RENCONTRE DU 3 JUIN 2004
Invité : M. Jacques COURBOT
Président de chambre au Tribunal de Commerce de Paris
Monsieur Jacques Courbot siège également au Tribunal de Contentieux de l'incapacité(Sécurité Sociale) qui traite des dossiers COTOREP. Il dirige une petite entreprise de pose de revêtements de sols et est membre de la CGPME.

 

LES TRIBUNAUX DE COMMERCE

HISTORIQUE :

L'idée de faire juger les contestations commerciales par des juridictions autres que celles de droit commun remonte à l'antiquité grecque.
Xénophon demandait qu'on récompense les préfets de commerce qui expédiaient au plus vite les affaires ; Démosthène plaidait devant les prévôts des marchands.
Privées d'institutions à la chute de l'empire romain, les villes d'Italie confièrent aux corporations les fonctions économiques et sociales. Elles placèrent à leur tête des consuls élus par les marchands (d'où le nom de juridiction consulaire). A Venise existait des " Consules Mercatorum ".
Du XI ème au XVI ème siècle, les foires ont une extension considérable ; elles bénéficient de juridictions spéciales. Chaque foire bénéficie d'une institution propre appelée " Conservation " ou " Consulat ". En dehors de la période de foire, les contestations restent de la compétence du juge ordinaire (Baillis, Sénéchaux, Prévôts).
La Renaissance qui n'est pas uniquement artistique, mais économique , monétaire et bancaire, lance sur les routes d'Europe des milliers de commerçants. Dans ce contexte, le commerce a besoin de sécurité autant que de liberté.
François 1er crée dans tous les baillages un présidential d 9 magistrats pour juger sans appel les causes n'excédant pas 260 livres. Mais les bourgeois marchands veulent aller plus loin et obtenir du pouvoir royal ce droit extraordinaire de pouvoir régler eux même leurs différents par des juges qu'ils se choisiront dans leurs propres rangs, une justice simple, équitable et peu coûteuse.
En 1357 Etienne Marcel transporte le Parloir aux Bourgeois dans la maison des Piliers. Le parloir était une institution corporative qui rendait la justice entre les marchands.
En 1560 Charles IX demande au Chancelier de France Michel de L'Hospital, d'instituer une magistrature commerciale appelée à juger brièvement les affaires de négoce. Devant les Etats Généraux , Michel de L'Hospital en 1560 expose son projet de laisser les marchands se rapporter à eux leurs différents. Dans son idée de 1563, le roi ordonnait l'élection et l'établissement d'un juge et de 4 consuls des marchands en ville de Paris le 27 janvier 1564. Ils étaient élus par une assemblée de 100 notables.
Les opposants les plus virulents furent les magistrats du parlement, les différents prévôts, notamment le Prévôt des Marchands, qui disait avoir les gens qu'il fallait pour juger.
Au XVIème siècle, une juridiction démocratique, populaire et surtout gratuite ne pouvait être que scandaleuse.
Dans la première moitié du XVIIème siècle, à l'arrivée de Colbert, la juridiction consulaire avait conquis le pays.
L'ordonnance de 1673 unifie les compétences des juridictions consulaires et leurs attributions.
Pour se développer, la justice consulaire avait besoin d'une impulsion qui lui fut donnée par la révolution.
Le décret du 27 mai 1790 décida qu'il y aurait des tribunaux particuliers pour juger les affaires commerciales. Celui du 16 août 1790 précise et étend leur compétences, notamment aux affaires maritimes.
Créé par la loi du 14 septembre 1807, le code du commerce consacre la juridiction consulaire et fixe définitivement ses attributions. La loi du 28/5/1838 attribue aux Tribunaux de Commerce le règlement des faillites
En 1865, Napoléon III inaugure le palais du Tribunal de Commerce de la Seine dans l'Ile de la Cité.

 

SON ORGANISATION :


Un Tribunal de Commerce est composé d'un certain nombre de chambres et de juges. Celui de Paris est un des plus important de France et peut être même du monde.
A Paris nous sommes 172 magistrats répartis en 22 chambres, chacune avec des attributions spécifiques (contentieux, procédures collectives, sanctions). Nous rendons plus de 100 000 décisions par an.
En ce qui me concerne j'ai siégé 3 ans en Contentieux, 6 ans en procédures collectives, ensuite comme président de la Chambre de droit communautaire (qui applique les directives de Bruxelles, lorsque l'Etat Français n'a pas encore fait le nécessaire pour les intégrer dans le droit positif français), et à l'heure actuelle je préside la chambre de sanction.

