RENCONTRE DU 2 OCTOBRE 2003
Invitée :
Madame Eloïse VERDE-DELISLE D R S d'IBM France

 

Intervention de Madame Eloïse VERDE-DELISLE

J'ai rejoint IBM France depuis 2 ans, et en tant que Directeur des Relations Sociales. En cette qualité, je préside le CCE, et le C S P , instance où sont négociés les accords.
IBM France, c'est 15.819 salariés (en juin 2003), dont 11000 actifs les autres étant en préretraite " maison ".
Le dernier, CASA, prévoit de faire partir 1250 salariés en trois ans. L'age moyen d'environ 42 ans, baisse progressivement avec les départs en préretraite et l'embauche de jeunes. L'ancienneté moyenne est de 15 ans et 7 mois.
8600 cadres sont en " forfait jour ", sur 214 jours. 27% de salariés sont des femmes, taux que nous souhaitons voir évoluer.
IBM France est une filiale à 99,9% d'IBM corporation, et nous sommes un " petit pays " de la zone Europe Moyen Orient Afrique (plus de 100000 salariés, surtout en Allemagne et Grande Bretagne). L'effectif mondial est de 325000 salariés.

Les rattachements hiérarchiques sont à la fois régionaux et européens. La politique générale est dans ses grandes lignes dictée par les Etats -Unis.
Le chiffre d'affaires d'IBM France en 2002 s'est élevé à 5,2 milliards d'euros. Un chiffre analogue est visé en 2003, mais le problème de profitabilité reste entier, bien qu'en meilleure posture que nos concurrents.
La masse salariale d'IBM France est de 560 M €.

En sus, un système de rémunération variable et de récompenses discrétionnaires, fonction des performances collectives et individuelles existe.
IBM France a 11 établissements sur le territoire national , et consacre 3,27% de la masse salariale aux œuvres sociales des CE.

Comme dans d'autres grands groupes internationaux, la spécificité de notre réglementation sociale est mal connue de nos dirigeants mondiaux.
Cet été, IBM a cédé en moins d'un mois son logiciel HR Access software, logiciel destiné à la gestion des ressources humaines, cession qui a été accompagnée du transfert (L122-12) de 155 collaborateurs.

Des négociations sont en cours : l'une réforme notre PEE, avec une amélioration de l'abondement, l'autre souhaite clarifier nos règles en matière de mobilité professionnelle et géographique. Nous attendons les décrets sur la réforme des retraites pour ouvrir les négociations sur la mise en place des nouvelles possibilités.
Concernant les salaires, malgré un désaccord général des Organisations syndicales, IBM a prévu un plan salaire 2003 de 2%, réparti sur environ 50% de l'effectif. Grâce à un accord sur le droit syndical, les élus et DS sont assurés " collectivement " de voir leur salaire augmenter au moins de la valeur moyenne. Il y a 450 représentants du personnel et DS au sein de la compagnie.
La direction américaine d'IBM va lancer une enquête d'opinion auprès des 325000 salariés, dont les résultats seront analysés par pays et entités. On peut avoir quelques inquiétudes sur l'interprétation qui risque d'en être faite et les décisions qui en découleront..

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QUESTIONS DES PARTICIPANTS :


P : Dans Votre accord sur le droit syndical, est-il prévu un après syndicalisme, c'est à dire une possibilité d'évolution de carrière, avec ou sans formation de remise à niveau, lorsqu'un salarié met un terme à ses fonctions électives ou syndicales ?
I : L'accord actuel ne le prévoit pas.

P : Quand on a passé pendant 4 ou 5 ans, 50% de son temps à une activité syndicale, on a quelque risque de se retrouver décalé par rapport à l'évolution de son métier d'origine. L'idée est de prévoir dans un accord sur le droit syndical dans l'entreprise, la possibilité, après une période plus ou moins longue et active de syndicalisme, de pouvoir revenir par le biais d'un accompagnement, à son métier d'origine et avoir une évolution professionnelle normale (par exemple bilan de compétence, formation de remise à niveau, d'évolution professionnelle etc…).
Des accords permettant un tel accompagnement existent, par exemple à la RATP, chez TECHNIP etc…
Il faut aussi mettre en évidence le fait qu'une activité syndicale sérieuse doit être menée avec le même sérieux qu'une activité professionnelle normale. Cette activité amène également une expérience indiscutable, et il serait normale que les directions en tiennent compte pour l'évolution future de la carrière des intéressés.
I : Chez IBM, nous avons 700 mandats syndicaux et électifs. Nous reconnaissons bien évidemment la qualité de nos paatenaires sociaux. Néanmoins, on peut déplorer que certains R.P coupent " tout pont " avec une activité " professionnelle " ce qui risque de les éloigner de la réalité économique de l'Entreprise.

