Intervention de
du Dr Marie Guillot
Le stress, nouveau "mal du siècle"
On parle de plus en plus de harcèlement moral et de stress dans
le monde du travail. (le harcèlement moral n'est qu'une cause du
stress)
Les enquêtes et les études sont nombreuses. On évalue
des dégâts, des coûts, pour les hommes et les entreprises...
DEFINITION :
D'après le petit Larousse le stress est "un ensemble de perturbations
biologiques et psychiques provoquées par une agression quelconque
sur un organisme et les réponses de celui-ci".
Ce mot anglais à l'origine désigne une contrainte, une tension,
une sollicitation, et s'emploie aussi bien dans le sens psychologique
qu'en mécanique..
En mécanique, toute dynamique, tout mouvement implique un effort,
une contrainte. C'est une loi de la nature qui s'applique aussi à
l'organisme humain tant sur le plan physique que sur le plan psychologique.
De même qu'en mécanique, l'organisme a besoin de stress pour
aller de l'avant, et affronter les situations de tous les jours.
Au delà d'un certain niveau, tout comme une pièce mécanique
se détériore, et peut aller jusqu'à la rupture, un
organisme humain peut subir des dommages plus ou moins importants jusqu'à
devenir irréversibles
Tous les événements de notre vie peuvent être facteurs
de stress, dans la vie familiale, la vie sociale, le travail ...
LE MECANISME DU STRESS :
Les rythmes biologiques :
L'organisme humain obéit à des cycles plus ou moins réguliers,
soumis à des rythmes de sécrétions hormonales, du
sommeil des repas, etc... Il en résulte que l'homme ne peut pas
faire n'importe quoi n'importe quand. On sait par exemple que tel médicament
a plus d'effet pris à tel moment de la journée plutôt
qu'à tel autre. De même, nos forces physiques varient considérablement
tout au long d'un cycle de 24 h.
Quelques exemples :
Le rythme du sommeil, qui est une succession de 6 ou 7 cycles d'environ
90 mn passant du sommeil lent léger, au sommeil lent profond puis
au sommeil paradoxal. La première moitié de la nuit permet
surtout une récupération physique, la seconde plutôt
psychique et nerveuse.
Le rythme des repas : La prise des repas est un point de repère
fondamental dans la vie sociale et familiale. La régularité
des prises de repas est une garantie contre les troubles métaboliques,
ou les prises de poids. La prise judicieuse des collations est une aide
pour une meilleure vigilance au travail.
Le rythme du travail :
LES REACTIONS DE L'ORGANISME :
Phase d'alarme : L'organisme mobilise ses défenses pour s'adapter
à une situation. Le stress engendre une poussée d'adrénaline
qui active la réflexion et prépare à l'action physique.
Phase de mobilisation : Sous l'effet d'un stress répété
ou durable, l'organisme fonctionne toujours de manière à
répondre aux besoins dans un esprit d'endurance. L'impact sur l'organisme
et le psychisme deviennent négatifs: fatigue, mauvaise humeur,
soucis, irritabilité, troubles nerveux.
Phase d'épuisement : à ce point, les ressources de l'individu
ne lui permettent plus de s'adapter à la situation. Les défenses
immunitaires s'amenuisent favorisant l'apparition de maladies psychosomatiques
(problèmes digestifs, cardiaques, lombalgies etc...) des réactions
psychologiques s'ensuivent : anxiété, instabilité,
dépression, baisse de la créativité, de la mémoire,
ce qui entraîne absentéisme et insatisfaction professionnelle.
Le comportement change : les gestes sont plus vifs et précipités.
Certains s'orientent vers la boulimie, le tabac, l'alcool, le café
ou les tranquillisants.
LES CAUSES DU STRESS AU TRAVAIL :
Les conditions de travail :
- surcharge de travail
- organisation trop rigide ou inadaptée
- travail en permanence dans l'urgence
- les rythmes de travail à la fois plus concentré et plus
irrégulier avec l'avènement des 35 h
- la multiplicité des sujets à traiter
- L'évolution de carrière : frustration des espoirs de carrière,
inquiétude quant à la sécurité de l'emploi
- ambiguïté des rôles
- sexisme
- harcèlement moral ou sexuel
- absence de participation aux décisions
- L'interface foyer - travail : retombées de la vie professionnelle
sur la vie familiale et inversement
- absence de soutien de la part du conjoint
- éloignement du lieu de travail etc...
LA GESTION DU STRESS :
Le stress ne se soigne pas , il se gère.
