LES TRIBUNAUX DE COMMERCE
HISTORIQUE
:
L'idée
de faire juger les contestations commerciales par des juridictions autres
que celles de droit commun remonte à l'antiquité grecque.
Xénophon demandait qu'on récompense les préfets
de commerce qui expédiaient au plus vite les affaires ; Démosthène
plaidait devant les prévôts des marchands.
Privées d'institutions à la chute de l'empire romain,
les villes d'Italie confièrent aux corporations les fonctions
économiques et sociales. Elles placèrent à leur
tête des consuls élus par les marchands (d'où le
nom de juridiction consulaire). A Venise existait des " Consules
Mercatorum ".
Du XI ème au XVI ème siècle, les foires ont une
extension considérable ; elles bénéficient de juridictions
spéciales. Chaque foire bénéficie d'une institution
propre appelée " Conservation " ou " Consulat
". En dehors de la période de foire, les contestations restent
de la compétence du juge ordinaire (Baillis, Sénéchaux,
Prévôts).
La Renaissance qui n'est pas uniquement artistique, mais économique
, monétaire et bancaire, lance sur les routes d'Europe des milliers
de commerçants. Dans ce contexte, le commerce a besoin de sécurité
autant que de liberté.
François 1er crée dans tous les baillages un présidential
d 9 magistrats pour juger sans appel les causes n'excédant pas
260 livres. Mais les bourgeois marchands veulent aller plus loin et
obtenir du pouvoir royal ce droit extraordinaire de pouvoir régler
eux même leurs différents par des juges qu'ils se choisiront
dans leurs propres rangs, une justice simple, équitable et peu
coûteuse.
En 1357 Etienne Marcel transporte le Parloir aux Bourgeois dans la maison
des Piliers. Le parloir était une institution corporative qui
rendait la justice entre les marchands.
En 1560 Charles IX demande au Chancelier de France Michel de L'Hospital,
d'instituer une magistrature commerciale appelée à juger
brièvement les affaires de négoce. Devant les Etats Généraux
, Michel de L'Hospital en 1560 expose son projet de laisser les marchands
se rapporter à eux leurs différents. Dans son idée
de 1563, le roi ordonnait l'élection et l'établissement
d'un juge et de 4 consuls des marchands en ville de Paris le 27 janvier
1564. Ils étaient élus par une assemblée de 100
notables.
Les opposants les plus virulents furent les magistrats du parlement,
les différents prévôts, notamment le Prévôt
des Marchands, qui disait avoir les gens qu'il fallait pour juger.
Au XVIème siècle, une juridiction démocratique,
populaire et surtout gratuite ne pouvait être que scandaleuse.
Dans la première moitié du XVIIème siècle,
à l'arrivée de Colbert, la juridiction consulaire avait
conquis le pays.
L'ordonnance de 1673 unifie les compétences des juridictions
consulaires et leurs attributions.
Pour se développer, la justice consulaire avait besoin d'une
impulsion qui lui fut donnée par la révolution.
Le décret du 27 mai 1790 décida qu'il y aurait des tribunaux
particuliers pour juger les affaires commerciales. Celui du 16 août
1790 précise et étend leur compétences, notamment
aux affaires maritimes.
Créé par la loi du 14 septembre 1807, le code du commerce
consacre la juridiction consulaire et fixe définitivement ses
attributions. La loi du 28/5/1838 attribue aux Tribunaux de Commerce
le règlement des faillites
En 1865, Napoléon III inaugure le palais du Tribunal de Commerce
de la Seine dans l'Ile de la Cité.
SON
ORGANISATION :
Un Tribunal de Commerce est composé d'un certain nombre de chambres
et de juges. Celui de Paris est un des plus important de France et peut
être même du monde.
A Paris nous sommes 172 magistrats répartis en 22 chambres, chacune
avec des attributions spécifiques (contentieux, procédures
collectives, sanctions). Nous rendons plus de 100 000 décisions
par an.
En ce qui me concerne j'ai siégé 3 ans en Contentieux,
6 ans en procédures collectives, ensuite comme président
de la Chambre de droit communautaire (qui applique les directives de
Bruxelles, lorsque l'Etat Français n'a pas encore fait le nécessaire
pour les intégrer dans le droit positif français), et
à l'heure actuelle je préside la chambre de sanction.
QUI
PEUT DEVENIR JUGE :
Pour rentrer au Tribunal de Commerce de Paris il faut remplir un certain
nombre de critères :
Tout d'abord être dirigeant d'entreprise ou tout au moins responsable
dans une Société. Au départ on était jugé
par ses pairs ; un Dirigeant de Société devait être
jugé par une personne de niveau équivalent, de même
responsabilité. Les problèmes d'effectifs ont fait évoluer
les critères de recrutement et ont donc ouvert cette possibilité
à des personnes qui avaient des responsabilités de Direction
mais pas forcément Dirigeant au sens du Kbis ou du registre du
commerce.