P : Un des problème du syndicalisme français est que le service rendu est le même pour un affilié actif que pour un salarié non affilié , parfois même hostile par principe au syndicalisme. N'y aurait-il pas possibilité d'imaginer un moyen pour inciter les salariés à plus s'intéresser aux activités syndicales, ne serait ce que de voter lors des élections professionnelles ?
I : Le rôle du CE et des élus, c'est de servir les salariés. Le salarié est avant tout un électeur. Le succès de votre syndicalisme, c'est de faire valoir des idées pour défendre les salariés, et attirer les gens par votre dynamisme. Quant à la gratuité, les crédits d'heures sont tout de même payés par l'entreprise pour une mission collective

Nota : Dans ce sens, on peut différencier l'action syndicale dans l'entreprise, ou les DS et élus se doivent d'être au service des salariés de l'entreprise sans discrimination et celle en dehors de l'entreprise, où le syndicat est libre de suivre les règles qu'il se donne dans le cadre de la loi..

P : Il est dans l'intérêt des entreprise de voir revaloriser la fonction syndicale, ne serait ce que pour avoir des interlocuteurs de qualité.
On ne peut pas être un bon syndicaliste si l'on n'est pas d'abord un professionnel reconnu et compétent dans sa profession. Ce fait est d'autant plus important lorsqu'il s'agit de l'encadrement. C'est un critère pour une bonne représentativité, et ce, qu'il exerce à un moment donné des fonctions syndicales à temps partiel, ou soit appelé pendant un temps plus ou moins long à un travail syndical à plein temps. Mais dans ce dernier cas, avec le risque de perdre le contact avec le terrain. Le syndicalisme destiné uniquement à se protéger ou se cacher n'est jamais un bon syndicalisme, à nous de savoir faire le ménage.

P : Chez IBM France, quelle est la proportion de cadres, combien sont syndiqués, et combien le sont à la CFE-CGC ?
I : 80 à 85% de nos salariés sont dans l'encadrement. Les syndicats ne nous communiquent pas le nombre de leurs adhérents, mais le poids de la CGC peut être mesuré à l'aune des résultats électoraux. Elle avait la première place juste devant la CFDT (32% des voix sur le plan national) mais les élections de cette année tend à montrer que la CFDT pourrait prendre l'avantage, principalement dans deux des établissements.

P : Comment expliquez-vous une certaine désaffection pour le syndicalisme, et en particulier pour la CFE-CGC ? Serait ce parce que nous sommes plus attachés à notre métier et négligeons notre fonction syndicale du même fait, ou parce que nous ne montrons pas assez d'agressivité face aux directions ?
I : On ne vous voit pas, ou mal. Ce n'est pas valable que pour la CFE-CGC mais aussi pour les autres. On entend souvent parler de la CFDT sur le plan national, mais beaucoup moins dans l'entreprise, où leur action ne concorde que rarement avec l'esprit constructif et contractuel que laissent apparaître leurs dirigeants nationaux (Notat ou Cherec).
Nous formons depuis deux ans tous les managers à la " chose syndicale " en leur enseignant : pourquoi il faut des syndicalistes, pourquoi il faut des candidats, pourquoi il faut voter, à quoi ça sert ; qu'un syndicaliste est d'abord un professionnel et un salarié, que sa fonction de syndicaliste va en sus de son métier. Il s'agit d'une véritable rééducation pour une façon de penser qui a du mal à évoluer. Nous avons besoin dans les directions de syndicalistes qui soient capables de nous contrer de manière constructive pour faire avancer le débat.

Nota : Il est souvent difficile effectivement de faire comprendre aux hiérarchies que faire sérieusement du syndicalisme est une activité professionnelle, et qu'il faut en tenir compte dans la charge de travail qui leur est attribuée en dehors de leur action syndicale.

