RENCONTRE DU 6 JUIN 2002
Invitée :Marie Guillot
Médecin du travail à la CPAM 93

Marie Guillot, Docteur en médecine, exerce son métier de Médecin du travail à la CPAM 93 et milite depuis des années au sein de la CFE-CGC


Intervention de du Dr Marie Guillot

Le stress, nouveau "mal du siècle"
On parle de plus en plus de harcèlement moral et de stress dans le monde du travail. (le harcèlement moral n'est qu'une cause du stress)
Les enquêtes et les études sont nombreuses. On évalue des dégâts, des coûts, pour les hommes et les entreprises...

DEFINITION :
D'après le petit Larousse le stress est "un ensemble de perturbations biologiques et psychiques provoquées par une agression quelconque sur un organisme et les réponses de celui-ci".
Ce mot anglais à l'origine désigne une contrainte, une tension, une sollicitation, et s'emploie aussi bien dans le sens psychologique qu'en mécanique..
En mécanique, toute dynamique, tout mouvement implique un effort, une contrainte. C'est une loi de la nature qui s'applique aussi à l'organisme humain tant sur le plan physique que sur le plan psychologique.
De même qu'en mécanique, l'organisme a besoin de stress pour aller de l'avant, et affronter les situations de tous les jours.
Au delà d'un certain niveau, tout comme une pièce mécanique se détériore, et peut aller jusqu'à la rupture, un organisme humain peut subir des dommages plus ou moins importants jusqu'à devenir irréversibles
Tous les événements de notre vie peuvent être facteurs de stress, dans la vie familiale, la vie sociale, le travail ...

LE MECANISME DU STRESS :
Les rythmes biologiques :
L'organisme humain obéit à des cycles plus ou moins réguliers, soumis à des rythmes de sécrétions hormonales, du sommeil des repas, etc... Il en résulte que l'homme ne peut pas faire n'importe quoi n'importe quand. On sait par exemple que tel médicament a plus d'effet pris à tel moment de la journée plutôt qu'à tel autre. De même, nos forces physiques varient considérablement tout au long d'un cycle de 24 h.
Quelques exemples :
Le rythme du sommeil, qui est une succession de 6 ou 7 cycles d'environ 90 mn passant du sommeil lent léger, au sommeil lent profond puis au sommeil paradoxal. La première moitié de la nuit permet surtout une récupération physique, la seconde plutôt psychique et nerveuse.
Le rythme des repas : La prise des repas est un point de repère fondamental dans la vie sociale et familiale. La régularité des prises de repas est une garantie contre les troubles métaboliques, ou les prises de poids. La prise judicieuse des collations est une aide pour une meilleure vigilance au travail.
Le rythme du travail :

LES REACTIONS DE L'ORGANISME :
Phase d'alarme : L'organisme mobilise ses défenses pour s'adapter à une situation. Le stress engendre une poussée d'adrénaline qui active la réflexion et prépare à l'action physique.
Phase de mobilisation : Sous l'effet d'un stress répété ou durable, l'organisme fonctionne toujours de manière à répondre aux besoins dans un esprit d'endurance. L'impact sur l'organisme et le psychisme deviennent négatifs: fatigue, mauvaise humeur, soucis, irritabilité, troubles nerveux.
Phase d'épuisement : à ce point, les ressources de l'individu ne lui permettent plus de s'adapter à la situation. Les défenses immunitaires s'amenuisent favorisant l'apparition de maladies psychosomatiques (problèmes digestifs, cardiaques, lombalgies etc...) des réactions psychologiques s'ensuivent : anxiété, instabilité, dépression, baisse de la créativité, de la mémoire, ce qui entraîne absentéisme et insatisfaction professionnelle. Le comportement change : les gestes sont plus vifs et précipités. Certains s'orientent vers la boulimie, le tabac, l'alcool, le café ou les tranquillisants.

LES CAUSES DU STRESS AU TRAVAIL :
Les conditions de travail :
- surcharge de travail
- organisation trop rigide ou inadaptée
- travail en permanence dans l'urgence
- les rythmes de travail à la fois plus concentré et plus irrégulier avec l'avènement des 35 h
- la multiplicité des sujets à traiter
- L'évolution de carrière : frustration des espoirs de carrière, inquiétude quant à la sécurité de l'emploi
- ambiguïté des rôles
- sexisme
- harcèlement moral ou sexuel
- absence de participation aux décisions
- L'interface foyer - travail : retombées de la vie professionnelle sur la vie familiale et inversement
- absence de soutien de la part du conjoint
- éloignement du lieu de travail etc...