 

QUI PEUT DEVENIR JUGE :


Pour rentrer au Tribunal de Commerce de Paris il faut remplir un certain nombre de critères :
Tout d'abord être dirigeant d'entreprise ou tout au moins responsable dans une Société. Au départ on était jugé par ses pairs ; un Dirigeant de Société devait être jugé par une personne de niveau équivalent, de même responsabilité. Les problèmes d'effectifs ont fait évoluer les critères de recrutement et ont donc ouvert cette possibilité à des personnes qui avaient des responsabilités de Direction mais pas forcément Dirigeant au sens du Kbis ou du registre du commerce.
Actuellement à Paris 41% de magistrats viennent d'entreprises financière et bancaire Pour le reste ce sont des gens qui viennent du milieu de l'entreprise soit en poste de responsabilité, soit des chefs d'entreprise. De ces derniers malheureusement ne sont qu'environ 30% de l'effectif total.
La société privée ne sait pas suffisamment dégager de temps pour permettre à ses cadres supérieurs de participer à l'œuvre de justice, et par ce biais recevoir une formation sans équivalent.

 

COMMENT DEVIENT ON JUGE :


A partir du moment où vous êtes candidat vous devez passez un certain nombre de filtres.

Tout d'abord, on vérifie si dans votre entreprise vous occupez bien les fonctions que vous avez annoncé est si le curriculum que vous avez fourni correspond bien à votre carrière.

Le second stade consiste à résumer un texte de 10 pages en 20 lignes, (un texte juridique) et à proposer une décision en 1 ligne. En fait l'important c'est de savoir si vous avez su résumer le texte. Pour ce qui est de la décision vous ne la connaissez pas, mais ce qu'on juge c'est votre réaction.

La troisième épreuve consiste à vous donner un sujet sur quatre à choisir, puis on vous prend tous vos papiers personnels et même celui sur lequel vous avez noté le sujet choisi. Vous êtes dans le couloir avec des collègues qui sont là pour vous piéger. Ils vous parlent de la pluie et du beau temps, de la politique ou tout autre sujet et tout d'un coup vous entendez " M. Courbot c'est à vous ". Vous entrez dans une pièce où il y a une centaine de personnes, une tribune, et vous avez 3 minutes pour exposer le sujet que vous avez choisi. La première difficulté c'est de se rappeler du sujet choisi, puis de ce que vous aviez envie de dire. Le Président de séance a un minuteur à la main. Certains ont des pannes au cours de l'exposé, d'autres ne finissent pas l'exposé et d'autres encore sont coupés par le chrono du Président de séance.
Dans la salle sont présents les syndicats professionnels qui ont présenté des candidats, Ils vont voter pour que vous puissiez avoir une note et un classement. J'avais les gens de la fédération du bâtiment à laquelle j'appartiens, mais aussi d'autres industries qui ne sont pas forcément pour vous puisque vous n'êtes pas leur candidat.
Après ces épreuves vous êtes classé suivant votre notation, et vous pouvez avoir été éliminé. Quel que soit le nombre de participants, le classement que vous obtenez lors des élections consulaires vous suivra pendant toute votre judicature.

 

L'INTRONISATION :


