INTERVENTION
DE LUDGER RAMME
J'ai 38 ans, je suis avocat et je travaille pour la ULA
(confédération allemande des cadres supérieurs
et dirigeants) dont je suis secrétaire général.
Je suis également secrétaire général adjoint
de la CEC.
Le syndicalisme allemand est dominé par le DGB, qui est membre
de la CES.
Ses racines remontent aux dernières décades du XIXème
siècle, avec les grandes usines de production.
Il a beaucoup grandi dans les années 20 et a atteint un haut
degrés d'organisation.
Le pourcentage d'adhésion est plus important que dans les autres
pays européens, et par exemple dans la métallurgie, l'IG-metal
réunit plus de 30% des ouvriers.
Les syndicats ne reçoivent aucune subvention de l'état
et sont uniquement financés par les cotisations des adhérents.
Toutefois, on observe actuellement une diminution des adhésions,
et la question de l'avenir des syndicats et leur utilité pour
leurs adhérents est posée.
En ce qui concerne le syndicalisme des cadres, la culture est tout à
fait différente : il s'agit d'un mouvement à part du syndicalisme
traditionnel. Ses racines remontent aux années 20, dans la chimie,
les mines et l'énergie.
A cette époque se sont formées des associations de cadres
supérieurs et dirigeants, pour défendre les niveaux de
salaires et une représentation collective. La défense
des autres cadres était assurée par les organisations
syndicales classiques.
En Allemagne, on parle des "cadres" comme d'un 3ème
facteur.
La composante la plus importante de la ULA est le secteur "chimie"
avec près de 28.000 membres, avec un très fort esprit
syndical.
Il y a ensuite le secteur "énergie/mines/gaz et pétrole",
vient ensuite le secteur des services et de l'électromécanique.
soit au total environ 50.000 membres, et un taux d'adhésion d'environ
10% des cadres supérieurs et dirigeants.
Toutefois, 1/3 de nos membres sont des cadres payés au delà
du plafond des conventions collectives, mais n'ont pas encore le titre
de cadre supérieur.
Nota : les conventions collectives
allemandes couvrent les salariés jusqu'à un plafond de
ressource, un peu à l'image du plafond de notre sécurité
sociale, à la différence près que ceux qui sont
au dessus de ces salaires sont en dehors des conventions collectives.
Actuellement, le DGB craint que la ULA se retrouve en
concurrence avec eux. Ces craintes ne sont pas fondées, car nos
membres n'auraient jamais intégré leur syndicats et vice-versa.
Les relations sont encore fraîches, mais en cours d'amélioration,
surtout du fait des contacts au niveau européen.
La ULA offre à ses membres une assistance juridique et des enquêtes
de salaires car, les salaires des cadres supérieurs sont hors
convention et il faut les négocier individuellement.
En Allemagne, l'équivalent du comité d'entreprise ne représente
pas les cadres supérieurs, qui ont un "comité de
porte-parole" car ils ne peuvent pas être élus ni
défendu par les C E.
La ULA assure également la représentation des cadres au
niveau politique (lois, retraite mutuelle, retraite privée, projets
fiscal, projets européens...)
Chaque pays européen a ses traditions, son histoire, et on peut
observer des différences entre les cultures : latines comme la
France ou l'Espagne, d'autre rattachées des traditions liées
à l'Europe centrale de l'ancien Empire Romain Germanique, ou
des traditions scandinaves, dans lesquels les cadres sont beaucoup plus
proches des employeurs.
Toutefois, ces différences indéniables recouvrent aussi
des valeurs communes, et je suis très optimiste pour le succès
grandissant de la CEC dans les années qui viennent.
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QUESTIONS DES PARTICIPANTS :
Q : En parallèle de la CEC,
dont l'activité est surtout axée autour de la commission
de Bruxelles, peut-on envisager un véritable syndicalisme européen,
par exemple en développant la communication entre les militants
syndicaux de tous les pays européens, en particulier avec l'utilisation
d'internet?