Gestion personnelle :
"Se connaître soi-même, connaître et analyser ses
réactions face à des situation, rester maître de la
situation
Gérer son
comportement :
- gérer son temps, en sélectionnant les priorités
- avoir une bonne hygiène de vie
- maîtriser ses pensées stressantes
- pratiquer la "mini-relaxation" pendant la journée
- "il suffit de se croire esclave pour l'être" (Alain)
Les modérateurs
du stress : le moral, ça se travaille.
- parler de ses soucis
- ne pas se sous estimer
- soutien psychologique de l'entourage professionnel et familial
- sortir de la routine (hobbies, loisirs, etc...)
Rôle du médecin
du travail :
Il peut aider à repérer, à identifier et faire éliminer
les sources de stress, à régler des conflits et modifier
l'organisation du travail. Une écoute compréhensive des
salariés, et l'utilisation de questionnaires peut lui permettre
d'identifier les problèmes et proposer des solutions.
Il faut dépister les signes pathologiques le plus tôt possible,
prévenir les rechutes et suivre les intéressés pour
une meilleure aide au maintien au travail.
Rôle de l'entreprise
:
Un salarié qui a des problèmes personnels a toutes les chances
d'être stressé au travail. L'entreprise peut parfois aider
à résoudre un certain nombre de problèmes personnels
de ses salariés. Des études en cours sur des expériences
vécues en entreprise, montreraient que des pauses de relaxation
seraient un facteur de diminution de stress au travail.
Actions associatives :
Des associations voient le jour pour aider des salariés hyper-stressés
("mots pour maux", "Cadrilège", consultations
"souffrance et travail" etc...)
Syndicats :
L'expérience de l'Observatoire du Stress, fondé par le Dr
Salengro de la CGE-CGC montre qu'à coté des causes attendues
que sont la surcharge de travail, le management par le stress ou l'utilisation
abusive et perverse des 35 h , apparaissent de nouvelles liées
aux nouvelles technologies.
Le stress et la
législation du travail :
Une des revendication de la CFE-CGC est que le stress soit reconnu comme
une cause de maladie professionnelle.
Le syndicat des médecins du travail CFE-CGC demandaient que le
harcèlement moral au travail soit reconnu par la loi : c'est chose
faire dans la loi de modernisation sociale du 17/1/2002. (En Suède,
le stress est reconnu comme une maladie professionnelle).
QUESTIONS DES PARTICIPANTS
:
Q : La nouvelle loi parle
de harcèlement moral, mais n'en définit pas les limites.
Tout dépend de la définition que l'on donne. Les risques
d'abus de part et d'autre sont prévisibles. Par exemple, (cas rencontré)
un salarié à qui son supérieur demande de travailler
est il harcelé?
R : C'est le revers de la médaille
d'une législation trop rigide. En Suède, où ce type
de loi existe depuis des années, on arrive à des abus de
ce type. Mais il n'y a pas de harcelé sans harceleur.
Q : Les conseillers du salarié
reçoivent quotidiennement des salariés se plaignant de harcèlement.
Que peut on faire sur le plan juridique ? pénal ou prud'homales?
R : Les
prud'hommes ont eu à juger des affaires de harcèlement,
mais sur des cas particulièrement flagrants. (cas de pressions
répétitives qui tendent à minorer la valeur personnelle
de l'individu.). La loi donne désormais une définition (art
L122-49 :) du."harcèlement moral qui a pour objet ou pour
effet une dégradation des conditions de travail susceptible de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer
sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
"
S'il s'agit d'aller vers une rupture du contrat de travail, la compétence
est des prud'hommes. S'il s'agit de dommages (physiques ou moraux), c'est
en plus du ressort du pénal.
Par expérience, la seule solution est de séparer les belligérants,
de négocier des changements de postes. Il y a des profils d'incompatibilités
entre personnes qui peuvent multiplier les risques de harcèlement.
Q : Malgré le cadre législatif,
l'établissement de la preuve est toujours difficile.