Vous intégrez au tribunal en audience solennelle, tout d'abord à la cour d'appel de Paris où vous prêtez serment comme magistrat puis affecté dans une chambre où votre carrière démarrera.
Cette carrière est particulièrement prenante en temps, avec l'obligation d'être présent au tribunal au moins une fois par semaine. De plus à Paris, dès la première audience, vous héritez de 10 à 12 dossiers.
Affaire à rendre, recevoir les parties, rédiger faire les projets de jugement délibéré avec 2 collègues… ceci correspond à environ 30 à 35 heures par semaine. Autrement dit vous entrez au tribunal vous dites adieu aux week-ends. Cela fait partie de ces engagements qu'on ne peut pas prendre sans l'accord de la famille…. Il faut aussi que l'entreprise comprenne que vous devrez être formé au minimum pendant 7 ans, au droit des sociétés et autre, que cela oblige à dégager un cadre supérieur pendant un certain nombre d'heures de sa vie active. Mais c'est un investissement qui rapporte à l'entreprise et au personnel de l'entreprise parce que l'on ne gère plus de la même façon les affaires une fois que l'on a participé à un certain nombre de procédures collectives et qu'on a vu un certain nombre de drames. C'est un investissement et les entreprises devraient comprendre si elles ne veulent pas que les tribunaux de commerce ne soient monopolisés par les institutions qui ont plus de facilité de dégager des cadres en fin de carrière.

 

LA CARRIERE JUDICIAIRE :


Vous vous engagez normalement pour 14 ans : d'abord pour 2 ans puis si on vous garde une première réélection de 4 ans et la possibilité de deux autres. J'en suis à ma dernière réélection. Ensuite tout s'arrête, mais vous pouvez arrêter pendant 1 an puis repartir sur 14 ans si cela vous chante. A Paris on respecte la règle de 14 ans, mais les tribunaux qui ont des effectifs très faibles ne retrouvent pas facilement un Président, car pendant les 4 ans de Présidence c'est tous les jours, 12 h par jour. Il faut donc retrouver quelqu'un qui soit autant disponible. Ce n'est pas évident et donc ils doivent solliciter l'autorisation de passer outre à la règle.

 

LES FONCTIONS DU TRIBUNAL :


La procédure de contentieux : Nous avons le rôle de juge rapporteur. Lorsqu'une affaire nous est confiée on reçoit les parties, puis on rédige un projet de jugement qui est soumis à un délibéré. C'est là où se trouve le plus grand sérieux du tribunal et la plus grande formation. Vous êtes tout jeune et vous avez rédigé un jugement, vous siégez avec 2 autres magistrats de votre chambre qui vont vous écouter, vous corriger. Le jugement est toujours délibéré par un nombre impair de magistrats et au minimum 3. On a à la fois la formation et la transmission du savoir par les anciens.
Les affaires traitées en contentieux peuvent aller de l'impayé d'un commerçant au conflit de grand groupe.
Les référés : vous êtes le juge de l'évidence et pour la première fois juge unique. Vous représentez le président du tribunal. A Paris, entre 10 h du matin et 13h, nous traitons environ 50 dossiers. 48 h avant l'audience, vous avez lu vos dossier avec la greffière d'audience, et c'est alors la mémoire photographique qui fonctionne. La performance consiste à connaître ce qu'il y a dans le dossier autant que l'avocat du demandeur. 48 h après il ne vous reste rien du référé en mémoire immédiate, mais 6 mois après on vous parle d'un dossier et on s'en souvient. Cela semble une gymnastique de la mémoire incroyable mais on y arrive tous, on finit par connaître nos dossiers mieux que les parties elles-mêmes : parce qu'on ne s'attache qu'à l'évidence, et non à l'habillage apporté par les parties. Tout ce qui n'est pas l'évidence ne relève pas du rôle des référés mais du juge du fond. Il faut ajouter que le défenseur peut apporter son dossier à l'audience même, ce qui ne simplifie pas le rôle du président des référés.
La procédure collective : Un Tribunal de Commerce doit être le tribunal de la seconde chance. On est là pour une procédure de redressement, c'est-à-dire pour faire en sorte que l'entreprise continue, et que l'emploi soit maintenu autant que faire se peut.
Cette tâche n'est pas très facile. Par exemple, certains petits commerçants ont acheté des fonds de commerce sur présentation de bilans et des espoirs de gains par trop euphoriques voir même parce qu'il ont surestimé leurs capacités et se sont mis dans une mauvaise situation. Il ne s'agit pas de les condamner mais de les sortir d'une situation compromise. Il faut rechercher toutes les possibilités de redressement et si ce n'est pas possible c'est la cession, voir la liquidation. La liquidation est une solution à laquelle on doit aboutir seulement en dernière limite et si elle est inévitable.
La chambre du droit communautaire : C'est une innovation du Tribunal de Commerce de Paris, unique en France ( la 7ème) que j'ai eu l'honneur de présider. Elle prend en charge les dossiers qui impliquent un ou plusieurs ressortissants de la communauté économique européenne.
Son travail est d'abord de traiter le fond , de statuer sur la compétence du droit applicable.
La chambre de sanction : C'est la chambre qui statue sur la responsabilité des dirigeants. La sanction peut être personnelle et/ou pécuniaire. Elle peut interdire à une personne de gérer une entreprise. Il est indispensable de vérifier qui est le gérant réel de l'entreprise. Il arrive qu soit utilisé un prête-nom pour contourner une interdiction ou vouloir dégager sa responsabilité. Le cas fréquent consiste à afficher la responsabilité d'un membre de la famille pour contourner une interdiction. Toutefois, dans le cas ou une personne interdite de gestion aurait remonté une entreprise qui marche, l'interdiction peut être levée au bénéfice de cette dernière, à l'exclusion de toute autre pendant le temps de l'exclusion.
On rencontre des cas très variés : celui qui oublié de faire la déclaration de paiement ; celui qui continue à se rémunérer alors que son entreprise est complètement exsangue …
Des condamnations au comblement total pu partiel du passif peuvent être prononcées, et si elles ne sont pas faites, une condamnation à la liquidation judiciaire personnelle peut être prononcée. En fait, un comblement de passif n'a de valeur que s'il peut être exécuté.
Si on condamne quelqu'un à payer quelque chose qu'il ne pourra pas payer, il sera exposé à la liquidation judiciaire. Les effets de la liquidation judiciaire cesseront au bout de 5 ans . Si vous le condamnez à une somme dont vous êtes sûr qu'il peut payer, alors la sanction retrouvera son efficacité
Dans cette procédure, il est prévu que les salariés soient représentés par un salarié qui sera élu et qui pourra suivre toute la procédure et intervenir en chambre en leur nom.

