RENCONTRE DU 9 JANVIER 2003
Invité :
Philippe Jaeger coordinateur syndical CFE-CGC du groupe Rhodia

Philippe Jaeger travaille dans le groupe (Rhône Poulenc et maintenant Rhodia) depuis 1981, et malgré la possibilité offerte par notre accord syndical de faire du plein temps syndical, j'ai conservé jusqu'au 1er janvier une activité professionnelle (responsable de la productivité des achats).


Intervention de Philippe Jaeger


Issu de l'éclatement du groupe Rhône Poulenc, le groupe Rhodia représente 10.000 personnes en France, 22 sites, 26.000 salariés dans le monde, près de 7 milliards d'€ de CA, et une action qui baisse de manière récurrente depuis sa mise sur le marché en 2000. 5% du capital de RHODIA est dans les mains des salariés. 25% sont encore détenus par AVENTIS, qui a obligation de s'en dessaisir avant mai 2003. Il en résulte un inquiétude légitime concernant l'avenir du groupe et de ses salariés.


Développement durable :

Le concept, qui est maintenant très à la mode. date des années 80 : "Nous n'héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants."

Une définition a été donnée en 1987 par l'ONU : "Ce sont des liens qui unissent l'économie et la société, ou il est question des besoins qui satisfassent les besoins des générations présentes sans compromettre pour les générations futures la satisfaction des leurs"

Nota : la définition est très générale et peut s'appliquer à toutes les activités humaines.
La définition "américaine" du "sustainable development" est plutôt axée sur son application aux entreprises et sur la possibilité de développement de celles-ci plus que sur les considérations sociales ou économiques.

Le développement durable de toute activité humaine s'appuie sur 3 notions inséparables, et en particulier dans le cas des entreprises :
- l'économie (la pérennité d'une activité ne peut être assurée sans rentabilité économique). Ce point est essentiellement l'affaire du management et des financiers, mais concerne aussi directement les salariés actionnaires,
- Le volet social : relations avec les hommes qui participent à l'activité ; en l'occurrence les salariés de l'entreprise, et par conséquence la pérennité de leur statut de salarié lié à celle de l'entreprise.
- l'environnement, dans son sens le plus large incluant l'environnement physique et social externe à l'entreprise, c'est à dire tout le milieu dans lequel évolue l'entreprise.

Les fonds éthiques :

Le concept est né dans les années 20 aux USA, quand des "congrégations religieuses" ont voulu placer leur argent en tenant compte de leurs
critères "moraux". ne désiraient pas investir dans "les sociétés du péché" (sin stocks) : par exemple, armement, jeux, tabac, alcool (on est en pleine période de la prohibition). C'était la première génération des "fonds éthiques".
Toujours aux USA, dans les années 60, ces critères se sont élargis vers les lieux de production, en introduisant les concepts de "droits de l'homme", des conditions de travail, ou politiques (par exemple exclusion des sociétés d'Afrique du Sud ou en Irlande du Nord). Les critères sont exclusivement des critères d'exclusion.
A noter le comité intersyndical de l'épargne salariale, qui a établi une liste de critères et labellisé 7 fonds qui y répondent à ce jour.


Agences de notation "ETHIQUES" :

Dans les années 90, on voit une évolution vers des critères de sélection et la mise en place de notations. Des agences se spécialisent dans ce travail, et établissent des systèmes et des barèmes de notation pour les entreprises.
En France, ARESE a été précurseur, sous la direction de Geneviève FERRONE, avec la bénédiction de la Caisse des Dépôts et des Caisses d'Epargne, les entreprises étaient notées, les revenus de l'agence étant assurés par la revente aux institutionnels des résultats de ces notations.
L'année dernière, ARESE a fait l'objet d'une OPA hostile, parrainée par la Caisse des Dépôts et Consignations, afin de recaser Mme Notat ; Mme Ferrone s'est retrouvée débarquée et a depuis créé sa propre agence. La nouvelle agence de Mme Notat, (VIGEO) se veut européenne, et a pris pour principe de se faire financer par les entreprises qu'elle cote, (ce qui est sans aucun doute un critère sérieux d'indépendance).
Depuis quelques temps, les entreprises sont soumises à un flot de différents cabinets de toute natures, concernant des évaluations. Les entreprises ont des fichiers à remplir, et très souvent n'ont pas les moyens d'y répondre.
L'officine de Mme Notat propose que deux consultants passent 30 jours dans l'entreprise, pour dresser un tableau " exhaustif " des critères sociaux et environnementaux concernant l'entreprise.
ORSE : (Organisme de la Responsabilité Sociale des Entreprises) Cet organisme dont la plupart des confédérations syndicales sont membres, travaille également sur ce sujet et a déjà rassemblé une importante documentation sur les entreprises. Celle-ci est à votre disposition. Le site internet est www.orse.org . Le secrétaire général en est Claude Cambus et le délégué général François Fatoux. Si votre entreprise n'adhère pas encore, incitez votre direction à le faire.

