RENCONTRE DU 6 0CTOBRE 2005
Invité : Michel Cotilleau Président d'AVENIR-ECOLE CFE-CGC

Michel COTILLEAU préside le syndicat AVENIR ECOLE, syndicat qui au sein de la CFE-CGC représente la fonction publique de l'enseignement primaire.
INTERVENTION DE MICHEL COTILLEAU

Après l'école normale, et une longue carrière avec le titre d'instituteur, je suis depuis 2003 " professeur des écoles " par liste d'aptitude car je n'ai pas voulu passer le concours qui me semble être une escroquerie intellectuelle.
En fait le métier est exactement le même, seule la paie a augmenté.

Ce parcours a été toutefois interrompu un an ½ par une incursion dans le privé, dans le cadre d'un congé de mobilité, après quoi j'ai voulu créer ma propre entreprise, projet pour lequel j'ai bénéficié de nombreux soutiens, sauf celui des banques. J'ai donc mis fin à ma mise en disponibilité et suis retourné à l'éducation nationale.
Un parcours un peu atypique, mais ce passage dans le domaine privé m'a beaucoup appris.
Je suis syndiqué à la CGC depuis 1977, à l'époque à l'USNEF, (syndicat créé par des rapatriés d'Algérie). Après de multiples évolution et le départ de la CFE-CGC du SNE, nous avons créé en mai 1999 " Avenir Ecole " que je préside actuellement.
Je représente également la confédération à la Commission Nationale de la Certification Professionnelle.

Dès la première année, et malgré notre petite taille, nous avons obtenu 1300 voix, soit 0,62%, ce qui nous a donné droit à 3 décharges ½ de service ; ce qui permet d'avoir des permanents ou des semi permanents.
En 2002, nous avons plus que doublé notre score et obtenu un élu dans le département du Haut Rhin. Nous avons de nouvelles élections professionnelles en décembre prochain, et nous présentons des listes dans 3 département : le Haut Rhin, le Pas de Calais, et le Nord.
Le Nord est le département dans lequel il y a le plus d'enseignants avec 15000 électeurs sur un total en France de 350.000 dans le corps de professeurs des écoles et instituteurs. Nous avons également déposé une liste nationale.

Dans le cadre de l'enseignement primaire, une dizaine de syndicats se présentent, dont :
- L'UNSA,
- le SGEN CFDT,
- le SNUDI FO,
- SUD Education,
- la CFTC,
- la CGT,
- le SNE
- Avenir Ecole.


Nota : Le SNUIPP-FSU est né en 91 de la scission du SNI entre la FSU et l'UNSA enseignants, cette dernière est sur le point d'éclater suite à la menace des autonomes de reprendre leur liberté, conséquence de la mutation des ATOS vers les structures décentralisées.

Ces syndicats se répartissent en deux camps : les syndicats réformateurs et les syndicats conservateurs, sachant que les conservateurs sont encore largement majoritaires.
Le paradoxe est que ces syndicats, très conservateurs, ont une enveloppe révolutionnaire veulent se donner une image très moderne, et sont tout ce qu'il y a de plus ringard en ce qui concerne les idées. Leur principale préoccupation est que surtout rien ne change. Mais au fond, il ne s'agit que d'enjeu de pouvoir, et le paysage commence à évoluer.

Ceux qui s'affiliaient auparavant à la FSU croyaient qu'en adhérant au syndicat largement majoritaire, on avait des chances d'être mieux défendus, et se rendent compte progressivement qu'il n'en est rien. En fait de syndicat de défense, il ne fait que de la cogestion avec l'administration et de ce fait évite de prendre des positions qui risquent de remettre en cause un certain pouvoir.

LES ORIENTATIONS D'AVENIR ECOLE :

C'est avant tout un syndicat " force de propositions ".
Les enseignants font partie de la société et ne peuvent pas s'abstraire de l'évolution de cette société.
Nous travaillons sur un dossier de propositions pour que les écoles primaires obtiennent enfin un véritable statut juridique, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Nous pensons que des regroupements administratifs (non pas géographique ) amenant une meilleure équité de traitement, notamment au niveau des crédits scolaires, et une mutualisation des moyens permettraient une économie d'échelle.

Au delà des discours syndicaux habituellement diffusés par les media, nous considérons que les moyens existent, mais sont très mal répartis.