Pour votre information, sachez que nous ne sommes pas rémunérés, et que la vie au tribunal engendre des dépenses. Au Tribunal de Commerce de Paris, nous payons nos cotisations et nos repas, nous ne dépendons donc de personne, ce qui nous donne encore plus d'indépendance.
Sur 100 000 décisions par an il y a très peu de décisions litigieuses. 7% des décisions rendues vont en appel, 1% seulement sont révisées.
Le législateur prévoit la suppression d'un certain nombre de tribunaux, ce qui se justifie par le nombre d'affaires insuffisant.

 

QUESTIONS DES PARTICIPANTS :


Q : Un ouvrier n'est pas payé et son patron est parti à Marseille. J'ai vérifié que le patron n'est pas en liquidation judiciaire. Que peut on faire pour qu'il soit mis en liquidation judiciaire?
R : D'abord vous lui envoyez une lettre recommandée visant l'ouverture d'une procédure judiciaire et vous adressez la même lettre au Tribunal de Commerce dont dépend la société et copie au Procureur de la République, expliquant que le salarié n'a pas été payé et qu'il sollicite l'ouverture d'une enquête voire d'une procédure judiciaire. Le président du tribunal peut d'office, ouvrir d'une enquête pour apprécier la situation de la société. Elle sera directement mise en redressement judiciaire voire en liquidation. Dans ce cas, le salarié sera prévenu et pourra déclarer sa créance et sa créance qui sera prise en compte par l'AGS.

Q : L'ensemble du territoire est il couvert par les tribunaux de commerce ?
R : Il y a en France un double dispositif. Certaines juridictions n'ont pas de Tribunal de Commerce. La tâche est assurée par la chambre commerciale du TGI. Nous avons des attributions en tant que Tribunal de Commerce mais au delà, l'affaire sera traitée par le TGI.
En Alsace - Moselle, il n'y a pas de Tribunal de Commerce, mais une chambre commerciale au TGI de Colmar, avec un système écheviné, comportant des juges professionnels et des assesseurs consulaires.

Q : Lorsqu'une entreprise est en cessation de paiement quel est le pourcentage de cas où l'on maintient le chef d'entreprise à la tête de cette entreprise plutôt que de désigner un administrateur ?
R : Le remplacement n'a lieu que lorsque le maintien du dirigeant risque de conduire à une issue moins favorable de la procédure. Ceci est très rare, compte tenu que l'administrateur judiciaire peut avoir tous les pouvoirs.

