RENCONTRE DU 1er SEPTEMBRE 2005
Invité : M. Gerard RAMEIX

Monsieur Gérard Rameix est Secrétaire Général de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF).
Il assure depuis sa création, la direction de cet organisme né de la fusion de la COB et de la CMF, l'équivalent français de la SEC américaine, plus souvent qualifiée de "gendarme de la bourse".
INTERVENTION DE MONSIEUR GERARD RAMEIX

Merci de m'avoir invité.
C'est peu habituel, pour un régulateur d'intervenir dans un cadre comme celui là mais je trouve que c'est une bonne occasion de parler du métier que je fais, de la régulation financière et de ses liens avec les évolutions actuelles des marchés financiers.

L' A M F, Autorité des Marchés Financiers est née en novembre 2003, de la fusion entre la COB, le CMF (Conseil des Marchés Financiers) et le CDGF (Conseil de Discipline de la Gestion Financière).

LES MISSIONS DE L'A M F :

La protection de l'épargne :
La protection de l'épargne investie dans des instruments financiers et dans tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne, principalement les actions, les obligations, les warrants, les OPCVM, les parts de SCPI, à l'exclusion des produits purement bancaires comme des comptes sur livrets. Il s'agit d'une mission de protection de l'épargne.

L'information financière :
Nous consacrons une très grande partie de nos moyens à contrôler la qualité de l'information financière diffusée par les entreprises cotées, en nous assurant qu'elle est donnée de façon égale, honnête, précise et sincère. C'est la base d'un bon fonctionnement du marché financier.

Le bon fonctionnement du marché :
Ce sont des tâches de surveillance ou de police. (On qualifie souvent l'AMF de gendarme de la bourse). Les infractions les plus courantes sont : l'utilisation d'informations privilégiées (le délit d'initié), la manipulation de cours et la fausse information.

Missions de contrôle et de sanctions :
Ces trois missions ont été renforcées par le législateur qui a élargi nos compétences au contrôle des démarcheurs bancaires et financiers, des conseillers en investissements financiers, des agences de notation et de l'ensemble des analystes financiers.
Les pouvoirs publics ont également doté l'AMF d'un réel pouvoir répressif pour sanctionner les abus commis sur les marchés financiers, condition indispensable pour un retour à la confiance, sérieusement ébranlée par les excès aux alentours du millénaire.

Mission de reglementation :
L'AMF réglemente les marchés financiers, c'est-à-dire que nous en définissons les principes d'organisation et de fonctionnement. Nous édictons également les règles de bonne conduite des professionnels.

LES ROLES DE L'A.M.F.

Le rôle international :
La régulation financière s'inscrit dans la mondialisation. Tout d'abord l'européanisation, car il faut créer un marché européen qui soit encadré par des règles les plus harmonisées possible (police des marchés, règles sur l'information, règles comptables). L'AMF est en contact permanent avec Bruxelles et ses homologues européens au sein du CESR.
Au niveau mondial, il existe une organisation internationale des régulateurs (par exemple la SEC aux USA, la FSA en Angleterre) qui fait évoluer l'exercice du métier de régulation sur un plan international

Le rôle de l'AMF :
Il est cantonné à la régulation financière, qui porte essentiellement sur le fonctionnement des marchés, la protection des épargnants et le contrôle de la qualité de l'information.
La régulation " prudentielle ", c'est-à-dire celle qui régule l'assurance et la banque contre les risques " systémiques " (défaillances de ces institutions) n'est pas du domaine de l'AMF, mais de la Banque de France et du CECEI (Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement). Il existe toutefois des relations étroites entre ces deux systèmes de régulation.
Cette séparation existe de manière identique aux USA avec la SEC et la Federal Reserve Institution. En revanche, au Royaume Uni, elles sont regroupées au sein d'une autorité unique, la FSA.

L'INDEPENDANCE DE L'AMF :

La COB était une autorité administrative indépendante, le CMF était aussi une autorité indépendante, mais non administrative. L'AMF, résultat de la fusion des deux, est une autorité publique indépendante de l'Etat, c'est-à-dire indépendante du politique et des professionnels, tout en ayant des relations avec ces deux mondes.