LA GESTION DU STRESS :
Le stress ne se soigne pas , il se gère.
Gestion personnelle :
"Se connaître soi-même, connaître et analyser ses réactions face à des situation, rester maître de la situation

Gérer son comportement :
- gérer son temps, en sélectionnant les priorités
- avoir une bonne hygiène de vie
- maîtriser ses pensées stressantes
- pratiquer la "mini-relaxation" pendant la journée
- "il suffit de se croire esclave pour l'être" (Alain)

Les modérateurs du stress : le moral, ça se travaille.
- parler de ses soucis
- ne pas se sous estimer
- soutien psychologique de l'entourage professionnel et familial
- sortir de la routine (hobbies, loisirs, etc...)

Rôle du médecin du travail :
Il peut aider à repérer, à identifier et faire éliminer les sources de stress, à régler des conflits et modifier l'organisation du travail. Une écoute compréhensive des salariés, et l'utilisation de questionnaires peut lui permettre d'identifier les problèmes et proposer des solutions.
Il faut dépister les signes pathologiques le plus tôt possible, prévenir les rechutes et suivre les intéressés pour une meilleure aide au maintien au travail.

Rôle de l'entreprise :
Un salarié qui a des problèmes personnels a toutes les chances d'être stressé au travail. L'entreprise peut parfois aider à résoudre un certain nombre de problèmes personnels de ses salariés. Des études en cours sur des expériences vécues en entreprise, montreraient que des pauses de relaxation seraient un facteur de diminution de stress au travail.


Actions associatives :

Des associations voient le jour pour aider des salariés hyper-stressés ("mots pour maux", "Cadrilège", consultations "souffrance et travail" etc...)
Syndicats :
L'expérience de l'Observatoire du Stress, fondé par le Dr Salengro de la CGE-CGC montre qu'à coté des causes attendues que sont la surcharge de travail, le management par le stress ou l'utilisation abusive et perverse des 35 h , apparaissent de nouvelles liées aux nouvelles technologies.

Le stress et la législation du travail :
Une des revendication de la CFE-CGC est que le stress soit reconnu comme une cause de maladie professionnelle.
Le syndicat des médecins du travail CFE-CGC demandaient que le harcèlement moral au travail soit reconnu par la loi : c'est chose faire dans la loi de modernisation sociale du 17/1/2002. (En Suède, le stress est reconnu comme une maladie professionnelle).


 

QUESTIONS DES PARTICIPANTS :

 

Q : La nouvelle loi parle de harcèlement moral, mais n'en définit pas les limites. Tout dépend de la définition que l'on donne. Les risques d'abus de part et d'autre sont prévisibles. Par exemple, (cas rencontré) un salarié à qui son supérieur demande de travailler est il harcelé?
R : C'est le revers de la médaille d'une législation trop rigide. En Suède, où ce type de loi existe depuis des années, on arrive à des abus de ce type. Mais il n'y a pas de harcelé sans harceleur.

Q : Les conseillers du salarié reçoivent quotidiennement des salariés se plaignant de harcèlement. Que peut on faire sur le plan juridique ? pénal ou prud'homales?
R : Les prud'hommes ont eu à juger des affaires de harcèlement, mais sur des cas particulièrement flagrants. (cas de pressions répétitives qui tendent à minorer la valeur personnelle de l'individu.). La loi donne désormais une définition (art L122-49 :) du."harcèlement moral qui a pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. "
S'il s'agit d'aller vers une rupture du contrat de travail, la compétence est des prud'hommes. S'il s'agit de dommages (physiques ou moraux), c'est en plus du ressort du pénal.
Par expérience, la seule solution est de séparer les belligérants, de négocier des changements de postes. Il y a des profils d'incompatibilités entre personnes qui peuvent multiplier les risques de harcèlement.

