RENCONTRE DU 28 JUILLET 2005
Invité : Philippe JAEGER

Philippe Jaeger est président de la fédération CFE-CGC de la chimie.
A ce titre, il participe au groupe de reflexion CHIMIE 2015 qui travaille sur l'avenir de l'industrie chimique française.

INTERVENTION DE PHILIPPE JAEGER

Des nouvelles de la Confédération :
J.L. Cazettes est arrêté pour raisons médicales et il est de plus en plus probable que s'il revient, il lui sera difficile de continuer à assumer ses tâches à la tête de la Confédération. Statutairement, Jean-Louis Walter, officie en son lieu et place. Il y aura probablement un congrès confédéral avancé au printemps 2006. Mais la campagne n'est pas encore ouverte pour sa succession.

Du coté gouvernemental :
Dans la déclaration de politique générale de Dominique de Villepin il y a plusieurs mesures essentiellement techniques pour l'emploi (ou plutôt contre le chômage). Le CNE (Contrat de Nouvelle Embauche) en était la pierre angulaire qui a hérissé beaucoup de syndicalistes.
Ce type de contrat particulier est un CDI établi par ordonnance (sortie le 2 août 2005 et applicable au 1er septembre).
Il est réservé aux PME de moins de 20 salariés.
L'entreprise peut embaucher quelqu'un en ayant la possibilité de s'en séparer et lui de partir sans justification, sur simple lettre recommandée, pendant une période de 2 ans. Ce contrat est une des causes majeures de la manifestation qui aura lieu au mois de Septembre ou d'octobre 2005.
Une fois de plus, un gouvernement utilise la période de congés du mois d'août pour faire passer les mesures les plus impopulaires.
Toutefois, cette mesure était largement connue et annoncée depuis quelques temps, et une fois de plus, la mobilisation aura lieu à postériori, une fois que la mesure critiquée est en place, au lieu d'essayer d'intervenir au niveau de la préparation de celle-ci.
La CFE-CGC n'est pas un syndicat révolutionnaire mais réformiste. Nous sommes donc là pour faire des propositions et participer à l'évolution de la société. Mais aujourd'hui, quelles sont nos propositions et nos contre propositions à cette loi, dont nous connaissions le contenu depuis la mi-juin ? La gesticulation ne mène à rien, et si l'on n'y prend garde, le MEDEF risque bien d'insister pour que ce dispositif soient progressivement étendu à l'ensemble des entreprises.
Même si la CFE-CGC n'est pas encore très concernée par ce dispositif du fait du faible nombre de cadres dans les PME, le risque d'extension peut rapidement nous concerner tous.

Nota : Philippe Jaeger pense évidemment à la grande industrie de production qu'il connaît bien, mais au niveau des Services, Ingénierie, SSII, et Conseil, il y a une multitude de PME et TPE dont les salariés sont essentiellement des cadres, souvent très jeunes, peu syndiqués, qui sont ou seront très rapidement concernés par le dispositif. C'est peut être plus aux risques d'extension que son existence propre qu'il faut veiller à empêcher. Il faudra veiller à ce que des groupes plus ou moins importants ne détournent pas la loi en créant des filiales de moins de 20 pour pouvoir user de cette possibilité.

Ce que nous proposons en tant que CFE-CGC :

Les manifestations prévues pour fin Septembre -ou début octobre- (retraites, pouvoir d'achat) arriveront bien trop tard : Cela fera un mois que des personnes auront été embauchées selon les nouvelles dispositions.
Ceux qui seront embauchés sous ce régime se verront refuser des prêts long terme et immobiliers par les institutions bancaires (ce n'est pas évidemment le crédit à la consommation car il est bien connu que les banques sont peu regardantes dans ces cas là même s'il y a surendettement !)

C'est peut être un sujet sur lequel la CFE-CGC pourrait travailler et faire des propositions aux pouvoirs publics. On pourrait imaginer par exemple une caution de l'Etat ou une banque de cautionnement mutuel créée à cet effet pour que ces jeunes embauchés aient un handicap moins important par rapport à une précarité de logement. Pour les propriétaires immobiliers et même pour les propriétaires bailleurs, je ne suis pas sûr qu'ils acceptent de livrer leur logement en bail à des employés ayant cette forme de contrat nouvelle embauche…

Nota : Quand on sait qu'actuellement, le LOCA PASS, sensé servir de caution pour la location d'appartement n'est pratiquement pas pris en considération par les bailleurs, et que souvent, même pour des jeunes ( ?) de plus de 30 ans, en CDI depuis des années (sauf pour les fonctionnaires), ils exigent une caution des parents pour pouvoir louer un logement en région parisienne… Et encore quand ils n'exigent pas copie des bulletins de salaire et de la carte d'identité des parents !

