RENCONTRE DU 7 JUILLET 2005
Invité : Alain LUDE

 

Alain Lude travaille à la RATP. Il est membre de la Fédération Francaise des transports CFE-CGC et est détaché actuellement à la Fédération Européenne des Transports, l'une des fédérations composantes de la CEC (Confédération Européenne des Cadres)
INTERVENTION D'ALAIN LUDE

Je suis détaché de la RATP pour trois ans et l'année dernière, j'ai passé quatre jours par semaine à Bruxelles pour avoir des contacts, créer un réseau, avoir des liens. Tout cela fait des frais mais c'est un investissement. Je suis chargé par la CEC des affaires sociales auprès de la Commission. A ce titre, je participe à l'analyse sociale au sein de l'Union.
La Confédération Européenne des Cadres (CEC) nous permet d'être présent à Bruxelles et d'y faire valoir les droits de la population que nous représentons.
La CES regroupe plus de 80 organisations syndicales plutôt généralistes. La problématique des cadres n'est pas leur souci.
La CEC regroupe une quinzaine de confédérations nationales dont deux avec statut d'observateur. On a eu l'adhésion récemment de la Croatie.

Le processus décisionnel de l'Union européenne.

Il repose sur 3 pôles :

Le Conseil Européen (conseil des ministres) :
Il regroupe les chefs de gouvernements des 25 pays. Présidence tournante tous les 6 mois.
Suivant le sujet, les textes doivent être adoptés soit à la majorité qualifiée (2/3), soit à l'unanimité.

La Commission :
Composée de 25 commissaires nommés pour 5ans. Elle propose des projets de directives ou de recommandations au parlement. Ils sont préparés essentiellement par ses services.
Elle est chargée du suivi des projets législatifs et de leur application.

Le Parlement :
25 pays, 732 députés, 7 groupes, 20 commissions, 1 président, 14 vice-présidents. Il approuve, rejette ou demande des modifications aux propositions de la Commission. Il peut censurer la Commission. Il vote le budget européen (#50 milliards d'€).

L'administration de l'union comprend au total 23.000 fonctionnaires répartis en 24 directions générales.

Pour qu'il soit adopté, il faut que le même texte soit voté par le parlement et par le conseil.

Sur un certain nombre de sujets, la commission a obligation de consulter les partenaires sociaux (notamment en matière de sécurité et santé au travail). Elle reçoit les avis (non contraignants) du Comité Economique et Social Européen (CESE).

Le Lobbying

C'est l'intervention d'une organisation privée ou publique pour influencer le législateur.
Si le mot est tabou en France,ce n'est pas le cas au niveau à Bruxelles où le Parlement et la Commission sont ouverts à la société civile.

Avant le lancement de tout projet de loi, il y a une ouverture publique faite sur le site de la Commission Européenne, pour que les gens puissent donner leur avis sur les textes. Tout citoyen peut y donner son avis, et c'est lors de cette phase qu'il est le plus facile d'être entendu si l'on présente des arguments solides auprès des fonctionnaires chargés du dossier.

A partir du texte d'origine et des remarques reçues les services de la Commission présentent un livre vert qui sera la base, un document de travail. Les partenaires sociaux, la société civile, les ONG vont donner leur avis et on va faire une synthèse qui constitue le livre blanc qui constituera le document de travail de base.
On a plus de chance d'influer sur un texte quand il est au stade du projet ou proposition que quand le dossier est déjà validé au niveau de la commission et présenté au parlement. Ce n'est pas lorsqu'un dossier est bouclé qu'il faut penser intervenir. Plus un projet est avancé, plus il est difficile d'être entendu et plus les frais d'intervention augmentent.
C'est hélas une attitude trop souvent pratiquée en France, où l'on a tendance d'attendre que le projet arrive au niveau du parlement pour penser donner un avis et des critiques et de s'étonner ensuite de ne pas être entendu ! - voir l'exemple des normes comptables ou de la directive Bolkenstein…-

Contrairement à ce qui se passe chez nous, il est plus facile de rencontrer un Commissaire ou un Parlementaire Européen que de rencontrer nos propres Parlementaires en France. Le Parlement est ouvert, les débats sont publics.
Nota : Si les habitudes sont différentes, l'intervention auprès des ministères et des parlementaires est aussi possible en France. L'exemple des interventions de Tom concernant les tribunaux de sécurité sociale auprès du ministère de la justice en est une illustration.