Actuellement à Paris 41% de magistrats viennent d'entreprises
financière et bancaire Pour le reste ce sont des gens qui viennent
du milieu de l'entreprise soit en poste de responsabilité, soit
des chefs d'entreprise. De ces derniers malheureusement ne sont qu'environ
30% de l'effectif total.
La société privée ne sait pas suffisamment dégager
de temps pour permettre à ses cadres supérieurs de participer
à l'uvre de justice, et par ce biais recevoir une formation
sans équivalent.
COMMENT
DEVIENT ON JUGE :
A partir du moment où vous êtes candidat vous devez passez
un certain nombre de filtres.
Tout d'abord, on vérifie si dans votre entreprise vous occupez
bien les fonctions que vous avez annoncé est si le curriculum
que vous avez fourni correspond bien à votre carrière.
Le
second stade consiste à résumer un texte de 10 pages en
20 lignes, (un texte juridique) et à proposer une décision
en 1 ligne. En fait l'important c'est de savoir si vous avez su résumer
le texte. Pour ce qui est de la décision vous ne la connaissez
pas, mais ce qu'on juge c'est votre réaction.
La
troisième épreuve consiste à vous donner un sujet
sur quatre à choisir, puis on vous prend tous vos papiers personnels
et même celui sur lequel vous avez noté le sujet choisi.
Vous êtes dans le couloir avec des collègues qui sont là
pour vous piéger. Ils vous parlent de la pluie et du beau temps,
de la politique ou tout autre sujet et tout d'un coup vous entendez
" M. Courbot c'est à vous ". Vous entrez dans une pièce
où il y a une centaine de personnes, une tribune, et vous avez
3 minutes pour exposer le sujet que vous avez choisi. La première
difficulté c'est de se rappeler du sujet choisi, puis de ce que
vous aviez envie de dire. Le Président de séance a un
minuteur à la main. Certains ont des pannes au cours de l'exposé,
d'autres ne finissent pas l'exposé et d'autres encore sont coupés
par le chrono du Président de séance.
Dans la salle sont présents les syndicats professionnels qui
ont présenté des candidats, Ils vont voter pour que vous
puissiez avoir une note et un classement. J'avais les gens de la fédération
du bâtiment à laquelle j'appartiens, mais aussi d'autres
industries qui ne sont pas forcément pour vous puisque vous n'êtes
pas leur candidat.
Après ces épreuves vous êtes classé suivant
votre notation, et vous pouvez avoir été éliminé.
Quel que soit le nombre de participants, le classement que vous obtenez
lors des élections consulaires vous suivra pendant toute votre
judicature.
L'INTRONISATION
:
Vous intégrez au tribunal en audience solennelle,
tout d'abord à la cour d'appel de Paris où vous prêtez
serment comme magistrat puis affecté dans une chambre où
votre carrière démarrera.
Cette carrière est particulièrement prenante en temps,
avec l'obligation d'être présent au tribunal au moins une
fois par semaine. De plus à Paris, dès la première
audience, vous héritez de 10 à 12 dossiers.
Affaire à rendre, recevoir les parties, rédiger faire
les projets de jugement délibéré avec 2 collègues
ceci correspond à environ 30 à 35 heures par semaine.
Autrement dit vous entrez au tribunal vous dites adieu aux week-ends.
Cela fait partie de ces engagements qu'on ne peut pas prendre sans l'accord
de la famille
. Il faut aussi que l'entreprise comprenne que vous
devrez être formé au minimum pendant 7 ans, au droit des
sociétés et autre, que cela oblige à dégager
un cadre supérieur pendant un certain nombre d'heures de sa vie
active. Mais c'est un investissement qui rapporte à l'entreprise
et au personnel de l'entreprise parce que l'on ne gère plus de
la même façon les affaires une fois que l'on a participé
à un certain nombre de procédures collectives et qu'on
a vu un certain nombre de drames. C'est un investissement et les entreprises
devraient comprendre si elles ne veulent pas que les tribunaux de commerce
ne soient monopolisés par les institutions qui ont plus de facilité
de dégager des cadres en fin de carrière.
LA
CARRIERE JUDICIAIRE :
Vous vous engagez normalement pour 14 ans : d'abord pour
2 ans puis si on vous garde une première réélection
de 4 ans et la possibilité de deux autres. J'en suis à
ma dernière réélection. Ensuite tout s'arrête,
mais vous pouvez arrêter pendant 1 an puis repartir sur 14 ans
si cela vous chante. A Paris on respecte la règle de 14 ans,
mais les tribunaux qui ont des effectifs très faibles ne retrouvent
pas facilement un Président, car pendant les 4 ans de Présidence
c'est tous les jours, 12 h par jour. Il faut donc retrouver quelqu'un
qui soit autant disponible. Ce n'est pas évident et donc ils
doivent solliciter l'autorisation de passer outre à la règle.