Le collège de l'AMF :
Il est présidé par Michel Prada et composé de 16 membres dont la diversité de compétences est le fondement d'une réelle indépendance. Tous viennent de secteurs variés et sont choisis pour leur expérience. A part Michel Prada qui y consacre la totalité de son temps professionnel, les 15 autres membres y consacrent de l'ordre de 1 à 2 jours par semaine en dehors de leur temps professionnel.
Un représentant de l'Etat, en l'occurrence de la direction du trésor, participe aussi au collège mais sans voix délibérative.

La structure et les moyens :
Les services sont composés de 360 personnes, (80% sont des cadres) que j'ai la charge de diriger.
Si les décisions les plus importantes sont prises par le collège, les autres sont prises par le Président, sur délégation et après instruction par les services, qui rapportent tous les quinze jours au collège.
Une commission des sanctions, de douze membres, composée d'1/3 de juristes et de 2/3 de professionnels, a l'exclusivité du pouvoir de sanctionner.
Cinq commissions consultatives sont composées chacune d'une vingtaine de membres, dont une, créée pour traiter les questions de l'actionnariat minoritaire (comme celles liées à l'actionnariat salarié) se trouve être la commission au regard le plus critique, alors que les autres sont surtout composées de professionnels.
Nous avons aussi réuni au sein d'un conseil scientifique des professeurs d'économie et des directeurs de services d'études de banques.

Les pôles d'activité :
La régulation des prestataires de services d'investissement (intermédiaires financiers, gestionnaires d'actifs…) et des produits d'épargne collective. Tous les OPCVM (FCP, SICAV) sont enregistrés chez nous. De même toute société de gestion qui doit respecter des règles de bonne conduite et des obligations professionnelles, ce dont nous nous assurons.

Les relations avec les émetteurs :
L'AMF réglemente les opérations financières et l'information diffusée par les sociétés cotées. Ces sociétés ont l'obligation de tenir le public informé de leurs activités et de leurs résultats.

La surveillance et la répression :
L'AMF dispose d'une cellule d'une quinzaine de personnes qui, à partir d'outils informatiques performants, surveillent quotidiennement les transactions sur les marchés. Nous avons également une équipe d'inspecteurs dédiés au contrôle des professionnels.
C'est le collège de l'AMF qui, après avoir pris connaissance des travaux d'enquête dont j'ai la responsabilité, décide de l'ouverture des poursuites. Puis, c'est la commission des sanctions délibérant à huis clos qui décide s'il y a lieu à sanction au vu du dossier présenté par le rapporteur, et publie une décision motivée qui peut faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat ou devant la Cour d'Appel de Paris. Depuis sa mise en place, en mars 2004, la Commission a prononcé 67 sanctions à l'égard de personnes physiques ou morales. Chaque décision a un effet pédagogique : elles tracent une ligne entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.

La conception des règles :
C'est notre mission la plus passionnante. Il s'agit de créer des règles qui soient techniquement fiables, adaptées aux évolutions des produits et des pratiques qui évoluent sans cesse et à la concurrence internationale. Elles sont toutes homologuées par le ministre de l'économie.
Il faut que les règles soient certes protectrices de l'épargnant mais aussi adaptées à l'état de l'art au niveau européen. Notre tâche consiste à convaincre nos partenaires européens d'adopter des règles qui nous paraissent raisonnables.

Notre métier est très important et passionnant, quoique extrêmement technique.
Derrière nos interlocuteurs, il y a des enjeux économiques et derrière les enjeux économiques, il y a des enjeux sociaux qui peuvent être colossaux.
Pour conclure, permettez-moi de rendre hommage au travail considérable mené par le Collège, la Commission des sanctions, les Commissions consultatives ainsi que les équipes de l'AMF.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Dans un passé relativement récent on se souvient du cas d'un commissaire aux comptes qui pour avoir eu le courage de suivre la déontologie du métier dans une affaire qui a défrayé la chronique, a subi des tas d'ennuis. Quel est le rôle de l'AMF dans ce type de situation ?
R : Le métier de commissaire au comptes est l'un des plus difficiles que je connaisse. Les règles sont très techniques et très compliquées. Les enjeux peuvent être très importants dans les entreprises. Ils sont à la fois contrôleurs et fournisseurs, continuellement entre le marteau et l'enclume : il est toujours difficile de dire des choses désagréable au client qui vous paye.
Il y a quelques années se sont créés de grands réseaux internationaux dans cette profession, mais dans le même temps ils se sont mis à vendre du conseil, ce qui de toute évidence aboutissait à un conflit d'intérêt, qui a amené ces sociétés à rendre totalement indépendantes leurs deux activités, en France comme aux USA (voir le CR de notre réunion de février 2004). Un Comité avait été créé en France pour faire une revue de la déontologie de cette profession, et la loi de sécurité financière a créé, en 2003, le Haut Conseil du commissariat aux comptes. Les problèmes à ce niveau sont heureusement très rares..