Les parlementaires européens sont toujours intéressés par les précisions et les informations qu'ils peuvent recueillir des différents acteurs de la société.

On peut facilement prendre rendez vous mais il faut être en capacité de leur amener des éléments utiles pour leur permettre d'arriver à un équilibre entre les représentants des 25 pays.

La boîte à outils du lobbyiste

1°) identifier les projets : par une veille sur les sites de la commission et les contacts avec des personnes susceptibles d'avoir les dernières informations sur les projets à venir pour pouvoir anticiper et préparer les interventions. Contrairement à ce qui se passe en France, les informations sur les projets sont largement partagés par les acteurs sur le terrain qui en ont connaissance. Se créer un réseau de relations est donc essentiel pour avoir toutes ses chances d'accéder rapidement aux informations.

2°) identifier les acteurs clés, les connaître et les contacter pour faire passer notre message.
Dans la première phase, connaître le service et éventuellement le nom du ou des fonctionnaires en charge de sa rédaction, le nom du rapporteur etc… Il faut suivre de près l'évolution du projet et en particulier connaître la date de la présentation en première lecture au parlement. Toutes ces informations sont disponibles sur le site de la commission.

Sur notre site www.fict-eu.org on trouvera les liens utiles vers les sites internet de la Commission Européenne.

Les methodes :

Il faut identifier les thèmes à suivre par :
- La " veille législative " via internet (c'est l'outil de travail essentiel de la commission) pour tout ce qui concerne l'information publique

- L'" intelligence économique " avec les autres partenaires, pour ce qui concerne les informations non publiques ; échanger des informations, faire des coalitions, voir comment on peut faire évoluer les choses et mettre en place nos actions.

A Bruxelles, on peut aller voir un fonctionnaire européen qui va vous faire un tour d'horizon des avis des partenaires. Il n'y a pas d'information cachée, ce qui permet d'avancer car on peut tenir compte des travaux déjà réalisés par d'autres. Il y a une méthodologie stricte et impérative basée sur la confiance et sur la confidentialit

 

Les acteurs clés :

Ce sont des fonctionnaires de la Commission, du Conseil, du Parlement ; des députés, des administrateurs et les permanents du Parlement Européen. Il y a aussi les comités et les groupes d'experts, les associations professionnelles, les ONG, les associations de consommateurs qui sont très présents sur la place bruxelloise.

Il faut aussi savoir la manière de les approcher pour leur présenter nos sujets.
Un fonctionnaire, un comité, un groupe d'experts, ont un langage technique et formel alors qu'. Un députés aura une approche plus politique.
Mais le non au référendum a quelque peu entamé notre crédibilité et compliqué notre travail.

Anticipation, simulation des impacts, études prospectives, suivi régulier des dossiers, contacts et élaboration des scénarios.
Contacts et défense des propositions auprès des acteurs le plus tôt possible c'est le travail de lobbying à Bruxelles, qui nécessite d'y être présent et de ne pas se réveiller une fois que les décisions sont finalisées.
Si les français ne l'ont pas toujours bien compris, les représentants du Royaume Uni et des nouveaux adhérents des pays de l'Est ont parfaitement intégré la formule.

QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Les directives européennes doivent être intégrées dans les législations nationales. Si elles le sont avec retard, ou si elles ne sont pas suivies, des astreintes financières sont prévues, et cela coûte actuellement très cher à la France. A combien s'élèvent t elles ?
R : Avant d'arriver aux astreintes, il y a les mises en demeure. Il peut y avoir aussi des décisions de la cour de justice européenne. En fait, les astreintes sont énormes, mais leur montant n'est pas diffusé (secret d'Etat ?). 80 directives ne sont pas encore transcrites dans le droit français. Le parlement a l'obligation de les voter dans les 18 mois, et certaines ont déjà plus de deux ans de retard.