Q : Les tribunaux de commerce ont été créés pour traiter très rapidement les affaires, quel est le temps moyen pour traiter une affaire aujourd'hui ?
R : Le référé est immédiat ou au maximum sous huitaine. Un contentieux serait normalement réglé dans les 3 mois s'il n'en tenait qu'au Tribunal de Commerce, mais il y a les avocats, les parties… Une procédure collective simplifiée il faut 1 an. Une procédure normale doit être close en 2 ans, sauf problèmes annexes.

Q : Est-ce que les syndics de liquidation peuvent être juges rapporteurs ou juges commissaires ?
R : Syndic est l'ancien nom. Depuis les lois de 85 et 94 on parle d'administrateur, de liquidateur ou de représentant des créanciers. Ils ne sont jamais juge commissaire, jamais juge rapporteur. Le juge commissaire c'est le juge unique de la procédure collective, quant au juge rapporteur c'est celui qui est chargé de recevoir les parties et de préparer un projet de jugement qui sera soumis au délibéré.

Q : Lorsqu'un dirigeant est failli et qu'il n'a plus droit de créer une entreprise, y a-t- il une prescription légale, au terme de cette sanction ?
R : Lorsque quelqu'un est frappé d'un interdiction de gérer 5 ans, c'est 5 ans ; lorsqu'il est condamné à une faillite personnelle de 15 ans, c'est 15 ans.
La loi de 67 permettait de condamner à une interdiction de gérer à vie. La sanction prévue par les lois de 85 et 94 5 ans minimum, bientôt 1 an sans limite supérieure.
Si un gérant d'une société mise en liquidation judiciaire n'a pas de sanction, cette liquidation est inscrite à la banque de France et de ce fait cette personne est fichée pour 5 ans à la Banque de France. S'il est l'objet d'une liquidation judiciaire par extension de la liquidation judiciaire de la société parce qu'il s'est par exemple porté caution des engagements de l'entreprise, et qu 'il ne peut satisfaire à ses obligations, il est mis en liquidation judiciaire personnelle et les interdictions qui en découlent durent 5 ans.

Q : Pour une entreprise en difficulté qui mérite de perdurer, comment peut on imaginer des possibilités de financement alors que les banques mais aussi les actionnaires seront plutôt méfiants compte tenu des découverts ?
R : Une voie est l'acceptation des créanciers de supprimer une partie de sa dette. Il existe aussi des sociétés et des banques spécialisées, en particulier dans les pays nordiques qui considèrent qu'après un échec, l'expérience acquise évitera de retomber dans le même piège. En France, la possibilité d'être condamné pour soutien abusif rend les intervenants plus frileux.
De fait il est souvent plus facile de persuader les créanciers de procéder à une remise partielle de la dette, en accompagnement d'un plan de redressement. Ils ont ainsi plus de chances de retrouver au moins une partie de leur mise , alors qu'avec une liquidation ils perdraient tout. Evidement, si l'entreprise ne satisfait pas aux conditions du plan, on revient à la liquidation.

Q : Dans certains cas, des créanciers n'ont ils pas intérêt à ce que l'entreprise soit mise en liquidation pour permettre de faire jouer leurs garanties ?
R : Il s'agit d'un dernier recours. La banque peut recourir à la transformation de tout ou partie de la dette en capital, quitte à se retrouver propriétaire d'usines ou de biens immobiliers. C'est le problème du refinancement. Quand on a par exemple une affaire comme Alstom, il faut trouver un refinancement important. Si vous voulez que les refinanceurs ou les banques puissent intervenir, il faut pouvoir leur dire que si l'on n'aboutit pas au redressement, vous ne serez jamais recherché en soutien abusif et d'autre part vous serez en situation privilégiée en cas de liquidation de la société.

