Intervention de
Bernard DUTOIT
LE HARCELEMENT MORAL
Le harcèlement moral est un très vieux problème,
mais ce n'est que depuis le livre de Marie France Hirigoyen que le problème
juridique est pris en considération.
Les médecins du travail nous disent qu'une personne sur deux en
souffre, et c'est devenu un vrai péril.
LES NIVEAUX DU HARCELEMENT MORAL :
- le harcèlement moral individuel (d'individu à individu)
- le harcèlement moral stratégique dirigé par l'entreprise
pour contourner les procédures légales de licenciement
- le harcèlement moral institutionnel
le harcèlement moral transversal (lorsqu'un groupe crée
un bouc émissaire)
Il faut bien distinguer le harcèlement moral des situations de
conflits dans lesquels l'opposition des individus n'a pas le caractère
répétitif qui définit le harcèlement et le
stress lié à la charge de travail.
LES TECHNIQUES DE HARCELEMENT :
- Techniques relationnelles critiques systématiques, absence de
communication, injures, etc
- Techniques d'isolement (mise au placard, oubli de convocation à
des réunions etc
)
- Techniques persécutives : contrôles répétés
des taches effectuées, exigences continues de justifications
- Techniques visant à vider le travail de tout sens (exemple du
comptable à qui on a donné des additions et des multiplications
sans impact sur l'entreprise pendant dix ans)
LA LEGISLATION ET LA JUSTICE :
Le harcèlement moral est devenu un risque plus important que le
classique accident du travail corporel qui lui s'est considérablement
réduit.
Le droit concernant le harcèlement moral est récent, et
la jurisprudence commence juste à permettre de travailler. Le premier
élément législatif vient de la directive européenne
2000/43 du 29/6/2000, mais qui vise principalement la discrimination raciale
ou ethnique
( adresse web : http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2000/l_180/l_18020000719fr00220026.pdf
)
La notion a été ensuite intégrée à
la loi de modernisation sociale du 17/01/02, qui introduit la notion de
dégradation délibérée des conditions de travail,
et d'agissements répétitifs susceptibles de porter atteinte
à ses droits, à sa dignité, d'altérer sa santé
physique et mentale ou susceptibles de compromettre son avenir professionnel
- Pour les atteintes à la santé physique ou mentale, on
aura souvent recours à l'avis médical.
- Pour la compromission de l'avenir professionnel, il faudra amener des
preuves tangibles et prouver que le but était effectivement celui-là.
Ces éléments ont été pour partie repris par
la seconde loi de modernisation sociale de 2003.
Ce sont désormais les prud'hommes qui sont en charge de ces problèmes,
et la jurisprudence est en cours de construction au fil des appréciations
et des jugements rendus.
l'article L 120-4 du code du travail dit que le contrat de travail doit
être exécuté de " bonne foi ".
La fourniture de tâches sans intérêt ou de tâches
vexatoires peut constituer une des bases de harcèlement. Cela concerne
l'employeur et toute personne à laquelle délégation
a été donnée. Mais le harcèlement peut aussi
être le fait d'un collègue de même niveau hiérarchique.
Les actions en justice peuvent désormais être menées
par les organisations syndicales.
C'est considéré désormais comme une forme d'accident
du travail pouvant à ce titre donner lieu à réparation.
LA PROTECTION JURIDIQUE : (extrait
de la page web :
http://www.travail.gouv.fr/infos_pratiques/asp/details_pratiques.asp?Niveau1=1&Niveau2=7&Niveau3=36&Idfiche=442#8
De nombreuses autres pages sur le web traitent du problème et
donnent de nombreuses info, part exemple :
http://www.harcelement.info/
http://www.inrs.fr/INRS-PUB/inrs01.nsf/IntranetObject-accesParReference/Dossier+Harc%C3%A8lement+moral/$File/visu.html
EVOLUTIONS AU MINISTERE DU TRAVAIL (
de l'emploi de la solidarité et de la santé)
Ici comme dans les autres ministères on est à l'heure de
la décentralisation, et des diminutions des effectifs pléthoriques
des services de la rue de Ségur.
Depuis le 1/1/2004, la formation professionnelle passe sous le contrôle
des régions.
Le secteur emploi devrait suivre.
L'ARACT va devenir l'interlocuteur de tout ce qui concerne les conditions
de travail d'hygiène et de sécurité et la direction
de la réglementation du travail va perdre ses attributions.
Le secteur santé passera sous le contrôle des régions
et des départements.
Il en résultera inévitablement des diminutions d'effectifs
dans les services du ministère, avec des mutations vers d'autres
ministères, les régions et les départements, ce qui
ne sera pas sans poser de nombreux problèmes.
QUESTIONS DES PARTICIPANTS
:
TEMOIGNAGE :
" J'ai commencé à être en butte aux actions de
la direction il y a un peu plus d'1 an, lorsque j'étais en inter-contrat
chez ***.
J'ai eu le malheur de m'élever contre les pratiques de la direction
qui avait commencé une pratique de harcèlement massif contre
tous les salariés en inter-contrat.