Q : Un de nos invités précédents nous a expliqué que la France briguait les postes principaux de la commission, mais que les fonctionnaires français répugnaient à aller à Bruxelles pour des raisons personnelles de structure, de finances, d'avancement, de primes, etc. Par contre il y a beaucoup d'Anglais, de Suédois et en fait, l'essentiel du travail est fait à leur niveau.
R : Contrairement à ce qu'on pourrait penser, il y beaucoup de Français qui travaillent à la Commission Européenne.

Q : Des mauvaises langues laissent entendre que Pascal Lamy aurait été choisi par les autres pays pour présider la commission, mais que Chirac s'y serait opposé, et que le choix s'est porté sur Barosso. Il se dit aussi que par mesure de rétorsion, ils ont laissé à la France le poste le moins important, celui des transports.
R : Jacques Barrot, est aussi vice-président de la Commission Européenne, c'est à dire le N°2. Quant à Pascal Lamy, ses compétences largement reconnues sur le plan international l'on amené à un poste des plus importants sur l'échiquier mondial.

Q : On dit qu'il y a dix mille personnes à Bruxelles qui font du lobbying. En connaît on la répartition par pays, par société ?
R : Oui. Le parlement a une base de données qui répertorie les lobbyistes qui sont sur la place de Bruxelles. On y retrouve toutes les industries : l'agroalimentaire, l'automobile, l'aéronautique, l'informatique, les partenaires sociaux etc… Ils ont des représentations permanentes. On peut retrouver sur le site du Parlement Européen la liste des " lobbyistes accrédités. Cette accréditation permet de participer aux travaux du parlement. J'en fais personnellement partie et m'intéresse aux commissions des affaires sociales et des transports. Je n'interviens pas directement, mais si j'ai un message à faire passer, je peux le passer à tel ou tel parlementaire. D'où l'intérêt d'être présent.

Q : Quelle est la frontière entre le lobbying et la corruption ?
R : Il y a une éthique stricte au niveau des fonctionnaires. Tout est basé sur la confiance et la confidentialité. Quelqu'un qui voudrait tenter une action de corruption serait immédiatement grillé. Le seul fait de retrouver toutes les infos sur le site internet rend toute tentative de corruption inutile et inefficace. C'est vrai par contre que certaines structures ont plus de moyens que d'autres, ce qui augmente leurs possibilités d'intervention. On se rappelle ce qui s'est passé avec la Commission Jacques Santer et Edith Cresson !!!
Toutefois, il faut savoir que plus on intervient en amont d'un projet, moins les efforts à déployer donc les coûts de l'intervention sont importants.
Par exemple, un lobbying basique très en amont va coûter 3000 à 4000 euros par mois alors qu'un cabinet de consultant en action défensive, peut demander 100 000 euros. Mais c'est vrai que tout a un coût. Et les accréditations ne sont pas faciles à obtenir.

Q : Quelle est la différence entre la majorité qualifiée et la majorité simple ?
R : La majorité qualifiées, c'est avoir plus de 50% de l'effectif présent. La majorité absolue au parlement impose 624 députés présents physiquement. Pour le conseil l'unanimité signifie que les 25 doivent voter de manière identique pour que le texte soit adopté. On peut toutefois regretter que de trop nombreux élus français au parlement européens ne sont pas suffisamment présents en session. La raison en est que ce mandat n'est pas suffisamment reconnu et que ceux qui s'y investissent pleinement ont peu de chance de voir leur mérites reconnus ni par leurs électeurs ni pas les partis qui les ont désignés sur les listes. On peut citer l'un des parlementaires les plus assidus : " Quand il y a eu les nouvelles élections, j'ai eu des difficultés à être re-présenté sur les listes européennes car tout le travail accompli n'a pas été pris en considération et n'était reconnu que par mes pairs européens ".
Un de ses collègues " J'ai eu dix ans de mandat national mais c'est depuis que je suis à Bruxelles que je fais réellement un travail de parlementaire. Quand tu es en France, tu appliques les consignes du parti. Je fais un réel travail de parlementaire et encore, ce n'est pas beaucoup par rapport aux collègues anglais qui sont des parlementaires de terrain, qui ont des comptes à rendre ".
" nous, quand on revient ne France, on a des difficultés à se faire entendre de nos collègues nationaux parce qu'ils ne comprennent pas le fonctionnement des institutions européennes ".