Q : Est il normal que l'on constate des augmentations de capital et distributions de stock options peu avant des introductions de sociétés en bourse (donc généralement à des prix bien inférieurs à la valeur de l'introduction) ? N'y a t il pas dans certains cas un délit d'initié ?
R : Il s'agit d'un sujet très sensible, qui a fait l'objet d'un communiqué de la COB en 2000.
(voir http://www.amf-france.org/documents/general/3438_1.pdf )
Les règles d'évaluation entre une société cotée et une société non cotée sont très différentes, et la société elle même peut évoluer rapidement dans son périmètre comme dans ses activités, de même pour la valeur de ses actions. Toutefois, l'AMF n'est pas compétente lorsqu'une société n'est pas cotée. En revanche, ce qui nous intéresse, c'est la possibilité d'inégalité de traitement entre les actionnaires présents avant la mise en bourse et les nouveaux actionnaires. Certains cas extrêmes peuvent effectivement confiner à l'abus de biens sociaux. Mais le plus important est d'avoir une information financière de bonne qualité sur la marche de l'entreprise (comptes annuels et semestriels).

Q : Dans le cas du tunnel sous la manche, ne pourrait on pas parler de publicité mensongère quand on pense à tout le battage qu'il y a eu lors de l'appel à l'épargne publique ?
R : A l'époque, c'était encore la COB. C'est le cas typique de l'introduction en bourse d'une activité entièrement nouvelle, et personne à l'époque ne savait vraiment ce que ça allait donner. Le problème vient essentiellement de son endettement colossal. Cela fait partie des dossiers difficiles du régulateur français.

Q : Pourquoi l'AMF a t elle émis autant de restrictions lors de l'introduction en bourse de POWEO ?
R : C'est l'exemple même d'un sujet complètement nouveau. Cette affaire était en démarrage et n'avait pas d'historique. Nous étions à peine sortis de la bulle internet, et il était normal qu'avant d'accorder notre visa, nous nous assurions du sérieux de l'affaire et que l'information était suffisante. Le collège a considéré au départ que ce dossier relevait plutôt de capital développement, spécialisé dans le soutien financier aux activités nouvelles (donc à risque) que du marché.
Les actionnaires de POWEO ont finalement inscrit leur société sur le marché libre par une procédure qui permet de se dispenser de visa. Un an après, avec une meilleure visibilité, l'AMF a accordé son visa sur l'opération d'appel public à l'épargne. Pour le collège de l'AMF, alors tout nouvellement en place, il s'agissait d'un dossier similaire à celui qui avait défrayé la chronique dans un autre pays, ce qui peut expliquer sa méfiance.

Q : Lors de la constitution d'AREVA, l'actionnariat salarié de Framatome représentait 16% du capital. L'investissement des salariés avaient eu lieu dans une optique d'autonomie de l'entreprise (ce que la direction de l'époque avait présenté). Lors de la fusion, contrairement aux autres actionnaires Alcatel et Total, les salariés actionnaires n'ont pas eu la possibilité de sortie ou d'arbitrage de leurs fonds, et pire, les certificats d'investissement AREVA qu'ils détiennent actuellement ont été traités séparément et dévalorisés de 30% par rapport aux certificats AREVA traités en bourse. Il s'agit d'un traitement inéquitable
R : AREVA n'est pas une société cotée, et n'est connue de l'AMF que par les certificats d'investissement échangeables en bourse. C'est un des gros problèmes des FCPE pour des titres non cotés par ce que la valeur d'un titre non coté est toujours difficile à donner, mais on est ici à la limite de l'anomalie. C'est un sujet qui touche à la fois le législatif et le réglementaire.