On a convoqué tous les inter-contrats et leur a annoncé
que au vu des résultats difficiles de la société
il serait bon que chaque salarié participe à l'action commerciale
de l'entreprise et que donc nous ferions tous de la prospection téléphonique
chaque jour avec des objectifs et des quotas à satisfaire.
Ceux-ci ont ensuite augmenté chaque semaine et ce dans un milieu
composé presque intégralement de scientifiques et en aucun
cas des commerciaux.
Très rapidement on en est venu à des rapports hebdomadaires
puis bi-hebdomadaires, avec justification de l'action des salariés
à la demi-journée, puis la présence de " managers
" pendant certains coups de fil pour surveiller le consultant et
vérifier s'il était suffisamment motivé pour contacter
les clients.
C'est alors que j'ai commencé à protester . J'ai été
convoqué par la hiérarchie jusqu'au plus haut niveau où
l'on ma reproché d'être responsable de la démoralisation
des troupes et que je pouvais être tenu pénalement responsable
pour mes propos et pour le manque de bonne volonté que je mettais
à remplir mon contrat de travail.
Assez rapidement, je me suis trouvé en situation très délicate
et comme je n'étais pas protégé j'ai commencé
à mettre la " pédale douce ".
Deux mois après, les manuvres ont recommencé assorties
de toute une série de licenciements déguisés en départ
pour raisons personnelles.
Ils ont laissé environ trois mois pour que ces manuvres fassent
leur effet et que les gens en aient assez de faire de la prospection téléphonique
sans avoir les outils appropriés.
Le discours employé était : soit " on s'est trompé
en vous embauchant et vous n'avez pas vraiment votre place chez nous ",
soit " vous êtes beaucoup trop compétent et on n'a pas
de poste à vous proposer ; il serait mieux pour vous que vous partiez
".
Plus particulièrement pour moi, cela a commencé par toute
une série d'entretiens puis voyant que cela ne suffisait pas on
a commencé à me faire porter la responsabilité de
fautes (courriers en recommandé, en nous précisant que c'était
pour la forme mais qu'il ne fallait pas en tenir compte).
Depuis que j'ai été nommé délégué
syndical on m'a mis à l'écart en mettant en garde tout le
personnel vis-à-vis de moi. "
R : Ce que tu expliques, maintenant
peut-être porté en justice par l'organisation syndicale elle-même.
Mais il faudra apporter les preuves et on peut demander que ce type de
management cesse.
Il y a aussi possibilité d'action individuelle, mais l'organisation
syndicale peut représenter tes intérêts et aller contre
les agissements de l'entreprise.
Maintenant, au titre de l'article 122-53, qui dit que le code du travail
a étendu le périmètre de l'action en substitution
des syndicats d'un ou de plusieurs salariés qui s'estime victime
d'un harcèlement moral, un syndicat peut ester en justice. Pour
quelqu'un qui est mis au placard, on a un rôle syndical à
jouer même si on n'est pas présent dans l'entreprise.
Q : Dans le cas de harcèlement
sexuel supposé être exercé par M ou Mme X, c'est à
M ou Mme X d'apporter la preuve qu'il n'y a pas eu harcèlement
sexuel. Est-ce que dans le cas du harcèlement moral c'est la même
chose.
R : Pas tout à fait.
Le harcèlement sexuel peut être jugé pénalement,
avec dépôt de plainte et constitution de partie civile, le
parquet est obligé de suivre, et il y a une instruction et des
suites judiciaires.
Le code du travail va également codifier le harcèlement
sexuel (quelqu'un qui chercherait à obtenir des avantages sur une
autre personne en utilisant ce type de concept).
Dans le cas du harcèlement moral c'est à celui qui subit
d'apporter la preuve du harcèlement, mais surtout le caractère
répétitif de celui-ci (ce qui n'est pas nécessaire
pour le harcèlement sexuel).
Mais attention à l'abus de procédure qui peut être
condamné.
L'inspecteur du travail a aussi une compétence dans ce domaine
là.
Q : Je voudrais témoigner
sur 3 difficultés principales que j'ai rencontrées en tant
que délégué syndical lorsque j'ai accueilli des collègues
qui se plaignaient de tels faits.
- La difficulté de discernement pour qualifier le harcèlement
moral,
- Le rassemblement des preuves
- Le recroquevillement de la victime sur elle-même, dans les cas
les plus graves.
Le discernement pour pouvoir qualifier, c'est extrêmement difficile.
En 7 ans de militantisme dans une boîte de plus de 500 personnes,
j'estime qu'il n'y a eu que trois cas avérés de harcèlement
moral. L'un d'eux a conduit une de nos collègues en psychiatrie
pour 3 séjours de 3 semaines, ce qui montre que de la part des
auteurs des agissements une bonne compréhension des mécaniques
qui vise à faire passer pour folles les personnes qui n'ont pas
les mêmes idées qu'elles.
Le recueil des preuves, qui seront nécessaires à nous-mêmes
pour acquérir la conviction qu'il y a harcèlement moral
et indispensables pour qu'une action en justice puisse être tentée.
