RENCONTRE DU 4 DECEMBRE 2003
Invité :
M.Fernand VIDIS DSC du Crédit Lyonnais

Fernand Vidis est Délégué Syndical Central du Crédit Lyonnais.

Il était venu en 1990, nous présenter à l'époque le fonctionnement du CE du Crédit Lyonnais.

Aujourd'hui, il nous entretient au sujet du rapprochement du Crédit Agricole et du Crédit Lyonnais, qui va engendrer un groupe de 70.000 personnes.

 

Intervention de M. Fernand VIDIS

Il faut tout d'abord préciser que les caisses régionales sont toujours considérées comme filiales de la caisse nationale " Crédit Agricole SA ", qui est la seule en tant que structure du holding, qui est de fait concernée par la fusion.
J'ai exercé pratiquement toutes les fonctions syndicales et électives au Crédit Lyonnais, et en 1990, j'étais secrétaire du comité d'établissement du siège et des annexes, qui recouvrait 8 000 personnes, et employait près de 200 salariés.

Depuis plusieurs années, le SNB CGC enregistre des progrès électoraux, et cette année, pour la première fois, nous sommes devenus la seconde organisation syndicale derrière la CFDT, et grâce à l'alliance avec FO et la CFTC, avons obtenu le secrétariat du Comité central d'Entreprise, où nous succédons à une alliance CFDT CGT qui y a régné sans partage depuis 50 ans. La succession n'est pas une mince affaire , car il s'agit d'une véritable entreprise à gérer, et l'audit en cours n'est pas sans laisser apparaître quelques surprises quant à la gestion passée.
Le budget des œuvres sociales du CE de l'entreprise s'élève à 2,0823% de la masse salariale. Il y a plus de 180 personnes au CE du siège, et gère les restaurants d'entreprise parisiens.
Le Comité central d'entreprise emploie environ 80 salariés, pour sa structure centrale et la gestion des 12 centres de vacances (les immeubles , sont propriété de l'entreprise, mais la gestion en est assurée par le CCE).
Si l'on reprend l'histoire du passé plus ou moins sulfureux du Crédit Lyonnais, en 1993, nous étions 43000. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que 29000. Les réductions d'effectifs ont été opérées dans les travaux "à moindre valeur ajoutée " Le CL a de plus en plus recours à la sous-traitance, en surveillant de près les coûts, et en choisissant systématiquement le moins cher, au détriment éventuel de la qualité du travail.
1994 - 1999 a été la période noire de la banque, avec l'aide de l'Etat, le recadrage stratégique, la réduction des coûts, et les exigences de Bruxelles, qui vont faire du Crédit Lyonnais une petite banque. Toute l'activité à l'étranger qui n'est pas essentielle sera vendue. Toutes les structures européennes ont été vendues sauf celle (35 personnes) du Luxembourg.
L'étape suivante a été la privatisation et l'espoir de pouvoir à nouveau vivre indépendant une fois le rétablissement économique effectué. Ce rétablissement arrivera rapidement, et nous rejoindrons le peloton de tête de la rentabilité des grandes banques comme ABN, Barklay's ou la BNP, pendant que certaines comme la Commerzbank ou la Deutsch-Bank continuaient à avoir des soucis de rentabilité.
Dans les années qui viennent, si la fermeture de quelques agences est programmée, l'ouverture de 100 nouvelles agences sur trois ans est prévue, dans les bassins d'emploi en développement.
Les activités sont progressivement regroupées par métiers, avec une concentration des moyens sur les métiers à forte spécificité (par exemple, les successions sont regroupées à Bordeaux, les prêts immobiliers à Marseille etc..)
Les embauches respectent l'égalité hommes - femmes, tant en nombre que sur le plan des salaires. Toutefois, au bout de deux ans après l'embauche, on note encore l'apparition de décrochage tant du point de vue de l'évolution des salaires que des responsabilités.
En parallèle à la banque des particuliers et des professionnels, nous avons une branche banque d'investissement, certes plus modeste que Crédit Agricole Indo-Suez, mais qui pilote les participation à l'étranger. Le secteur des entreprises du " middle market " (celles qui ne sont pas au CAC 40) a également été restructuré, afin d'améliorer la proximité avec elles, et se rapprocher ainsi des méthodes du Crédit Agricole.
Si un certain nombre d'activités sont analogues à celles du Crédit Agricole et seront susceptible de connaître des opérations de restructuration dans les mois et les années à venir, d'autres sont plus spécifiques au Crédit Lyonnais, telles que FINALION dédié aux créances difficiles, INTERFIMO spécialement dédié au milieu médical ou THEMIS, réservé aux administrateurs judiciaires. Il y a aussi EUROFACTOR, société de factoring en association avec les AGF, qui de ce fait ne pourra pas en l'état actuel faire partie de cette intégration.
Il est certain que compte tenu du prix d'achat élevé payé par le Crédit Agricole, on sera amené à une recherche de réduction de coûts, mais tout en essayant de minimiser le coût social.
On peut estimer à 4600 le nombre de postes qui seront supprimés dans les années à venir, dont 2800 en France. 2000 salariés du Crédit Lyonnais devraient rejoindre également les structures du Crédit Agricole Indosuez , ce qui ne sera pas sans poser quelques problème compte tenu des conventions collectives différentes.
Mais la première conséquence que l'on peut observer, c'est une bataille à couteau tiré entre les patrons.
La période de rapprochement devrait s'étaler jusqu'en fin 2004. Nous venons de signer un accord qui met en place une structure paritaire entre CAI et CL, qui intervient en concertation et reçoit les informations en amont des IRP.
Ce comité est composé de membres de syndicats provenant à parité égale des deux entités (50% CL, 50% CAI, alors que la loi aurait permis de n'avoir que des représentants de la société absorbante).
Un groupe d'accompagnement du Plan Social d'Entreprise ainsi qu'un groupe de négociation sur l'emploi sont mis en place pour étudier avec l'aide de cabinets extérieurs les possibilités de mobilité géographique et de reclassement.