Q : Si l'expert comptables du comité d'entreprise constate que des provisionnements opérés dans les comptes sociaux (donc avec un impact sur l'intéressement des salarié), que ces mêmes provisionnements ont été passés à zéro dans les comptes consolidés, et que l'entreprise refuse de modifier ses comptes sociaux en expliquant que ceux là ont été approuvé par les actionnaires, par les commissaires aux comptes et par le conseil d'administration, peut on faire appel à l'AMF ?
R : Ce ne serait pas la première fois que nous serions saisis sur un tel sujet ; nous avons chaque fois procédé à des vérifications relativement poussées.

Q : Un président, un cadre ou un dirigeant d'entreprise y compris le directeur financier peut il vendre des actions ou exercer des droits d'option sans risquer le délit d'initié ?
R : C'est un cas classique. Il est d'abord soumis au droit commun : si nous nous pouvons apporter la preuve qu'il avait une information sensible c'est à dire dont la révélation au marché aurait pu avoir une influence sur le cours, il ne doit ni acheter ni vendre. S'il le fait quand même, il prend le risque d'être sanctionné.
Nous avons demandé, il y a plusieurs années une transparence aux entreprises sur les transactions faites par les dirigeants. Depuis, les règles ont été agrégées et maintenant les entreprises sont responsables de nous communiquer les transactions exactes effectuées par les dirigeants. Les intermédiaires ont la responsabilité de signaler les transactions suspectes.
Il y a aussi des périodes d'abstention : il ne peut pas y avoir de transaction dans le mois qui précède la publication des comptes semestriels ou annuels.
Qu'un dirigeant possède des actions de son entreprise est une bonne chose en soi et lui interdire d'en acheter ou d'en vendre serait une atteinte à la liberté individuelle.

Q : Quel rôle pourriez vous jouer dans les investissements en provenance de l'étranger ? Je pense notamment aux investissements des fonds de pension américains qui peuvent dans certaines circonstances provoquer des déséquilibres dans les marchés ?
R : Les fonds de pension, qu'ils soient américains ou autres sont soumis à la réglementation comme les autres. Nous les surveillons comme d'autres. Aujourd'hui, même si l'on peut le regretter, plus de 40 % du capital des sociétés du CAC 40 sont étrangers, avec une prédominances des fonds de pension anglais ou américains. Mais le système français a favorisé l'épargne via l'assurance vie et la dette d'Etat, plutôt que vers des fonds orientés vers des investissements plus durables.

Q : Y-a-t-il des règles d'accréditations pour les analystes financiers?
R : Le règlement général de l'AMF prévoit qu'un analyste financier doit être titulaire d'une carte professionnelle délivrée par son employeur. Je vous renvoie au site de l'AMF pour plus de détail sur ces règles.

Q : Comment se passe le dialogue social à l'AMF ?
R : A l'AMF, c'est le secrétaire général qui a la responsabilité de la gestion du personnel, donc du dialogue social, et à ce titre j'en ai à rendre compte au collège, le rôle du président (Michel Prada) est responsable de l'animation du collège et du " politique ". L'AMF est une entité publique sui generis, avec personnalité juridique et personnalité morale.
Comme une partie des salariés a un statut de la fonction publique (en particulier les 80% qui viennent de la COB), et le reste de droit privé, les négociations sont extrêmement complexes, mais conduites suivant les règles du droit privé. Nous avons un accord sur le temps de travail, un CE, de l'intéressement, et de nombreux avantages annexes.

Q : Les notices d'information des entreprises sont de plus en plus détaillées, mais de moins en moins lisibles pour le non spécialiste.
R : La directive européenne sur les prospectus répond à ce souci puisque dorénavant tout prospectus est obligatoirement accompagné d'un résumé qui comporte moins de 2500 mots.

Q : On assiste à une tendance de suivre les pratiques anglo-saxonnes de publier des comptes trimestriels, pratique souvent inadaptée en particulier pour les activités cycliques.
R : Il y a eu un vrai débat au niveau européen sur les comptes trimestriels. En France, on est relativement sceptiques, et relativement partagés. Le sujet a été tranché par une directive européenne qui prévoit que les sociétés publient une présentation des événements importants ainsi qu'une description générale de leur situation financière portant sur le 1er et le 3ème trimestre. Pour un régulateur, une de ses grandes missions, est la qualité de l'information financière. Le passage aux normes IFRS est un défit absolument majeur et la qualité de l'audit sont pour moi une bien plus grande priorité que les comptes trimestriels, et je n'ai pas d'exemple de cas qui fausse le marché.

HB