R : Il est essentiel pour les personnes
qui se sentent harcelé, de noter très précisément
les constatations de harcèlement, en précisant jour et heure.(tenir
un journal) La verbalisation du problème permet autant de pouvoir
s'y retrouver que d'ouvrir la voie à des solutions. On peut collecter
des témoignages de personnes qui ont quitté l'entreprise,
mais pratiquement pas de personnes encore dans l'entreprise. Mais il faut
savoir résister et faire appel aux DS, aux DP, et au médecin
du travail qui peut ordonner un arrêt de travail (qui pourra éventuellement
servir de commencement de preuve, souvent la seule)
Aujourd'hui, un climat d'insécurité règne dans les
entreprises. La plupart des chefs d'entreprise sont dans l'impossibilité
d'élaborer une stratégie à long comme à moyen
terme. Ils font généralement appels à des consultants
extérieurs qui n'ont souvent d'autres propositions à faire
que de licencier (il faut bien qu'ils justifient leur prestation par un
gain, trop souvent à court terme et généralement
illusoire), suite aux conséquences d'erreurs de stratégie
-Alcatel, Vivendi etc...- (on ne licencie guère au sein des conseils
d'administration à l'origine des erreurs). Nos dirigeants sont
stressé, du fait que leur poste dépend d'aléa qu'ils
ne maîtrisent pas. Leur rémunération est très
élevée, mais aléatoire. Ils doivent prendre des décisions
très rapidement, qui peuvent coûter des centaines de millions
d'euros à l'entreprise. Le stress occasionné se répercute
sur toute la hiérarchie, jusqu'aux exécutants. Il en résulte
une gestion à court terme. On pense à ses stock options,
on s'attribue des rémunérations démesurées
pour compenser les baisses de la bourse, la course à la flatterie
du président pour assurer postes et rémunérations
au quotidien; on rachète des actions pour valoriser les stock options...
A aucun moment on ne voit de responsabilité en terme social et
humain. C'est ce chacun pour soi qui est à la source de ce climat
d'insécurité professionnelle et du stress. N'est-ce pas
le rôle des syndicats que de réagir sur ce plan là,
en interpellant les dirigeants en Assemblée Générale
et en cours d'année ? Si la société ne prend pas
les mesures nécessaires pour gérer ce stress, et faire en
sorte que la société ne devienne plus vivable pour ceux
qui y sont actifs et pour ceux qui vont le devenir, on risque d'aller
vers une catastrophe.
Les opérations d'absorption sont génératrices de
stress autant chez les absorbés que chez les absorbeurs. Les 35
heures viennent rajouter au problème, car sous couvert de réduction
du temps de travail on en est arrivé à une augmentation
effective du temps de travail en particulier pour les cadres ?
Q : La gestion par le stress
n'a t elle pas ses limites ?
R : On commence à entendre
dire par les "spécialistes" et les media, que le meilleur
est obtenu quand les gens se sentent heureux à leur travail..
Q : Il y a deux sortes de médecins
du travail : les salarié de l'entreprise et ceux qui travaillent
dans un organisme inter-entreprise. Malgré des qualités
personnelles et d'écoute exceptionnelles, ils sont finalement tributaire
des exigences de l'employeur aux volontés desquels il ne peuvent
que se plier. Quelle serait donc la possibilité d'avoir de sa part
le moindre élément qui risquerait d'introduire une instance
en pénal ou en prud'hommes?
R : Notre
profession marche sur des ufs en permanence. Pour faire son travail,
on doit aller à petits pas et naviguer à vue. De plus, il
faut souvent faire la part des choses entre les dires du salarié
qui vient vous voir et ceux de son chef. Une action juridique n'est pas
toujours la meilleure solution. De très nombreux problèmes
peuvent être résolus à condition que les gens en parlent
et se parlent.
Exemple vécu : j'ai mis en arrêt maladie une salarié,
qui avait de tels problèmes, avec comme conditions de reprise du
travail son changement de poste. Il s'est avéré qu'après
ce changement, la personne s'est épanouie et a vu son stress disparaître.
Q : Que penser du mi temps thérapeutique
?
R : Ce doit
être une réadaptation au travail à temps complet.
En aucun cas il ne doit être utilisé comme une demi mesure
d'arrêt de travail, et doit avoir une durée relativement
brève (généralement moins d'un mois, exceptionnellement
jusqu'à 6 mois, alors qu'actuellement on constate des abus jusqu'à
1 an). Sinon, l'arrêt de travail ou la mise en invalidité
est plus adaptée. Ce ne doit pas être une mise à temps
partiel de fait payée temps complet.
EXPERIENCE VECUE :
"Le mi-temps thérapeutique peut être séduisant
dans la mesure où il permet d'éviter des temps de transport,
et la fatigue qui va avec.
La meilleure formule consisterait à travailler par exemple 2 jours
une semaine, 3 jours la semaine suivante. En terme de business ce n'est
valable que si la mission du collaborateur est revue à la baisse.