Q : Malgré le cadre législatif, l'établissement de la preuve est toujours difficile.
R : Il est essentiel pour les personnes qui se sentent harcelé, de noter très précisément les constatations de harcèlement, en précisant jour et heure.(tenir un journal) La verbalisation du problème permet autant de pouvoir s'y retrouver que d'ouvrir la voie à des solutions. On peut collecter des témoignages de personnes qui ont quitté l'entreprise, mais pratiquement pas de personnes encore dans l'entreprise. Mais il faut savoir résister et faire appel aux DS, aux DP, et au médecin du travail qui peut ordonner un arrêt de travail (qui pourra éventuellement servir de commencement de preuve, souvent la seule)
Aujourd'hui, un climat d'insécurité règne dans les entreprises. La plupart des chefs d'entreprise sont dans l'impossibilité d'élaborer une stratégie à long comme à moyen terme. Ils font généralement appels à des consultants extérieurs qui n'ont souvent d'autres propositions à faire que de licencier (il faut bien qu'ils justifient leur prestation par un gain, trop souvent à court terme et généralement illusoire), suite aux conséquences d'erreurs de stratégie -Alcatel, Vivendi etc...- (on ne licencie guère au sein des conseils d'administration à l'origine des erreurs). Nos dirigeants sont stressé, du fait que leur poste dépend d'aléa qu'ils ne maîtrisent pas. Leur rémunération est très élevée, mais aléatoire. Ils doivent prendre des décisions très rapidement, qui peuvent coûter des centaines de millions d'euros à l'entreprise. Le stress occasionné se répercute sur toute la hiérarchie, jusqu'aux exécutants. Il en résulte une gestion à court terme. On pense à ses stock options, on s'attribue des rémunérations démesurées pour compenser les baisses de la bourse, la course à la flatterie du président pour assurer postes et rémunérations au quotidien; on rachète des actions pour valoriser les stock options...
A aucun moment on ne voit de responsabilité en terme social et humain. C'est ce chacun pour soi qui est à la source de ce climat d'insécurité professionnelle et du stress. N'est-ce pas le rôle des syndicats que de réagir sur ce plan là, en interpellant les dirigeants en Assemblée Générale et en cours d'année ? Si la société ne prend pas les mesures nécessaires pour gérer ce stress, et faire en sorte que la société ne devienne plus vivable pour ceux qui y sont actifs et pour ceux qui vont le devenir, on risque d'aller vers une catastrophe.

Les opérations d'absorption sont génératrices de stress autant chez les absorbés que chez les absorbeurs. Les 35 heures viennent rajouter au problème, car sous couvert de réduction du temps de travail on en est arrivé à une augmentation effective du temps de travail en particulier pour les cadres ?

Q : La gestion par le stress n'a t elle pas ses limites ?
R : On commence à entendre dire par les "spécialistes" et les media, que le meilleur est obtenu quand les gens se sentent heureux à leur travail..

Q : Il y a deux sortes de médecins du travail : les salarié de l'entreprise et ceux qui travaillent dans un organisme inter-entreprise. Malgré des qualités personnelles et d'écoute exceptionnelles, ils sont finalement tributaire des exigences de l'employeur aux volontés desquels il ne peuvent que se plier. Quelle serait donc la possibilité d'avoir de sa part le moindre élément qui risquerait d'introduire une instance en pénal ou en prud'hommes?
R : Notre profession marche sur des œufs en permanence. Pour faire son travail, on doit aller à petits pas et naviguer à vue. De plus, il faut souvent faire la part des choses entre les dires du salarié qui vient vous voir et ceux de son chef. Une action juridique n'est pas toujours la meilleure solution. De très nombreux problèmes peuvent être résolus à condition que les gens en parlent et se parlent.
Exemple vécu : j'ai mis en arrêt maladie une salarié, qui avait de tels problèmes, avec comme conditions de reprise du travail son changement de poste. Il s'est avéré qu'après ce changement, la personne s'est épanouie et a vu son stress disparaître.

Q : Que penser du mi temps thérapeutique ?
R : Ce doit être une réadaptation au travail à temps complet. En aucun cas il ne doit être utilisé comme une demi mesure d'arrêt de travail, et doit avoir une durée relativement brève (généralement moins d'un mois, exceptionnellement jusqu'à 6 mois, alors qu'actuellement on constate des abus jusqu'à 1 an). Sinon, l'arrêt de travail ou la mise en invalidité est plus adaptée. Ce ne doit pas être une mise à temps partiel de fait payée temps complet.