Au bout de 2 ans combien de ces contrats auront été transformés en CDI ? Encore faudra-t-il être prudent dans l'appréciation des chiffres annoncés.

Les patrons de PMI expliquent plutôt que ce n'est pas ce contrat qui va déclencher l'embauche, mais bien sûr la charge de travail….
67% des patrons de PME sondés ont été très critiques face à ce nouveau contrat.
Les artisans et les TPE hésitent souvent à embaucher et de ce fait refusent du travail pour ne pas avoir à embaucher, car ils ont peur des conséquences : devoir débaucher dès que la charge diminue. Ce n'est aucunement le cas pour les PME plus importantes et les grandes entreprises.
Si l'on interroge les patrons de PME, ceux ci auraient préféré le " contrat de projet ". Celui ci avait été proposé par le gouvernement voici plusieurs mois, mais compte tenu de l'opposition syndicale, il s'est rabattu sur le CNE. Ce qui n'empêche pas les services publics de pratiquer allègrement ces contrats de projets, au vu et au su de tous, et en particulier des syndicats de fonctionnaires.

La loi sur les PME risque d'avoir beaucoup plus d'impact que le CNE. De nombreux articles ont été subrepticement introduits au milieu de textes de loi , modifiant substantiellement le code du travail bien au delà de l'application aux seules PME. Comme par exemple l'extension de 2 à 4 ans des mandats au CE (Loi du 13 juillet 2005)
C'est une décision qui peut avoir des conséquences dramatique pour notre population cadres et agents de maîtrise sujette à des mutations fréquentes. La majorité d'un CE peut, bien avant la fin du mandat être laminé et laisser tout le pouvoir à une minorité d'élus dont la légitimité serait alors des plus contestables.

Mais pour avoir un maximum d'influence, les syndicats doivent suivre les projets de loi et de décrets bien avant leur sortie et intervenir auprès des décideurs politiques par des propositions constructives argumentées bien avant leur promulgation, car il est alors bien tard.

Christian Ramajo - Inéum Consulting (Pt de l'UD 77):
Q : Ce que tu as dit sur le contrat nouvelle embauche, d'un point de vue législatif cela peut s'expliquer parce qu'il s'agit d'ordonnances, pour lesquelles il y a peu de discussions et de dialogue social ; mais en ce qui concerne la Loi PME, je voulais en parler un peu ici et savoir qui était au courant que les mandats étaient passés de 2 à 4 ans. Effectivement cet article est passée en catimini. Il n'était pas dans le projet initial de la loi PME, mais du fait d'un amendement d'un Sénateur, qui a été adopté en première lecture au Sénat. Il n'y a pratiquement pas eu de protestation quant à la méthode et c'est passé en première lecture à l'Assemblée Nationale pratiquement sans débat. Les media ont très peu informé sur ce point sinon Liaisons Sociales.

R : La remarque est fondée. En règle générale, à la CFE-CGC, nous assurons une "veille parlementaire" et nous suivons les questions écrites et orales à l'Assemblée et au Sénat. Nous essayons d'intervenir auprès des députés pour leur faire passer nos messages et nos analyses. Cette fois ci, nous n'avons pas eu le temps, puisque il s'agit de modifications de dernière minute adoptées pratiquement sans discussion par les deux assemblées.

Pour la gestion d'un CE, la durée de 2 ans est peut être un peu courte, car la première année on est obligé de jouer avec le budget voté par le CE sortant et ce n'est que la 2ème année qu'on peut commencer à travailler et qu'il faut déjà songer aux élections suivantes. 2 ans c'est donc trop court pour mettre en œuvre une action et vis-à-vis des salariés pour faire reconnaître qu'on a apporté quelque chose de vraiment différent. Certains ont tendance à penser qu'une durée de 4 ans est peut être trop longue. Dans l'administration, il n'y a pas de CE, mais par exemple des CTP (Comités Techniques Paritaires) qui ont une durée de 3 ans, parfois estimée trop courte.
Tout cela montre bien que le débat qui aurait dû avoir lieu avant de prendre la décision aura fait gravement défaut.

