100 000 adhérents et les huit unions nationale artisanales professionnels du bâtiment qui regroupent les 20 métiers

Une quatrième fédération de création récente mais qui connaît une croissance rapide est la chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage. Cette fédération s'est développée sous la houlette de la CAPEB mais pour des métiers qui sont très spécifiques qui sont ceux des travaux publics et du paysage.

Ces trois grandes confédérations se sont regroupées en 1980 dans l'UPA (Union Professionnelle artisanale) dont je suis un des membres du conseil national et cette structure nationale se retrouve au niveau territorial et départemental.

Depuis les années 70, nous nous battions pour la mise en place d'organismes de prévention qui soient rendus obligatoires avec des minima raisonnables, car jusqu'ici, comme chefs d'entreprises, nous étions nettement moins bien protégés que nos salariés. Ce n'est que dans les années 80 que nous avons pu obtenir des protections analogues à celles des salariés.
C'est en 1981 que l'UPA a été pour la première fois invitée avec les autres partenaires sociaux pour un tour de table à l'Elysée.

Cela n'a certes pas fait plaisir du tout, à l'époque, au CNPF ou la CGPME, mais toujours est-il que représentant 850 000 entreprises et près de 3 millions d'actifs, il était inadmissible que l'on soit encore oubliés.

La loi de 1971 sur la formation continue avait ignoré les entreprises de moins de 10 salariés, ce qui excluait les entreprises artisanales de la possibilité de mutualiser des fonds pour la formation. En 1982, nos organismes consulaires ont mis en place un système propre à l'artisanat, qui en 1985 a été aligné sur les autres fonds par accords entre l'UPA et les centrales syndicales de salariés avec la création de FAF (Fonds d'Assurance Formation devenus OPCA depuis). Cela ne s'est pas fait sans une vive opposition du CNPF et de la CGPME.

Il a fallu constamment se battre pour faire entendre notre voix. Mais désormais, l'UPA est reconnue comme partenaire à part entière, et nous siégeons dans les réunions interprofessionnelles au niveau national. Nous participons désormais également à la gestion des organismes de sécurité sociale. D'ailleurs, lors de la dernière crise lorsque le MEDEF et la CGPME ont claqué la porte et n'ont plus voulu siéger dans les caisses de sécurité sociale, nous avons estimé plus responsable d'y maintenir notre présence (en particulier du fait de l'importance des allocations familiales pour la majorité des artisans et de leurs salariés) et pendant 6 ans, de gérer ces organismes. Ce fut pour nous l'occasion de se joindre aux centrales syndicales de salariés pour gérer les dossiers de ces organismes.

L'artisanat est désormais très actif dans la négociation collective paritaire. L'UPA et les différentes branches de l'artisanat ont négocié de nombreux accords avec les centrales syndicales des salariés : les 35h dans le bâtiment dès 1998, de nombreux accords territoriaux sur les salaires, en 2002, l'UPA a négocié un accord cadre pour la mise en place des chèques vacances etc…

Comme nous sommes de petites entreprises nos moyens sont limités, et le dialogue social demande du temps. Chaque fois qu'un artisan quitte son entreprise pour s'occuper de la collectivité artisanale, on lui trouve un dédommagement. De même pour les salariés appelés à participer à une négociation ou des responsabilités. Pour que ce ne soit pas le chef d'entreprise qui supporte à lui seul la dépense, elle est mutualisée à travers une cotisation qui se monte à 0,15 % de la masse salariale. Ce fonds sert également à financer le remplacement d'un salarié qui part en formation.

Un accord inter pro du 12 décembre 2001 sur le dialogue social dans l'artisanat a été étendu sous condition que les négociations se fassent par branche, sauf pour les branches du bâtiment et des services sous la pression du MEDEF et de la CGPME qui prétendent que cet accord imposerait le financement des syndicats de salariés par les entreprises..

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Qu'est ce qui différencie un artisan d'un commerçant ou d'une profession libérale ?
R : L'artisanat est essentiellement défini par la transformation du produit par le travail essentiellement manuel de l'artisan. Un boulanger qui fait son pain, un coiffeur, une esthéticienne, un tailleur, un plâtrier sont des artisans. Un épicier, un marchand de vêtement sont des commerçants. Ils vendent ce qu'ils achètent sans le transformer. Par contre, un ingénieur qui ferait de l'ingénierie, des études ou du conseil ne ressort pas de l'artisanat mais des profession libérale et serait rattaché à l'UNAPL. Les artisans sont enregistrés au registre des métiers, les commerçants à la Chambre de Commerce et de l'Industrie

Q : Les branches artisanales ont négocié un accord 35h. Comment les artisans l'appliquent ils pour eux même ?
R : Pour les artisans, les 35h, c'est deux fois par semaine. En fait, les artisans ont aussi profité d'une diminution de leur temps de travail et désormais, ils n'hésitent plus comme avant de prendre des congés. Il y a eu aussi un effort d'organisation, et si l'épouse de l'artisan partage le plus souvent les responsabilités ,en particulier administratives, le secrétariat à temps partagé commence à se développer et des négociations ont même été entamées sur le télétravail.