EXPERIENCE VECUE :
"Le mi-temps thérapeutique peut être séduisant dans la mesure où il permet d'éviter des temps de transport, et la fatigue qui va avec.
La meilleure formule consisterait à travailler par exemple 2 jours une semaine, 3 jours la semaine suivante. En terme de business ce n'est valable que si la mission du collaborateur est revue à la baisse.
Mon médecin du travail y à incité mon manager. Dans la réalité c'était moins évident : je travaillais souvent 10h par jours, avec le sentiment presque permanent de perdre pied par rapport à la tâche à réaliser.
Ce mode de travail ne peut s'appliquer qu'à un employé dont le travail est bien défini dans un créneau qu'il est en mesure de le respecter.
Financièrement, c'est une période difficile dans la mesure où il n'y a pas subrogation entre l'employeur et la Sécu.
N'ayant pas connaissance de cette situation. Je suis restée longtemps avec un demi salaire, la Sécu et le service du personnel se renvoyant la balle sur la façon de remplir les différents formulaires nécessaires. Mon banquier bien entendu s'en est mêlé et j'ai dû faire intervenir une assistante sociale d'IBM pour que l'on m'accorde un prêt (sans intérêt de la part du CE) et une avance du service paie pour essayer d'endiguer le flot de problèmes.
Si je devais revivre la même un arrêt maladie sur une plus longue période serait préférable à une reprise du travail dans de telles conditions."

Q : Ne serait il pas utile pour les syndicalistes d'être formés à la gestion des crises entre les personnes, et à la gestion du stress ? Les syndicalistes ont ils un rôle à jouer dans la prévention du stress ?
R : La première chose à faire est un état des lieux. Modifier l'ambiance de travail d'une équipe est souvent une gageure, Lorsqu'un stressé et un stresseur travaillent ensemble, la meilleure solution est de les séparer. Il est difficile de changer l'attitude des gens. Le rôle du syndicaliste, qui est sur le terrain, est de proposer des solutions. Depuis quelques années, on assiste à une évolution radicale des comportements au travail, et d'une dégradation des relations humaines dans les entreprises. Les comportements sont de plus en plus individualistes. Les relations entre individus, de plus en plus impersonnelles sont plus fréquemment qu'avant source de stress, et à l'origine de conflits.

Q : On rencontre souvent dans le travail, parfois même en dehors de l'entreprise, des attitudes d'agressivité génératrices de stress. Comment s'en prémunir ?
R : Son propre comportement peut induire l'agressivité. L'agression peut être muette. Chacun doit bien analyser son propre comportement avec les autres et ses conséquences.
Nota : La plupart des affaires pourraient se régler si les gens étaient amenés à véritablement se parler. Comme il y a actuellement très peu de jurisprudences sur le sujet, les cabinets d'avocat auront tendance à amener l'affaire au tribunal dans l'espoir de gagner (ce qui n'a rien de garanti - il est souhaitable dans ce cas que l'avocat soit rémunéré sur les gains obtenus au procès-), mais aussi pour faire avancer cette jurisprudence.

Q : Dans les activités manuelles ou techniques, on peut parler d'aptitude ou d'inaptitude au poste. Ne peut on pas de la même manière parler d'inaptitude psychologique à un poste, en particulier pour les activités administratives ?
R : Ce peut être une arme à double tranchant, et risque d'être interprété comme discriminatoire. Le seul jugement possible est l'aptitude ou non au travail ou à un poste, généralement temporaire. Si une inaptitude est reconnue définitive, le résultat est généralement le licenciement.

Q : Le harcèlement peut aussi exister du subordonné vers le supérieur hiérarchique. Le médecin du travail étant payé par l'entreprise, quelles sont ses limites?
R : Le médecin du travail doit se contenter de collecter et attester des faits, tout en tenant compte du secret médical. Le médecin du travail est salarié, en même temps conseiller des salariés, de l'employeur et du CHSCT. Il doit donner son point de vu sans plus. C'est toute la difficulté.

Les règles pour quelqu'un qui constate être harcelé :
1°) Contacter un délégué syndical, qui connaît bien le milieu et pourra faire une première analyse de la situation
2°) Voir le médecin du travail, avec l'aide éventuelle du DS et lui exposer le problème.
3°) Communiquer avec les collègues, parlez-en avec eux. Surtout ne pas s'isoler et ne pas laisser le harcelé s'isoler.
4°) Signaler les faits par écrit à la hiérarchie pour officialiser les faits.

 

A NOTER : L'observatoire du Stress, mis en place par notre collègue le Dr Salengro salengro@cfecgc.fr

 

HB