Q : Comment la CFE-CGC est-elle représentée et par qui ?
R : La CGC est représentée à travers la Confédération Européenne des Cadres (CEC). Actuellement, le Secrétaire général en est Claude Cambus, que vous connaissez, et le trésorier George Laroccakis de la chimie, qui prochainement, replacera probablement l'actuel président Angelo Maurizio. La confédération européenne des cadres est reconnue par les traités et par la Commission comme faisant partie des partenaires sociaux, au même titre que la Confédération Européenne des Syndicats la CGPME ou l'UNICE. Je participe personnellement régulièrement aux travaux de la CEC à Bruxelles. Par exemple, lundi et mardi prochain, je participe à une réunion avec l'ensemble des ministres des affaires sociales sur la démographie et les générations. Au sein de la CEC, les fédérations sectorielles sont très actives. Par exemple François Vincent intervient souvent pour les questions qui concernent le secteur de la Chimie. On peut toutefois déplorer qu'à part les fédé CGC de la Chimie et des transports, les autres fédérations n'ont pas jusqu'ici marqué un intérêt suffisant au rôle qui devrait être le leur à Bruxelles ni dégagé des moyens d'action suffisants. Peu d'entre elle ont pris conscience de l'importance de ce qui se passe à Bruxelles. Il est toujours possible de mutualiser les moyens à déployer au niveau de la CEC. Encore faut il le faire !

Q : La Commission tient elle compte de l'avis des partenaires sociaux ?
R : Elle en a l'obligation. Dans la mesure toutefois où l'on prend la peine de la contacter pour lui faire connaître nos avis et demandes.

Q : Y a t il des moyens financiers dégagés par la commission de Bruxelles pour les partenaires sociaux ?
R : La Commission ouvre le droit à des subventions concernant des projets que l'on peut lui présenter dans le cadre de la dynamique européenne. Ce peut être dans le cadre d'études, de colloques, de conférences etc. Il faut monter un dossier sur le sujet et présenter un budget. Il y a des fonds qui existent à Bruxelles pour ce faire. Encore faut il savoir les demander. Rien n'empêche la CFE-CGC au niveau confédéral de monter une réunion sur les affaires sociales européennes selon la stratégie de Lisbonne avec un impact national et de demander les fonds et de monter le dossier. Mais l'Europe ne fait peut être pas partie des priorités de la direction de notre confédération à ce jour ?

Q : La CEC ne rassemble-t-elle pas des entités très disparates ? Lorsque à TECHNIP on a essayé de contacter nos homologues des filiales européennes, on n'en a trouvé qu'en Italie, mais qui ont montré un total désintérêt à la mise en place du comité européen. Quant aux autres pays, on n'a trouvé personne.
R : Le plus grand problème est effectivement de faire le nécessaire pour mieux se connaître entre pays et d'y connaître le fonctionnement des syndicats de cadres, très différent d'un pays à l'autre. Par exemple à Dresde, après la conférence, on a rencontré la ULA qui nous a expliqué comment fonctionne le syndicalisme en Allemagne au niveau des cadres. Idem avec les Suédois, les italiens, les danois. C'était une conférence de la CEC sur la gouvernance d'entreprise, les administrateurs salaries, le comités d'entreprise européens. Cela nous a permis de voir ce qui se passe dans ces pays et comment ils font. A travers cela, quand on a ces données, on peut se mettre autour de la table parce qu'on essaye de se comprendre.

HB