ANECDOTE HISTORIQUE :
C'est au Crédit Lyonnais que les femmes ont été autorisées pour la première fois à manipuler de l'argent.
Au cours de la première guerre mondiale les self services ont été inventés dans les restaurants du Crédit Lyonnais pour servir les soldats américains. Ils ont remporté chez eux la formule et l'ont largement développée et rapportée en Europe lors de la seconde guerre mondiale. On connaît la suite.

 

QUESTIONS DES PARTICIPANTS :

Q : Que recouvre le budget des œuvres sociales du CE (ou du CCE ?
R : Dans ce budget, il faut compter 1/3 réservé à la gestion des restaurants d'entreprise de la région parisie,nne. Le reste est destiné aux activités sociales classiques des CE.

Q : Quelles structures sont prévues pour les syndicats après la fusion .?
R : Chaque organisation conservera son identité propre et son indépendance. (soit CL, soit CAI). Les mutations du CA vers CAI se feront dans le cadre du L 122-12, et de ce fait les élus SNB du CL perdront alors leurs mandats.

Q : Notre expérience tend à prouver que la pratique syndicale dans l'entreprise dépend de son importance et de son influence. Dans votre entreprise, au niveau de la pratique syndicale, exigez vous l'adhésion au préalable de toute aide ou consultation d'un salarié ?
R : C'est une technique utilisée par certaines sections syndicales mais qui ne peut être pratiquée que dans des sections nombreuses et puissantes. C'est un choix à faire au niveau de la section en fonction des circonstances. Pour notre part, nous pensons qu'il faut une mixité entre le conseil, le service et la défense du personnel.

Nota : Plus un groupe est important, plus l'utilité d'un syndicalisme actif est évidente. Il faut considérer trois éléments : le nombre d'adhérents, le résultat aux élections et l'influence auprès de la direction. Chacun est important, mais le résultat aux élections est finalement l'essentiel.

Q : Les fusions et réorganisations, surtout dans les grandes entreprises s'accompagnent généralement de diminutions d'effectifs et de plans sociaux. Que pouvez vous faire en tant que syndicat pour changer la donne et avez vous suffisamment de poids pour aider à résoudre les problèmes individuels qui se poseront inévitablement ?
R : Le schéma de rapprochement choisi est celui qui devrait être le moins pénalisant possible. Malgré 4600 départs prévus, il n'y aura pas de départ contraint, et la pyramide des âges permet d'absorber le départ de 2800 personnes. Avec le blocage des embauches.
Toutefois, il faudra tenir compte que le blocage des embauches pendant deux ou trois ans risque de poser d'énormes problèmes dans l'avenir, et que compte tenu de l'évolution des techniques, l'embauche de jeunes ne pourra pas être bloquée de manière absolue sans risques graves pour l'avenir de l'entreprise.
D'autre part, il faut prévoir des mesures d'accompagnement qui soient à la hauteur du processus mis en place. Les départs seront pour une bonne part dans le cadre du CATS avec l'aide de l'Etat (qui fonctionne jusqu'en 2006) ou des départs en préretraite. Une fois de plus, c'est le contribuable qui devra participer à l'opération.
Compte tenu de notre accord sur le droit syndical, la structure du SNB CGC de l'entreprise compte 7 permanents sur Paris et 9 en région, et si on y ajoute les heures de délégation, on arrive à une équipe d'environ 30 personnes qui actuellement sont mobilisées sur le terrain pour travailler à ce rapprochement.