Là je vous fais part de ma très grande déception,
puisque dans les 3 cas cités, il y a eu conviction de notre part
mais il y une peur de la part des victimes et des témoins de coucher
les faits sur le papier.
Le recroquevillement de la victime sur elle-même. Dans deux cas
de collègues qui ont quitté notre établissement il
y a eu un refus maladif qu'on parle de leur cas et d'aller en justice.
Ils ont seulement vidé leur sac auprès du médecin
du travail mais ça s'est arrêté là. C'est très
frustrant pour nous délégués de ne pas pouvoir agir
autant qu'on le voudrait parce que la victime elle-même n'ose pas
poursuivre
R : L'article 411-11 du code du Travail
permet à une organisation syndicale d'ester en justice pour des
faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt
collectif dans la profession qu'elle représente. Cela peut être
une échappatoire.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a pris position sur la constitution
de partie civile d'un syndicat dans le cas d'agression commise par un
supérieur hiérarchique sur un salarié.
Si au terme de l'article 411-11 les syndicats professionnels peuvent devant
toutes les juridictions exercer tous les droits réservés
à la partie civile c'est à la condition que les faits déférés
au juge portent par eux-mêmes un préjudice direct ou indirect
à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
Donc en s'appuyant sur cela on peut agir sans mettre en cause la personne.
Pour le reste, il y a un certain nombre de mesures qui visent à
protéger la victime ou le témoin d'un harcèlement
moral.
Le premier principe est la nullité des mesures patronales (des
ruptures de contrat, des sanctions et des mesures discriminatoires).
Le juge des référés a le pouvoir de prononcer la
nullité d'un licenciement ou de toute autre mesure à condition
que les éléments soient évidents et non sérieusement
contestables.
Je voudrais vous préciser :
Si un salarié se trouve amené à démissionner
parce qu'il a fait l'objet de harcèlement, les allocations de chômage
peuvent lui être versées s'il est bien prouvé que
sa démission a été motivée par le harcèlement.
Mais elles ne pourront lui être versées que lorsque les juges
auront tranché le litige et requalifié la rupture de son
contrat.
Sur la réparation, désormais en matière de harcèlement,
on évoque de plus en plus le fait accidentel, comme lésion
corporelle qu'il s'agisse de dommages physiques comme de troubles psychologiques.
La faute de l'employeur peut être reconnue comme faute intentionnelle
pouvant aller jusqu'à la faute inexcusable.
La faute inexcusable de l'employeur, le fait accidentel et une réparation
au titre des accidents du travail ont été retenus pour la
première fois par le TASS d'Epinal (Tribunal des Affaires de Sécurité
Sociale) le 18/2/2002 concernant une tentative de suicide consécutive
à un harcèlement moral.
D'autres affaires de ce type sont en cours, toujours sur des faits très
graves.
C'est au CHSCT d'agir mais tout le monde a un pouvoir y compris l'inspecteur
du travail.
TEMOIGNAGE :
Je suis très sollicité en tant que délégué
syndical par des collègues qui disent être l'objet de harcèlement,
l'important c'est que les dossiers soient solides étayés
par des preuves et des témoignages.
Certaines personnes sont seulement incompétentes et pas vraiment
harcelées, nous devons donc être très vigilants.
Il faut aller vérifier auprès des collègues, des
patrons, pour vérifier par soi-même.
Q : Quelles sont les limites juridiques
de la médecine du travail ?
R : La médecine du travail
est exercée, en fonction de l'effectif de l'entreprise par un médecin
rattaché à celle ci ou via une association de médecine
du travail à laquelle adhère l'entreprise (le choix lui
en est imposé par le médecin inspecteur).
Dans le cas où le médecin du travail est payé par
l'entreprise, s'il détecte un cas de dépression nerveuse,
il fera le constat de cette dépression, mais peut être ne
dira-t-il jamais que cette dépression est due au service dans lequel
cet individu travaille. Lui aussi a besoin de vivre
Le médecin a dans tous les cas une obligation médicale qui
n'a pas de rapport hiérarchique.
La déontologie médicale l'oblige à ne pas taire certaines
situations pathologiques.
Le médecin du travail est un médecin généraliste
qui a fait 7 ans d'études plus 4 ans de spécialisation.
Son rôle est aussi un rôle de conseil qui est essentiel dans
les situations de harcèlement.
C'est à lui qu'on vient se confier pour dire qu'on prend des petites
pilules pour pouvoir faire face à la situation professionnelle.
Q : Les médecins du travail
viennent de faire chez *** une enquête auprès de 10% du personnel
sur le stress.
Le protocole utilisé comporte une échelle montrant que la
situation devient préoccupante au delà de 25.
Or, dans notre entreprise, la moyenne mesurée lors de cette enquête
atteint le niveau 46.
La DRH a interdit aux collègues du CHSCT de diffuser autrement
que sous forme papier, les inspecteurs du travail ont pris rendez-vous
avec le Directeur qui a pris un air consterné et dit " malheureusement
je n'ai même pas le budget pour analyser les causes "
No comment
R : Cette étude a été
demandée par la Direction Régionale du Travail dans les
grandes entreprises mais je ne sais pas quelle en sera l'issue
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