Q : Une EURL peut elle être considérée comme de l'artisanat ?
R :
L'EURL (Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée) est une structure identique à la SARL, mais avec un seul actionnaire. Elle a été mise en place à la demande des artisans. Cette structure permet à l'artisan de s'assurer un revenu régulier, le résultat de l'entreprise devient un revenu supplémentaire. Le second avantage est la plus grande facilité de transmission de l'entreprise par rapport à l'entreprise unipersonnelle dans laquelle la totalité des biens de l'intéressé est concernée.

Q : Cotisez vous aux ASSEDIC ?
R :
Ce n'est pas encore le cas et les discussions continuent à ce sujet. Les commerçants sont généralement contre, j'en suis un peu moins sûr pour les artisans, mais pour ma part je serais favorable à une adhésion obligatoire. Mais les entreprises artisanales cotisent pour leurs salariés. Une caisse de chômage privée, la CGS, a été mise en place par accord entre le MEDEF, la CGPME et l'UPA. Mais l'adhésion n'y est pas obligatoire.

Q : La campagne de publicité présentant " l'artisanat comme la première entreprise de France " a-t-elle eu un impact ?
R :
Il a été extrêmement important. Elle a pu être réalisée grâce à la mise en place d'un fonds de communication initié par l'UPA, à partir d'une modeste cotisation annuelle de chacune des 800.000 entreprises artisanales.
Nota : L'Etat (Bercy) s'est empressé de le mettre sous tutelle dès sa création (voir la page internet : http://www.pme.gouv.fr/essentiel/formation/promotion_metiers/FNPCA.htm ) en nommant à sa tête 5 " personnes qualifiées " pour seulement 3 représentants de l'APCM (Assemblée Permanente des Chambres des Métiers), certes élus par les artisans, sachant que cet organisme dépend également du ministère de l'industrie et du Commerce.
D'autres campagnes ont suivi et continueront , par branche, mais aussi à l'attention des jeunes et des formations à nos métiers..

(voir le site http://www.artisanat.info./ )


Q :
En ce qui concerne la responsabilité sociale , comment le code du travail est il appliqué par les artisans, en particulier vis à vis des licenciements ?
R :
Même si on est une toute petite entreprise, on est soumis exactement aux mêmes dispositions que les grandes. Dans nos petites entreprises on n'a pas pour habitude de gérer le personnel avec des plans sociaux.
Lorsqu'il y a des décisions douloureuses à prendre au niveau des entreprises artisanales, elles sont toujours prises beaucoup trop tard parce qu'il y a une relation qui se développe entre le chef d'entreprise et ses salariés. Dans le bâtiment, le chef d'entreprise travaille avec les gars sur le chantier. Ce sont ses collègues de travail. Après il a la responsabilité à gérer tout cela. Quand il y a des problèmes économiques au niveau de l'entreprise, les décisions douloureuses sont prises généralement trop tard. Du fait du relationnel, on pense toujours que boulot va bien revenir.
Mais de plus, l'artisanat a un déficit de recrutement extrêmement important. Aujourd'hui, nous avons de moins en moins besoin de main d'ouvre peu qualifiée, mais de plus en plus de personnes possédant le métiers. Et chez nous, il ne s'agit pas seulement d'une simple compétence professionnelle comme dans une entreprise industrielle, mais de la maitrise de toute la chaine des opérations et pas seulement d'une partie d'entre elles. Chez nous, le maçon coule du béton, fait des fondations, monte les murs avec des parpaings ou avec des briques ou avec de la pierre, coule les linteaux, fait tout. Ce n'est pas d'avoir seulement la compétence professionnelle de savoir maçonner des parpaings.
C'est ce qui explique que ce n'est pas si facile à trouver. Une des meilleures écoles, c'est l'apprentissage. Pas celui à quatorze ans, mais l'apprentissage choisi des jeunes gens ou jeunes fille qui avec un bon BEPC ou un bac disent " on voudrait rejoindre un métier du bâtiment, un métier de service, un métier alimentaire et l'appendre par apprentissage ". A ceux là, on va apprendre le métier et ils deviendront extrêmement compétents qui pourront conduire des chantiers. Chez nous, les chantiers n'ont pas 500 salariés mais une dizaine tous corps d'état confondus.
Et pour un grand nombre d'entre eux, s'ils ont le goût de l'engagement, ils deviendront eux mêmes artisans.
Il y a de plus en plus d'entreprises artisanales qui ont mis en place l'épargne salariale, les chèques vacances et qui les abondent. Certains ont même mis en place une participation aux résultats pour leurs salariés.
Généralement, l'artisan a été un bon salarié qui a fait le pas, donc cette vie là il la connaît bien. Et ce pourquoi, il s'est battu avant, eh bien, il continue, c'est un peu le même cheminement.