Les critères de notation :
ARESE prenait en compte 300 critères pour procéder à la notation des entreprises, et avant sa disparition, avait procédé à la notation des 100 premières capitalisations boursières françaises.
Ces critères étaient répartis sur 5 axes :
- ressources humaines
- environnement
- relations client - fournisseur
- relations avec les actionnaires
- relations avec la société civile.

Ces notations sont pondérées branche par branche, et pour chaque branche, l'entreprise est positionnée par rapport au meilleur, au médium et au moins bon.
Le choix de l'interlocuteur qui répond aux questions est évidemment primordial, c'est pourquoi ARESE ne contactait pas seulement les direction des entreprises, mais aussi des syndicalistes, des ONG etc…
C'est un schéma analogue qui est repris par l'officine dirigée par Mme Notat, avec la différence qu'elle est financée directement par l'entreprise cotée. (elle propose également des prestations de consultant afin d'améliorer la notation…)
Dans le cas des cabinets anglo-saxons, on ne peut exclure le règne d'un certain chauvinisme, et l'apparition de critères dont le choix n'a d'autres but que d'exclure les entreprises qui sortent de leur zone propre.
Certaines agences de notation incluent également au niveau des ressources humaines l'existence d'associations d'actionnaires salariés et leur représentation aux conseils d'administration. (ce qui fait mieux comprendre le fait que certaines directions sont plutôt favorable à la création de telles associations, tout en déniant toute possibilité de représentation de celles-ci au niveau des AG). Si Rhône-Poulenc avait des administrateurs salariés au CA, (suite à la nationalisation) ce n'est plus le cas à RHODIA, le PDG y étant opposé, sous prétexte de l'envergure internationale du groupe… Il a tout de même nommé un actionnaire salarié Brésilien (qui a un poste de direction générale d'une filiale dans ce pays)
Il devient aussi à la mode pour les entreprises de faire éditer des plaquettes vantant leur attachement à l'environnement et au "développement durable". (Rhodia, Solvay, Total…) mais le plus souvent pour essayer d'effacer un lourd passé pollueur, fruit de négligences ou de critères de rentabilité immédiate, mais aussi hérité souvent de décennies d'activités industrielles polluantes remontant pour certaines jusqu'aux débuts de la révolution industrielle.
La remise en état d'anciens sites industriels est généralement un travail long (qui peut durer des dizaines d'années par exemple pour dépolluer une nappe phréatique) et coûteux, parfois missions impossibles, en particulier pour des anciens sites industriels dont les activités ont été abandonnées depuis longtemps, à des périodes ou les préoccupations écologiques actuelles n'étaient pas de mise.

L'aspect médiatique peut aussi avoir des effets pervers : on site le cas de NESTLE, qui avait été très critiqué dans les années 60 pour sa campagne de vente de lait en poudre pour les bébés africains, et qui avait oublié que l'eau disponible dans ces pays avait entraîné de graves conséquences sur la santé des nourrissons. Aujourd'hui, avec le développement des cas de SIDA, le retour du lait en poudre permettrai de sauver bien des enfants, à condition de prendre le minimum de précaution avec l'eau. NESTLE pourrait reprendre sa campagne , mais compte tenu du passé, attend que des ONG lui demande.