Mon médecin du travail y à incité mon manager. Dans
la réalité c'était moins évident : je travaillais
souvent 10h par jours, avec le sentiment presque permanent de perdre pied
par rapport à la tâche à réaliser.
Ce mode de travail ne peut s'appliquer qu'à un employé dont
le travail est bien défini dans un créneau qu'il est en
mesure de le respecter.
Financièrement, c'est une période difficile dans la mesure
où il n'y a pas subrogation entre l'employeur et la Sécu.
N'ayant pas connaissance de cette situation. Je suis restée longtemps
avec un demi salaire, la Sécu et le service du personnel se renvoyant
la balle sur la façon de remplir les différents formulaires
nécessaires. Mon banquier bien entendu s'en est mêlé
et j'ai dû faire intervenir une assistante sociale d'IBM pour que
l'on m'accorde un prêt (sans intérêt de la part du
CE) et une avance du service paie pour essayer d'endiguer le flot de problèmes.
Si je devais revivre la même un arrêt maladie sur une plus
longue période serait préférable à une reprise
du travail dans de telles conditions."
Q : Ne serait il pas utile
pour les syndicalistes d'être formés à la gestion
des crises entre les personnes, et à la gestion du stress ? Les
syndicalistes ont ils un rôle à jouer dans la prévention
du stress ?
R : La première chose à
faire est un état des lieux. Modifier l'ambiance de travail d'une
équipe est souvent une gageure, Lorsqu'un stressé et un
stresseur travaillent ensemble, la meilleure solution est de les séparer.
Il est difficile de changer l'attitude des gens. Le rôle du syndicaliste,
qui est sur le terrain, est de proposer des solutions. Depuis quelques
années, on assiste à une évolution radicale des comportements
au travail, et d'une dégradation des relations humaines dans les
entreprises. Les comportements sont de plus en plus individualistes. Les
relations entre individus, de plus en plus impersonnelles sont plus fréquemment
qu'avant source de stress, et à l'origine de conflits.
Q : On rencontre souvent dans le
travail, parfois même en dehors de l'entreprise, des attitudes d'agressivité
génératrices de stress. Comment s'en prémunir ?
R : Son propre
comportement peut induire l'agressivité. L'agression peut être
muette. Chacun doit bien analyser son propre comportement avec les autres
et ses conséquences.
Nota : La plupart des affaires pourraient se régler si les gens
étaient amenés à véritablement se parler.
Comme il y a actuellement très peu de jurisprudences sur le sujet,
les cabinets d'avocat auront tendance à amener l'affaire au tribunal
dans l'espoir de gagner (ce qui n'a rien de garanti - il est souhaitable
dans ce cas que l'avocat soit rémunéré sur les gains
obtenus au procès-), mais aussi pour faire avancer cette jurisprudence.
Q : Dans les activités manuelles
ou techniques, on peut parler d'aptitude ou d'inaptitude au poste. Ne
peut on pas de la même manière parler d'inaptitude psychologique
à un poste, en particulier pour les activités administratives
?
R : Ce peut
être une arme à double tranchant, et risque d'être
interprété comme discriminatoire. Le seul jugement possible
est l'aptitude ou non au travail ou à un poste, généralement
temporaire. Si une inaptitude est reconnue définitive, le résultat
est généralement le licenciement.
Q : Le harcèlement
peut aussi exister du subordonné vers le supérieur hiérarchique.
Le médecin du travail étant payé par l'entreprise,
quelles sont ses limites?
R : Le médecin du travail doit
se contenter de collecter et attester des faits, tout en tenant compte
du secret médical. Le médecin du travail est salarié,
en même temps conseiller des salariés, de l'employeur et
du CHSCT. Il doit donner son point de vu sans plus. C'est toute la difficulté.
Les règles pour quelqu'un qui constate être harcelé
:
1°) Contacter un délégué syndical, qui connaît
bien le milieu et pourra faire une première analyse de la situation
2°) Voir le médecin du travail, avec l'aide éventuelle
du DS et lui exposer le problème.
3°) Communiquer avec les collègues, parlez-en avec eux. Surtout
ne pas s'isoler et ne pas laisser le harcelé s'isoler.
4°) Signaler les faits par écrit à la hiérarchie
pour officialiser les faits.
A
NOTER : L'observatoire du Stress, mis en place par notre collègue
le Dr Salengro salengro@cfecgc.fr
HB
|