P : Avoir de la visibilité vis à vis des salariés de l'entreprise nécessite qu'en dehors des actions auprès de la direction. , il soit passé un temps important en communication avec les salariés. Faire un tract, le distribuer, faire de la communication demande beaucoup de temps et de savoir faire. Les militants syndicaux en particulier ceux de la CFE-CGC ont généralement des postes de responsabilité qui ne leur laisse pas forcément suffisamment de temps pour ce faire.
I :.Chez nous, il y a 15 personnes de la CFE-CGC payées à plein temps pour faire du syndicalisme.

P : Distribuer un tract à la sortie de l'établissement est un acte qui n'est pas dans la culture des cadres pour diverses raisons, en particulier l'historique d'un syndicalisme révolutionnaire, mais aussi par crainte du regard des autres et de se faire critiquer par sa hiérarchie.*
Si chez IBM, la grande majorité des salariés sont membres de l'encadrement, ce n'est pas le cas dans beaucoup d'entreprises. Un tract concernant les cadres peut ne pas concerner du tout les ouvriers ou les employés d'une entreprise. Une solution a été trouvée dans certaines sociétés par un accord syndical permettant l'envoi de communiqués syndicaux, soit par mail, soit par courrier (cas prévu dans certaines branches dont les salariés sont très dispersés géographiquement, par exemple dans la convention SYNTEC).
I : L'utilisation de la messagerie interne pour la diffusion de tract me semble dangereuse et dérangeante pour les salariés. Je croyais que la CFE-CGC était un syndicat qui s'adressait à tous les collèges, car vous êtes présent chez nous dans les 3 collèges

P : De fait la CFE-CGC est reconnue sur le plan national comme un syndicat catégoriel, mais il peut être aussi représentatif pour les autres collèges dans une entreprises, sous condition de démontrer sa représentativité (résultats aux élections). Il est exact qu'actuellement, de nombreux salariés non cadres demandent à intégrer nos syndicats et à être présentés par nous aux élections professionnelles, ce qui n'est pas toujours évident et la source d'un certain nombre de procès intentés par la CGT, pour non représentativité.

P : Dans l'entreprise, le délégué syndical doit être au service des salariés. La désaffection des salariés pour le monde syndical en France a peut être pour origine leur division, ou le fait qu'ils n'ont pas suffisamment la parole dans les décisions. Par contre en ce qui concerne le " service aux salariés ", lorsqu'on se trouve en face de dossiers lourds, une demande d'adhésion et même de participation financière aux coûts engagés devient légitime. Mais il s'agit là d'un rôle qui va au delà du rôle d'élu.

Nota : il y a souvent confusion entre le rôle de l'élu, qui représente le personnel et de ce fait a le devoir de le défendre, et celui du mandaté par le syndicat (DS et RS) qui a la charge de représenter son syndicat dans l'entreprise et auprès de la direction. Son action engage juridiquement le syndicat. Toutefois, ceci ne l'empêche pas d'intervenir pour la défense des individus, mais ce en harmonie avec la politique défini par son syndicat, auprès duquel il est sensé pouvoir recevoir un appui juridique quand nécessaire, et une formation afin de mieux pouvoir remplir son rôle.

P : Il est très compliqué pour ne pas dire généralement impossible dans la plupart des entreprises de pouvoir avoir une évolution de carrière normale et faire du syndicalisme.
Il est peut être nécessaire d'aller jusqu'à une loi pour espérer un véritable statut du militant.
Il faut savoir aussi cadrer notre mission, et même si le fait peut nous tenter, notre rôle n'est pas de remplacer l'assistante sociale (nous n'en avons généralement ni les moyens ni la formation).

P : Vous avez dit que vous aviez peu de visibilité vis à vis des syndicats et des organisations de salariés. De par mon expérience, je puis témoigner que les moyens dont disposent les organisations des salariés n'ont rien de commun avec ceux dont disposent les directions, en personnel, budget, possibilité de faire appel à des spécialistes extérieurs etc…
I :.C'était peut être vrai, mais actuellement chez IBM, la Direction de Ressources Humaines a vu ses moyens fortement réduits, avec des missions très lourdes à gérer. De plus, une des fonctions des ressources humaines d'une grande entreprise est aussi de persuader les directions générales de tenir compte des réalités des problèmes humains qu'ils ont à gérer, ce qui, dans le contexte d'une entreprise multinationale, avec les décalages de culture, peut s'avérer une difficile tâche.