LES
FONCTIONS DU TRIBUNAL :
La procédure de contentieux : Nous avons le rôle
de juge rapporteur. Lorsqu'une affaire nous est confiée on reçoit
les parties, puis on rédige un projet de jugement qui est soumis
à un délibéré. C'est là où
se trouve le plus grand sérieux du tribunal et la plus grande
formation. Vous êtes tout jeune et vous avez rédigé
un jugement, vous siégez avec 2 autres magistrats de votre chambre
qui vont vous écouter, vous corriger. Le jugement est toujours
délibéré par un nombre impair de magistrats et
au minimum 3. On a à la fois la formation et la transmission
du savoir par les anciens.
Les affaires traitées en contentieux peuvent aller de l'impayé
d'un commerçant au conflit de grand groupe.
Les référés : vous êtes le juge de l'évidence
et pour la première fois juge unique. Vous représentez
le président du tribunal. A Paris, entre 10 h du matin et 13h,
nous traitons environ 50 dossiers. 48 h avant l'audience, vous avez
lu vos dossier avec la greffière d'audience, et c'est alors la
mémoire photographique qui fonctionne. La performance consiste
à connaître ce qu'il y a dans le dossier autant que l'avocat
du demandeur. 48 h après il ne vous reste rien du référé
en mémoire immédiate, mais 6 mois après on vous
parle d'un dossier et on s'en souvient. Cela semble une gymnastique
de la mémoire incroyable mais on y arrive tous, on finit par
connaître nos dossiers mieux que les parties elles-mêmes
: parce qu'on ne s'attache qu'à l'évidence, et non à
l'habillage apporté par les parties. Tout ce qui n'est pas l'évidence
ne relève pas du rôle des référés
mais du juge du fond. Il faut ajouter que le défenseur peut apporter
son dossier à l'audience même, ce qui ne simplifie pas
le rôle du président des référés.
La procédure collective : Un Tribunal de Commerce doit être
le tribunal de la seconde chance. On est là pour une procédure
de redressement, c'est-à-dire pour faire en sorte que l'entreprise
continue, et que l'emploi soit maintenu autant que faire se peut.
Cette tâche n'est pas très facile. Par exemple, certains
petits commerçants ont acheté des fonds de commerce sur
présentation de bilans et des espoirs de gains par trop euphoriques
voir même parce qu'il ont surestimé leurs capacités
et se sont mis dans une mauvaise situation. Il ne s'agit pas de les
condamner mais de les sortir d'une situation compromise. Il faut rechercher
toutes les possibilités de redressement et si ce n'est pas possible
c'est la cession, voir la liquidation. La liquidation est une solution
à laquelle on doit aboutir seulement en dernière limite
et si elle est inévitable.
La chambre du droit communautaire : C'est une innovation du Tribunal
de Commerce de Paris, unique en France ( la 7ème) que j'ai eu
l'honneur de présider. Elle prend en charge les dossiers qui
impliquent un ou plusieurs ressortissants de la communauté économique
européenne.
Son travail est d'abord de traiter le fond , de statuer sur la compétence
du droit applicable.
La chambre de sanction : C'est la chambre qui statue sur la responsabilité
des dirigeants. La sanction peut être personnelle et/ou pécuniaire.
Elle peut interdire à une personne de gérer une entreprise.
Il est indispensable de vérifier qui est le gérant réel
de l'entreprise. Il arrive qu soit utilisé un prête-nom
pour contourner une interdiction ou vouloir dégager sa responsabilité.
Le cas fréquent consiste à afficher la responsabilité
d'un membre de la famille pour contourner une interdiction. Toutefois,
dans le cas ou une personne interdite de gestion aurait remonté
une entreprise qui marche, l'interdiction peut être levée
au bénéfice de cette dernière, à l'exclusion
de toute autre pendant le temps de l'exclusion.
On rencontre des cas très variés : celui qui oublié
de faire la déclaration de paiement ; celui qui continue à
se rémunérer alors que son entreprise est complètement
exsangue
Des condamnations au comblement total pu partiel du passif peuvent être
prononcées, et si elles ne sont pas faites, une condamnation
à la liquidation judiciaire personnelle peut être prononcée.
En fait, un comblement de passif n'a de valeur que s'il peut être
exécuté.
Si on condamne quelqu'un à payer quelque chose qu'il ne pourra
pas payer, il sera exposé à la liquidation judiciaire.
Les effets de la liquidation judiciaire cesseront au bout de 5 ans .
Si vous le condamnez à une somme dont vous êtes sûr
qu'il peut payer, alors la sanction retrouvera son efficacité
Dans cette procédure, il est prévu que les salariés
soient représentés par un salarié qui sera élu
et qui pourra suivre toute la procédure et intervenir en chambre
en leur nom.
Pour
votre information, sachez que nous ne sommes pas rémunérés,
et que la vie au tribunal engendre des dépenses. Au Tribunal
de Commerce de Paris, nous payons nos cotisations et nos repas, nous
ne dépendons donc de personne, ce qui nous donne encore plus
d'indépendance.
Sur 100 000 décisions par an il y a très peu de décisions
litigieuses. 7% des décisions rendues vont en appel, 1% seulement
sont révisées.
Le législateur prévoit la suppression d'un certain nombre
de tribunaux, ce qui se justifie par le nombre d'affaires insuffisant.