Q : Une loi qui est en préparation devrait s'inspirer du " chapter 11 " de la loi américaine, permettant de mettre sous protection des entreprises en difficulté et leur permettre ainsi de se restructurer et de repartir. Qu'en pensez vous ?
R : Les sociétés sont surveillées par des commissaires aux comptes Il faut qu'on réussisse à renforcer le devoir d'alerte des commissaires aux comptes, car bien souvent ils hésitent, ce qui est un grand tort. Dans tous les tribunaux fonctionne maintenant le service de Prévention des difficultés. L'alerte peut provenir du commissaire aux comptes, ou d'un salarié non payé, voir de l'expert comptable..
Mais le commissaire aux comptes n'est obligatoire qu'à partir d'un chiffre d'affaire de 20 MF et/ou de 50 salariés. 99% des entreprises françaises qui ont moins de 10 salariés n'en ont donc pas. C'est pourquoi nous voudrions que ce devoir d'alerte soit étendu aux experts comptables, ce qui permettrait d'agir en amont de la catastrophe pour celles qui décrochent.

Q : On voit des dirigeants " vivre dans une très grande aisance " et être largement rétribués, alors que leur entreprise est en grande difficulté. Ne s'agit il pas de cas caractérisés d'Abus de Biens Sociaux ?
R : A Paris nous avons la présence du Parquet en permanence. Dès lors qu'on découvre lors d'un délibéré de dossier qu'on va condamner au comblement du passif parce que le Monsieur s'est un peu servi sur la société, c'est généralement le Parquet qui est saisi. Il peut arriver également qu'en cours de procédure l'administrateur judiciaire ou le liquidateur s'aperçoive qu'il y a eu des détournements. C'est alors lui qui le dénonce au Parquet.

Q : On parle d'abus de bien sociaux pour des personnes individuelles mais lorsqu'une société en absorbe une autre, transfert la trésorerie de cette dernière et recrée une filiale pour la renvoyer avec les caisses vides : n'y a -t-il pas un abus de bien social ?
R : La responsabilité pénale des société existe, et s'il y a malversation, si on fait appel à la justice, elle va fonctionner.

Q : Si les entreprises trop souvent ne savent pas mesurer l'apport de l'expérience de leurs salariés amenés à exercer des mandats tels que le votre au sein des tribunaux de commerce, on peut de la même manière parler des mandats syndicaux. Bien au contraire, dans de nombreux cas, ceux qui font du syndicalisme, alors qu'ils travaillent pour le bien commun, qu'il s'intéressent à plein de choses dans la société et participent ainsi à la société civile, sont marqué syndicalement de façon néfaste. Il est bien difficile de dire que l'on fait 3 mandats syndicaux et qu'à l'issue de cette période on reprend son travail et qu'on continue…
R : C'est un peu pareil quand vous revenez d'expatriation, croyez-vous qu'on vous a attendu ? Quand vous rentrez dans le syndicalisme c'est comme lorsque vous entrez en religion. Mais au moins il faudrait que vous retrouviez réellement la place que vous aviez au départ avec son évolution normale voir statutaire.

Q : Dans certains cas, la mort d'une entreprise peut avoir été programmée à l'avance par exemple par une concertation entre ses donneurs d'ordre, dans le but d'alléger leurs frais. Ne s'agit il pas d'abus de bien sociaux ? de même , des pressions ne peuvent elles pas exister dans certains cas ?
R : C'est un fait que les dirigeants majoritaires ont parfois tendance à utiliser la société comme un bien propre et en oubliant qu'il faudrait peut être revendre la villa qu'on a construit avec les fonds de la société afin de permettre son redressement.
Des tentatives de " pressions " peuvent exister. Mais il y a toujours des moyens de les contourner, ne serait ce qu'en accélérant au maximum la procédure..

Q : N'arrive t il pas que le liquidateur ou l'administrateur judiciaire ne se conduise pas comme l'exigerait la loi ?
R : Lorsqu'un liquidateur est reconnu d'avoir détourné des fonds, la sanction c'est que l'ensemble des liquidateurs représentants des créanciers soient condamnés a payer la dette de ce Monsieur indélicat.
Dans le même ordre des choses, pour la chambre des notaires la pire sanction c'est quand un notaire fait une bêtise et que tous les notaires payent.
Ceci conduit à l'autodiscipline et à l'autocontrôle de la profession par elle -même.

Je remercie l'auditoire de m'avoir écouté, et je donnerai un conseil : évitez de vous porter caution , même en famille.

J Courbot