Toutefois, des dispositifs sont prévus pour que la durée des mandats puissent être modulés par un accord de branche, de groupe ou d'entreprise entre 2 et 4 ans.

Nota : le problème de l'allongement de la durée du mandat posera inévitablement des problèmes pour les cadres, plus exposés que d'autres aux mutations, dans les entreprises. Peut être y a t il des propositions à imaginer pour le remplacement de ces élus, par exemple de prévoir la possibilité en cas de départs multiples, que les suivants de liste puissent siéger, ou d'autres solutions comme de prévoir des suppléants de suppléants… Comme il s'agit souvent de problèmes liés à des caractères particuliers de branches ou d'entreprises, la liberté de prévoir de telles particularités ne pourraient elles pas être négociées au niveau des branches ?

Cette loi sur les PME votée le 13 juillet comporte aussi un certain nombre de mesures inspirées par un lobbying efficace du MEDEF.
La loi institutionnalise la possibilité pour des entreprises de constituer des Groupements d'Employeurs mais aussi l'extension du Forfait jour aux agents de maîtrise et aux techniciens. Il faudra être particulièrement vigilant sur ce dernier point qui sera plus que probablement l'occasion de bien des abus.

Nota : l'accord de branche 35h signé en 1999 avec Syntec prévoit déjà cette possibilité, soit dans le cas de ce qui y est appelé " réalisation de mission, qui prévoit (pour simplifier) une large latitude de temps de travail et un salaire mensuel au moins égal au plafond de la sécurité sociale, mais aussi des H S, au delà de 39h hebdomadaire et 219 jours de travail annuel ; soit qu'il s'agisse "d'autonomie complète" sans décompte d'heures, mais avec un salaire au moins égal à deux fois ce même plafond.

On attend les décrets d'application, mais les articles du code du travail sont déjà modifiés. Toutes ces mesures ont été de fait intitulées " mesures contre le chômage " et non pour l'emploi.

La presse est pratiquement unanime pour dire que le développement de l'emploi ira avec le développement de la recherche et de l'innovation dans tous les secteurs pour maintenir notre compétitivité face aux pays à bas coût de main d'œuvre .
L'exemple de tout ce qui a été évoqué aujourd'hui est symptomatique : on n'a entendu parler que de diminution d'effectif, de délocalisations, de restructurations à effet négatif, mais rien sur des investissements ou de la recherche.

Nous sommes en train de bruler dans nos véhicules des ressources fossiles qui ont capté du CO² voici quelques millions d'années (idem pour le charbon), CO² que nous renvoyons dans l'atmosphère, alors qu'en développant les biocarburants, provenant de plantes qui ont capté le CO² de l'atmosphère, (même si ce sont des OGM…), et en les utilisant, on ne participe pas à l'augmentation de l'effet de serre. Dans 100 ans, une entreprise comme TOTAL ne sera plus sur les champs pétroliers sur lesquels elle vit aujourd'hui. Même si elle a commencé à se préparer avec la production de biocarburants, ses efforts actuels ne sont pas à la hauteur de ce qu'ils devraient être dans ce domaine.

Pôles de compétitivité :
Depuis le 12 juillet, 67 pôles ont été labellisés.
Cette labellisation ouvre droit à des aides gouvernementales, et l'accompagnement de nombreuses agences de développement, d'aide à l'innovation, des centres de recherche (création de postes de chercheurs au CNRS et dans les universités et écoles). Plusieurs régions ont proposé un pole de développement de la biochimie et des biocarburants.
Sur ces 67 pôles (purement industriels), une vingtaine intéresse particulièrement la chimie. Le ministre a signalé que des pôles de productivité pourraient être étendus à d'autres secteurs que l'industrie, comme le tourisme, les services, la distribution…).
Plus que les aides gouvernementales, il faut voir dans ces pôles de compétitivité le moyen de restructurer l'emploi et l'existence de plans directeurs. Sur ces 67 pôles, 6 sont à un niveau mondial, et 6 qui pourraient pratiquement l'être. Ils devraient être le moteur d'une reconstruction de l'emploi en régions.
Au niveau du ministère, on suggère que la France pourrait générer jusqu'à 400 pôles. Toutefois, l'existence d'un pôle n'exclut pas d'autres activités locales.