Nous nous battons sur cette proposition d'établissement d'enseignement primaire depuis 1999, repris dans la loi de décentralisation d'août 2004, qui offre la possibilité aux communes de l'expérimenter. Seul hic, le ministère n'a pas publié les décrets d'application. Dans ce schéma, le directeur d'école devient un chef d'établissement, avec les mêmes pouvoirs qu'un chef d'établissement du secondaire, c'est à dire tous les pouvoirs pour faire fonctionner son établissement (sans aller jusqu'au pouvoir de notation, qui risquerait d'entraîner une guerre inutile) et devenir l'interlocuteur vis à vis des collectivités locales, des parents et de l'administration.

Nous travaillons également sur l'évolution du métier d'enseignement. L'école publique qui fonctionne depuis Jules Ferry a peu évolué depuis, ni dans ses structures ni dans son fonctionnement. Nous avons réfléchi à des parcours professionnels diversifiés dans une filière de métier dans l'éducation et la formation. Au lieu d'être à la remorque de ce qui se fait partout ailleurs, l'éducation nationale doit être moteur dans la société. Et mettre en place des bilans de compétence, la VAE etc…

Il faut surtout réfléchir à l'aménagement des fins de carrières. Par exemple, nous proposons que pendant les 5 dernières années de sa carrière, un enseignant ait un service partagé entre son service d'enseignement et du tutorat pour transmettre des savoir faire aux plus jeunes, car il y a actuellement une terrible perte des compétences.

Nos propositions reçoivent souvent un accueil favorable au ministère, qui à l'occasion sont reprises, mais c'est pour se heurter généralement au blocage systématique des syndicats conservateurs majoritaires.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Le ministère de l'Education Nationale s'est appelé autrefois ministère de l'instruction publique. L'éducation ne fait pas parti des fonctions régaliennes de l'Etat. Est-ce donc à l'Etat que de s'en occuper?
R : Le rôle premier des enseignants est d'enseigner. Le rôle d'éducation incombe aux enseignants, mais surtout aux parents. Si l'un des maillons de la chaine éducative fait défaut, on court à la catastrophe. .

Q : Il y a quelques années, quelqu'un qui rentrait à l'éducation nationale avait tout intérêt à se syndiquer s'il voulait être assuré d'avoir de bonnes notes et des mutations intéressantes. Qu'en est il aujourd'hui?
R : C'était vrai du temps du SNI. Il faisait de la cogestion avec des services administratifs composés en partie d'enseignants affiliés au SNI, qui se chargeaient de dispatcher les dossiers. Aujourd'hui, même si des syndicats tels que la FSU tiennent toujours ce discours, s'il est vrai que du fait de leurs nombreux délégués du personnel, ils peuvent avoir les informations un peu plus tôt, l'usage d'internet pour la diffusion des informations administratives rend cet avantage de plus en plus illusoire.

Q : Un DDTEFP nous disait ici même il y a quelques années : " Lorsque vous mettez vos enfants dans les mains de l'éducation nationale, vous les mettez dans les mains de gens qui sont rentrés à l'école à 5 ans et qui y sont toujours "?
R : C'est vrai. De fait le système est très infantilisant et malheureusement les enseignants ne font rien pour faire changer les choses. Lorsqu'ils partent en formation continue, ils se comportent plus comme des élèves que comme des adultes.

Q : On nous dit que les élèves s'ennuient à l'école, que les contenus pédagogiques ne correspondent pas au monde réel, et que de nombreuses filières et diplômes ne débouchent que vers l'ANPE. Les pédagogies prêchées par les pédagogues professionnels correspondent-elles à la société actuelle?
R : Tous les élèves ne s'ennuient pas. Parmi les causes qui font que les élèves s'ennuient, il y a un environnement extrêmement riche qui fait que l'enseignant a de plus en plus de mal à intéresser les élèves. Mais c'est tout l'art d'un enseignant d'arriver à les intéresser. Par contre, vouloir apprendre en jouant n'est pas la bonne solution, car la vie n'est pas un jeu.
La préparation à la vie nécessite d'inculquer les notions d'effort et de travail.
Quant aux théories pédagogiques actuelles, elles sont inspirées par des psychologues irresponsables, qui pour bon nombre veulent utiliser l'enseignement pour transformer la société par rapport à un projet politique.
Les pédagogies actuellement enseignées dans les IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maitres) sont très pernicieuses. Dans nombre d'entre eux, la notion de travail est complètement bannie (on doit utiliser le mot " activité "). Il y a un langage Ed Nat, que Claude Allègre avait brocardé en son temps lorsqu'il a parlé du " référentiel bondissant " traduction Ed Nat pour dire un ballon…. C'est l'art et la manière d'utiliser ( à dessein) un langage incompréhensible par le plus grand nombre, très destructeur vis à vis de la société.
Chez nous à Avenir Ecole, on estime que l'on est au sein de la société et que l'on doit tenir compte de son évolution et non pas estimer qu'on est les plus savants du monde et vouloir lui imposer ses vues.
(Nota : vouloir imposer ses idées à toute la société n'est-ce pas là l'essence même du totalitarisme)