P : On constate effectivement dans notre entreprise filiale d'une " corporation " dont le siège est aussi aux USA, que les dirigeants de la branche française n'ont même plus le titre de directeur, et n'ont aucune latitude pour appliquer les directives reçues directement de la direction américaine. On imagine facilement l'ampleur de la difficulté qu'ils doivent rencontrer pour appliquer ces ordres !

P : Ne serait il pas utile pour les DRH d'inciter leurs cadres et leurs managers à se syndiquer ? Dans les faits, on peut constater, lorsqu'on distribue des tracts aux sorties des tours, que rarement ceux ci sont pris par les managers de l'entreprise, si bien que parfois on se demande comment serait pris tant par les directions que par leurs collègues et subalternes le fait qu'ils soient ouvertement syndiqués.
I : L'utilité d'être syndiqué, c'est un peu ce que nous essayons de leur faire comprendre. Ca n'est pas encore dans la culture de chacun , et cela ne peut évoluer qu'avec le temps. Les bouleversements actuels, restructurations, changements qui touchent les entreprises actuellement, amènent les directions à devoir exposer leurs projets devant les instances représentatives, ce qui les amènent à comprendre la nécessité d'élus et d'une représentation syndicale de qualité. C'est une question de temps.

P : Par expérience, il n'est pas facile pour un chef de division ou de service d'afficher clairement une appartenance syndicale. De plus, vouloir mener une vie syndicale active en parallèle à une carrière professionnelle se révèle dans la majorité des cas un handicap pour l'évolution de cette dernière. Il faut dans bien des cas faire un choix entre un avenir professionnel qui aurait pu être brillant, et une participation à l'action syndicale. Dans les cas les plus extrêmes , la totalité de la vie professionnelle doit être sacrifiée pour des fonctions syndicales plus larges, allant au delà de l'entreprise.

P : Vous nous dites que la situation sociale va changer dans les mois qui viennent. Quelles sont les changements et les causes profondes qui en seraient à l'origine ?
I : elles sont essentiellement économiques, en particulier pour le marché technologique auquel il va falloir s'adapter.

P : Avoir une activité syndicale dans son entreprise peut aussi avoir des avantages, car elle permet des contacts personnels au plus haut niveau de l'entreprise, ce qui dans certains cas, peut aussi participer à faire évoluer sa carrière personnelle.
I : Par le biais d'un mandat, et dans la mesure où vous le faites de façon intelligente et professionnelle, vous avez accès à un certain nombre d'informations que n'ont pas les autres. Vous rencontrez tous les dirigeants de l'entreprise, ce qui peut être un facteur d'accélération de carrière.

P : La presse (Le Monde ) a soulevé le problème des notations chez IBM, il y a quelques temps . Qu'en est il exactement ?
I : Ce n'a que défrayé la chronique, car on a été blanchi à la fois par le CCE et par l'inspection du travail. Il faut rester sceptique, même avec la presse qui se dit sérieuse.

P : Quelle est votre politique dans le cadre des plans de préretraite ?
I : Les nouveaux plans se font dans le cadre de l'accord de branche " CASA ", qui sont très réglementés. Par contre, la situation pour les préretraites " maison ", risque de poser quelques problèmes avec le recul de l'age de la retraite. Mais il est évident que nous ne pourrons pas les laisser tomber, et si nécessaire , un accompagnement sera mis en place jusqu'à l'ouverture de leur droit à la retraite à taux plein. Il faut rappeler que la situation est tout à fait particulière chez nous, où 20% de la population est en inactivité (ils restent électeurs et éligibles, bénéficient d'augmentations alors que les salariés ne le sont pas forcément -indexation-).

P : On parle beaucoup depuis un certain temps d'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Dans la pratique, en particulier avec l'usage des moyens de communication modernes (téléphone, Internet, ordinateur portable), vont souvent dans le sens inverse, et les gens se trouvent de plus en plus dérangés dans ce qui devrait être leur vie personnelle et leur vie de famille, par des contraintes ou des dérangements d'ordre professionnels, que ce soit tard le soir, pendant leurs week-ends ou leurs congés.
I : C'est vrai, mais à partir d'un certain niveau de poste dans l'entreprise, du fait de la concurrence et de l'évolution du marché plus que concurrentiel, un certain nombre de responsables se doivent d'être vigilants 24 h sur 24, au risque de laisser échapper un marché. Il s'agit d'un choix personnel vis à vis de son entreprise. On peut espérer que cette situation ne durera pas.