Les groupements d'employeurs :
Ils sont constitués d'associations de PME, de PMI, de grands groupes, de centres de recherche et de centres de formation, le tout dans le cadre de la proximité territoriale d'une région donnée. Si dans ce cadre on a une défection d'une entreprise, il sera plus facile aux salariés de retrouver de l'emploi à proximité.
Une PME peut avoir des difficultés à justifier économiquement l'embauche d'un spécialiste. Par contre, elles peuvent se partager les services d'un spécialiste, via une structure commune, avec pour le spécialiste concerné la possibilité de se former lorsqu'il ne peut pas être utilisé par ces entreprises. Cette situation peut éventuellement poser quelques difficultés sur le plan du trajet, car il peut avoir à travailler sur des sites qui peuvent être relativement distants. La convention collective sera celle du groupement d'employeur du pôle de compétitivité. Par contre il y a peu de chance que ces structures atteignent une taille suffisante pour permettre une représentation des salariés.
Le premier exemple de réalisation , en plasturgie à Oyonnax a vu la création d'un tel système, non pas pour des postes de haute technologie, mais pour des ouvriers exécutants dans les divers métiers de cette industrie.
On pourrait donc imaginer que ces PME n'aient plus de salariés, mais qu'ils soient tous salariés du groupement d'employeurs.
Sur ce point, une réflexion est nécessaire pour que les salariés qui seront concernés ne soient pas exclus de toute représentation sociale, des bénéfices des CE, de l'intéressement et de la participation etc… des entreprises pour lesquelles ils travailleront. Mais la nouveauté peut s'avérer positive.


Groupe de travail "CHIMIE 2015" :
Aujourd'hui, la chimie en France comprend 180.000 emplois, et connaît une décroissance régulière de 3 à 5% par an du fait des efforts de productivité des entreprises.et de la faible croissance de l'économie de 2 à 3%.
Nos ministres de l'industrie successifs sont tous persuadés que notre chimie va conserver son pouvoir d'innovation, et irriguer en emploi les entreprises aval.
Ce groupe de travail est composé de 15 représentants, : 5 syndicalistes, 5 représentants des entreprises et 5 personnes qualifiées. Il est chargé de préparer des propositions concrètes applicables à court terme pour conserver et promouvoir l'emploi dans les industries chimiques et aval à l'horizon 2015. Seul problème : aucun moyen n'a été donné à ce groupe de travail pour atteindre son objectif. Les professeurs qui viennent de Toulouse en avion ou en train pour participer aux réunions ne sont même pas défrayés de leurs dépenses… Finalement, une trentaine de propositions ont tout de même été faites, avec comme axe la recherche et l'innovation, dans les biotechnologies, la catalyse, les nanotechnologies, la "chimie verte ". Tout cela ne nécessitait peut être pas une telle organisation… On les retrouve dans les pôles de compétitivité, dans les conclusions du rapport Beffa sur les programmes mobilisateurs innovants. Par contre ce groupe de travail a complètement occulté l'éventualité de regroupement de la chimie française, à l'instar de ce qui a pu se voir en Allemagne, probablement parce que l'UIC ne le souhaitait pas du tout. De même il n'y a pas de réflexion globale concernant les problèmes à venir pour la filière chlore - soude, lorsqu'il va falloir adapter les installations aux normes européennes, par exemple celles concernant l'usage du mercure…
Mais, on peut suppose, et peut être espérer que des projets sont en gestation pour une restructuration intelligente de toute la chimie européenne, ce qui expliquerait peut être la discrétion actuelle des directions de cette industrie.

Autre sujet de plus en plus dramatique dont on n'a pas encore parlé ici, et sur lequel les media restent discret : le nombre de jeunes, bardés de diplômes et de doctorats, qui ne trouvent pas de travail à la sortie de leurs études, en particulier en chimie.
Les moyens de tout ce développement que nous appelons avec force sont là. Mais y a t il une volonté pour aller de l'avant ?

.HB