Q : Ce que peuvent faire les syndicats, c'est tester les chiffres annoncés pour réaliser les synergies nécessaires. Les directions ne présentent trop souvent que les synergies de coûts, rarement celles pouvant engendrer profits et développements. Que peut on faire quand l'entreprise gagne de l'argent et que les suppressions d'emploi ne sont pas une question de survie pour l'entreprise ? On peut rappeler à ce sujet le rachat d'INDOSUEZ alors au bord de la faillite par le Crédit Agricole ; Ce n'est pas le cas aujourd'hui pour la BFI ; il y a donc des éléments économiques incontestables pour contester ces licenciements, et exiger s'ils sont maintenus, les compensations substantielles.
R :.Bien sûr, mais la situation est beaucoup plus préoccupante pour nos collègues de l'étranger, qui ne sont pas comme en France protégés par des conventions collectives, mais un droit du travail local généralement beaucoup moins protecteur. Il y a donc toutes les chances de voir partir des salariés locaux, peu d'expatriés.
Mais il faut avant tout qu'un plan de développement sur deux ans nous soit présenté, précisant combien d'emplois devraient être sauvegardés. Nous avons déjà obtenu une première information comme quoi 500 postes seraient sauvegardés sur les 2800 licenciements prévus en France. Mais ces informations sont données au compte goutte.
Si une synergie a été mise en place et fonctionne entre les CGC du Crédit Lyonnais et du Crédit Agricole, une organisation analogue a vu le jour à la CGT, mais pas à la CFDT, la situation est moins claire, car les adhérents de ce syndicat sont en désaccord avec leurs dirigeants nationaux ; quant à FO, même si nous avons une collaboration active avec eux au niveau du CCE, leur politique au niveau de la fusion n'est pas claire ni évidente. Quant à la CFTC, peu présente au Crédit Lyonnais, un peu plus au Crédit Agricole, elle semble être pilotée par des personnes qui ont du syndicalisme une vision plus personnelle que collective.

Nota : Lorsque la banque Indosuez a été rachetée par le Crédit Agricole, les sections syndicales CFE-CGC se sont mises immé-diatement en rapport pour travailler ensemble et ont fait des déclarations communes dès les premiers CE. Les directions ont été étonnées et nous ont demandé si nous nous étions vraiment rencontrés. Maintenant, ils savent que nous sommes en contact permanent et qu'ils ne peuvent pas essayer de nous diviser en racontant des choses différentes aux uns et aux autres. Cette entente entre nous est essentielle et représente une force incontestable.
Cette situation est très différente dans les entreprises dont la direction se trouve par exemple aux USA, où les relations sont plus difficiles.
Chez IBM ; il existe un comité de groupe européen, dont le rôle est plutôt d'établir des relations intersyndicales, et faire profiter à tous des avancées dans chacun des pays. On rencontre évidemment le problème classique de manque de correspondants cadres dans les autres pays. Cependant, nous sommes régulièrement contactés par nos collègues étrangers lors de rachats de sociétés d'outsourcing, surtout dans les pays francophones. Mais, lorsque les décisions sont prises directement aux USA, comme cela se passe chez NCR on n'a plus vraiment de possibilité d'intervention.

Q : L'essentiel n'est il pas d'obtenir les schémas cibles mais aussi une photo fidèle et fiable de l'état économique et social de l'entreprise pour pouvoir donner un avis et avoir une action adéquate ?
R :. Lorsque nous avons donné notre avis au CCE, nous l'avons conditionné par une motion selon laquelle, nous ne voterions un avis favorable qu'à condition que la direction s'engage à présenter un schéma cible, permettant de savoir ce que sera l'entreprise demain (métiers, filiales, emplois conservés…) de manière à pouvoir en suivre l'évolution. H B

 


Q :

Propos recueillis et mis en forme par Henri Bussery