Q : Beaucoup de filières et d'enseignements ne correspondent pas aux besoins de la société.
R : C'est un problème bien connu de l'adéquation des filières de formation et le marché de l'emploi. A la commission nationale de certification professionnelle, nous sommes amenés à certifier des formations professionnelles en fonction de la qualité des référentiels d'activité de formation , mais aussi et surtout en fonction de leur adéquation au marché du travail.
On touche là un autre problème de l'éducation nationale : l'orientation. On retrouve là des conseillers d'orientation, psychologues qui ont plus la préoccupation de remplir des filières et des classes que des besoins du marché du travail. Il est vrai qu'entre le moment où la création d'une filière de formation est décidée et le moment où le jeune accède au marché du travail, l'évolution soit telle que le besoin ait changé.

Q : Le rôle d'un syndicat est de défendre les droits de ses membres. De quel droit un syndicat aurait la charge ou le droit de décider du fonctionnement, de ce qui doit être fait, de ce qui doit être enseigné et de la manière de le faire ? On peut citer bien des cas par exemple de mutations qui auraient été impossibles sans une affiliation à un de ces puissants syndicats.
R : Si le syndicat a pour vocation la défense des personnels, faire des propositions pour améliorer les conditions de travail fait bien partie de la défense de ces personnels. Nous faisons d'ailleurs des propositions pour réformer. Mais on n'arrive pas à réformer parce que l'on ne sait pas expliquer ce qu'elle apportera en plus.
Tous les ministres qui ont voulu lancer des réformes ont ils demandé l'avis des intéressés ? Il y a bien eu des grands débats, mais la plupart du temps ces grands débats ont été confisqués par les " syndicats majoritaires ". De plus, lors de la remontée depuis les écoles, via les départements, les régions et les différents bureaux des ministères, avec chaque fois un peu d'édulcoration, que reste-t-il à l'arrivée ?
On pourrait aussi souhaiter que la CFE-CGC ait des syndicats à tous les niveaux de l'éducation nationale coté enseignant comme du coté étudiants, qui soient des interlocuteurs incontournables. Il y a beaucoup de chemin d'ici là, mais on travaille à le renforcer.

Q : Avec la création des IUFM, s'il n'est pas reçu en fin d'études, un jeune même avec bac+6 de langues ou d'histoire par exemple se retrouve sans métier et bon pour l'ANPE. Personne ne lui a expliqué ce risque lorsqu'il s'est lancé dans ses études ! Quel pourrait être le rôle d'un syndicat d'étudiants dans ce domaine ?
R : .C'est à ce sujet que nous avons réfléchi au parcours professionnel diversifié, où les gens auraient un socle commun de formation, et choisiraient ensuite un métier, et pourraient par la suite en changer moyennant une autre période de formation, et éviter ainsi tous ces phénomènes de ras le bol qui interviennent inévitablement dans la carrière d'un enseignant.

Nota : L'ensemble de l'éducation nationale représente plus d'un million de salariés. Même si une réforme était avalisée par plus de 70% des membres de cette institution, il serait bien rare de ne pas en trouver 10.000 pour s'y opposer et organiser une manifestation dont l'ampleur sera suffisante pour faire capoter le projet.

Q : Le corps enseignant ne vit pas en harmonie avec la société ; ne connaît pas la précarité, la productivité, les plans sociaux. S'il est certain que du stress existe dans l'enseignement, si des salariés de l'entreprise essaient d'intégrer l'enseignement, c'est peut être parce que c'est pire dans l'entreprise. Il y a une totale méconnaissance de nombreux enseignants de la vie de la cité.
Un autre problème est la dévalorisation systématique du travail manuel par les enseignants.

R : Situer l'enseignant au sein de la société dans laquelle il vit est une de nos principales propositions. Nous pensons même que tout enseignant, même du primaire devrait aller faire des stages en entreprise ; mais de véritables stages d'au moins 6 mois à effectuer les mêmes taches que les autres salariés de l'entreprise.

Q : On constate souvent un mépris affiché vis à vis des parents d'élèves, avec l'assurance du tout savoir mieux qu'eux. Un plus grand échange d'idées entre enseignants et parents d'élève ne serait il pas bénéfique ?
R : .Il faut que chacun reste à sa place. La liberté pédagogique des enseignants est une chose importante. Ce qui ne devrait pas exclure une certaine obligation de résultat. Mais les parents d'élève sont des partenaires de l'école et on doit en tenir compte.