Q : Quid de l'emploi des handicapés dans l'artisanat ?
R :
L'obligation d'emploi d'handicapés ne concerne pas les entreprises de moins de 10 salariés. Par contre beaucoup d'artisans sont des handicapés qui se sont reclassés. Dans certains métiers où on travaille assis, on a pas mal de handicapés qui sont devenus artisans. Bien évidemment, pour tous nos métiers qui demandent des efforts physiques, l'emploi d'handicapés s'avère difficile.
Je peux citer le cas de mon fils, qui a débuté dans une entreprise dont le patron était un handicapé. A l'origine, il avait eu un accident de sport, et perdu son travail. Il a donc développé les machines numériques ce qui lui permettait de travailler à partir de son bureau.

Q : Mon fils vient de s'instaler comme artisan. Il a des commandes plus qu'il ne peut en faire, mais son problème est de trouver des locaux.
R :
Il y a quelques années, les chambres de commerce et des métiers s'associaient aux collectivités locales pour créer des zones artisanales. Ce n'est hélas plus guère le cas, et elles se sont recentré sur des objectifs qui ne sont pas forcément de leur ressort. Par contre, des organismes en relation avec les conseils généraux ont pris le relai et ont créé des zones artisanales. Le CAPEB devrait pouvoir le renseigner sur les possibilités existantes.

Q : Il est souvent difficile pour un jeune qui veut se lancer dans l'apprentissage de trouver une entreprise qui veuille bien l'accueillir.
R : L'apprentissage, on en parle beaucoup, on crée des emplois dans ce domaine mais on ne fait pas tous les efforts qui doivent être faits. Aujourd'hui, sur plus de 200 000 apprentis, sachez que 85 % se retrouvent dans des entreprises artisanales. Mais il n'y a que 15% des entreprises artisanales qui acceptent des apprentis. Cela représente un effort important pour ces entreprises, et beaucoup de temps passé par les artisans pour les former. Il faut cependant reconnaître que l'apprentissage, longtemps dénigré par le corps enseignant qui y destinait les élèves les plus médiocres est désormais reconnu universellement comme un moyen de formation à privilégier.
Prendre un apprenti pour n'en faire qu'un manœuvre ne sert à rien. L'entreprise doit vraiment s'engager à le former. On avait l'habitude de dire que la première année, il y a un engagement important du chef d'entreprise ou du premier salarié si bien que l'apprenti coûte énormément à l'entreprise ; la seconde année, cela s'équilibrait un peu et c'est seulement la troisième année que ça devient bénéficiaire pour l'entreprise. Mais au bout des trois ans on a un salarié bien formé, et contrairement aux métiers de bouche qui forment des apprentis et après les laissent partir, dans le bâtiment, on a toujours essayé de former ses propres ouvriers, extrêmement compétent, même avec un niveau de départ comme un CEP ou un BEPC.
L'UPA a également une convention avec l'éducation nationale pour pousser les artisans à prendre des stagiaires.

Q : Que vous a amené le chèque emploi ?
R : On a besoin de vraies dispositions pour faire de l'embauche. Cela fait 30 ans qu'on réclame un financement équitable du social qui est financé par les entreprises. Aussi longtemps que l'on ne s'appuiera que sur la masse salariale, dans les petites entreprises qui utilisent beaucoup de main d'œuvre, ça freinera l'embauche.

Q : On parle beaucoup du remplacement d'une partie des " charges sociales sur les salaires " par une contribution sociale sur la valeur ajoutée (pratique déjà mise en place au Danemark).
R : Pour nous, c'est tout ce qui participe à la richesse du pays qui doit participer au financement de la protection sociale, et pas seulement la richesse produite par de la main d'œuvre. Mais il ne faut pas que cela prenne la forme d'une taxe, car ce ne serait plus les partenaires sociaux qui géreraient mais l'Etat. Aujourd'hui, toute la richesse fabriquée par les robots ou par les finances ne participe pas au financement du social. Construire une maison de 150000 euros, cela peut représenter entre 3000 et 4000 heures de travail, pour une Laguna à 30 000 euros, il n'y a pas cent heures.
C'est aujourd'hui, le cœur de nos revendications. Un allègement sur ce qui pèse sur les salaires entraînera pas mal de possibilités d'emploi dans les petites entreprises. Depuis dix ans, les entreprises de plus de 50 salariés ont dégraissé d'un million de salariés et on est toujours a 10 % de chômage. Qui a fait l'effort sinon les petites entreprises.

Q : Que pensez vous des " Contrats Nouvelle Embauche ?
R :
Les partenaires sociaux ont été reçus par le premier ministre . L'UPA a développé l'idée d'une période d'essai de trois à six mois. On embauche des gens qui ont un métier et un mois d'essai, c'est un peu court. Pour les cadres c'est trois mois renouvelable une fois. Qui a fait de la surenchère derrière ? On n'en sait rien. On aurait pu croire que c'était la panacée pour les petites entreprises. Si vous regardez les métiers alimentaires ou de service, ils voient vraiment cela comme un moyen de développer l'emploi. Au niveau du bâtiment, on est plus réservés

.HB