Nota : coté parent d'élève, tout existe : les parents qui se désintéressent totalement de ce que fait leur enfant à l'école, ceux qui sont persuadés que leur génie de petit ange n'est pas considéré à sa juste valeur, mais il y a aussi ceux qui sont parfois scandalisés par les méthodes d'enseignement et les contenus de certains enseignements et des manuels scolaires à la limite du scandaleux et de la désinformation.

Q : Un service public peut être assuré par le privé. C'est le cas pour l'enseignement dont une part importante est assuré par des écoles privées. Avec les problèmes que l'on sait et une demande croissante vis à vis du privé, à laquelle il ne peut répondre faute de moyens suffisants. Ne peut on pas imaginer en France un débat serein sur le sujet et sortir de cette guerre scolaire d'un autre âge ?
R : .
Pour nos prochaines élections professionnelles, à la fin de notre profession de foi, nous avons mis : " dix bonnes raisons de voter pour avenir école… " et terminer par " Ne pas voter avenir école, c'est prendre un risque de voir un jour le service public de l'éducation nationale disparaître ", et les enseignants sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Q : Qu'en est il du stress chez les enseignants et de la santé au travail ?
R : Au sein de la fédération CFE-CGC des fonctions publiques, j'ai été chargé de mission sur le stress et le harcèlement moral, et maintenant sur la santé au travail. A ce niveau que l'éducation nationale est assez sinistrée. Si le stress fait partie intégrante de la mission d'enseignant, mais il arrive trop souvent à engendrer des dépressions nerveuses et ce sont les enfants qui se retrouvent les principales victimes.
Il faudrait trouver une solution de sortie pour eux. Il est dramatique de voir des jeunes en situation d'échec six mois après leur sortie de l'IUFM. Et tout ça parce que au départ on n'a pas vérifié leur aptitude psychologique à encadrer des groupes d'enfants. En plus trop souvent, ces débutants sont envoyés dans des postes des plus difficiles (ZEP où personne d'autre ne veut aller !).
Dans certains IUFM, le contenu de la formation est pratiquement nul par rapport au métier. On leur apprend à faire de " l'occupationnel ", de " l'éducation " de " l'animation " etc… Mais aucun contenu pédagogi-quement parlant. Ils doivent ensuite se former sur le tas, ce qui correspond à sacrifier des générations d'écoliers. C'est inacceptable.
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Q : Passer de l'industrie, du privé à l'éducation nationale, en particulier pour faire bénéficier les plus jeunes de l'expérience professionnelle des plus anciens est une gageure, et lorsque elle se fait c'est dans des conditions plutôt défavorables pour l'intéressé ?
R : Dans la fonction publique CGC, on est tout à fait favorable à la mise en place de passerelles entre le privé et la fonction publique. Mais il faut que cela marche dans les deux sens, et que les compétences soient reconnues de part et d'autre. Quand on parle d'égalité entre le public et le privé, il faut tout considérer. Les avantages ne sont pas toujours du même coté : par exemple, il n'y a pas de comité d'entreprise à l'éducation nationale (Nota : par contre il y en a dans les établissements d'enseignements privé).

Q : Qu'en est il en réalité du temps de travail réel, des rémunérations et des congés des enseignants?
R : Une enquête du BIT a conclu que le temps moyen hebdomadaire des enseignants du primaire était 38 h 10. En fait, le temps avec les élèves s'élève à 27 heures, et le temps de travail total suivant les cas, entre 30 heures et 50. En fin d carrière, après 36 années d'enseignement, je gagne 2100 € par mois net, ce qui n'est pas un salaire de cadre ni d'un salarié d'une autre fonction publique de même niveau.

Q : Dans beaucoup d'autres pays européens, il y a un lien entre le monde de l'entreprise et le monde de l'enseignement. Dans certains cas, les enseignants ont l'obligation de travailler pendant certaines périodes dans des entreprises, acquérir ainsi une expérience différente et rester en contact avec la société extérieure au milieu.
R : La mise en place d'un répertoire des certifications professionnelles, destiné à s'inscrire dans le dispositif européen de transparence des qualifications est en cours. Ce qui n'empêche pas au niveau des ministères, de mettre sur pied un répertoire interministériel des métiers de l'Etat (dans le cadre de la LOLF). Manie bien française, on multiplie les dispositifs parallèles, sans connexion entre eux.
On est en train de réfléchir sur une nomenclature sur les niveaux de formation, alors qu'actuellement on se référencie par rapport à la durée des formations.

HB