De plus, le syndicalisme cadre ne devrait il pas devenir le leader du
syndicalisme en Europe ?
R : Il est indispensable en effet
que naisse un véritable syndicalisme européen. Nous avions
en effet besoin d'un réseau européen. Chaque jour, on apprend
par la presse de nouvelles fusions d'entreprises qui concernent plusieurs
pays.
Ces fusions entraînent de nombreux problèmes pour nos membres
concernés, et nous devons nous poser la question sur ce que nous
pouvons faire pour les aider. Bloquer ces évolutions n'est sûrement
pas une bonne solution, mais on peut essayer de faire évoluer les
choses dans une meilleure direction. Internet est l'outil qui peut nous
permettre de mieux être informés, et nous aider dans cette
tâche, en permettant le développement d'un réseau
de syndicats et d'associations de cadres.
Q : Au lieu de suivre le mouvement
général de mondialisation, ne pourrait on pas anticiper
et nouer des relations avec nos collègues des autres pays au moins
sur le plan européen ?
Les staffs de patrons américains ont un réseau efficace.
Il n'y a pas de raison pour que nous ne puissions pas mettre en place
un réseau aussi efficace. Chez NCR, on a mis deux ans pour construire
un comité européen et commencer à se connaître.
Au bout de 2 ans, les un n'avaient plus de mandat, les titulaires des
postes tournaient, alors qu'en face de nous, les représentants
des patrons étaient stables, et notre réseau est de ce fait
toujours inexistant.
Autre difficulté, en particulier pour le syndicalisme cadre, la
recherche des homologues dans les entreprises d'un même groupe sur
le plan européen. La ULA peut elle nous aider dans cette recherche
?
R : Si en France ou en Allemagne,
le syndicalisme cadre est assez bien représenté au moins
dans certains secteurs, ça n'est pas vrai partout. En plus en Allemagne,
il s'agit de cadres supérieurs, très individualistes. Mais
même chez nous, certains secteurs ne sont pratiquement pas syndicalisés
; par exemple en informatique ou même la DGB a beaucoup de difficulté
à recruter.
A la ULA, on vient de lancer le "FORUM MEDIA COM" pour essayer
de lancer une nouvelle fédération axée sur les activités
informatiques. avec un réseau internet et des réunions telles
que la votre. Il est certain que le modèle du syndicalisme classique
n'est plus attractif pour les jeunes, et qu'il faut imaginer de nouveaux
services et de nouveaux modes de fonctionnement.
Q : Bayer A G organise la semaine
prochaine son "EUROPA FORUM". A ce jour, aucun cadre allemand
n'y a participé. Ne serait ce pas une occasion à saisir
pour les cadres allemands ? A cette occasion, il est prévu de demander
à la direction du groupe un espace dans l'intranet du groupe pour
le comité européen, les offres d'emploi du groupe, la possibilité
d'échanges entre salariés et entre syndicats et salariés.
Depuis la semaine dernière, l'ensemble des salariés ayant
un PC à leur disposition ont accès non seulement à
l'intranet global du groupe, mais aussi gratuitement à Internet.
La direction française du groupe a accepté de mettre des
ordinateurs dans les salles de pose à la disposition des salariés
qui n'en seraient pas pourvus.
R : Le représentant de la ULA
à la direction générale de Bayer Leverkusen est à
l'origine de cet accès à internet. Bayer est en effet un
pionnier dans le domaine.
Q : Quel est le temps de travail
réel en Allemagne, et quels problèmes rencontrez vous avec
la diminution du temps de travail ?
R : La ULA représente uniquement
les cadres supérieurs, dont la conception du travail est essentiellement
basée sur une mission. Les horaires sont souvent au delà
de 50 heures hebdomadaires. ¨Parler de 35 heures à ce niveau
n'est pas imaginable.
Q : Quid de l'utilisation de l'intranet
des entreprises à des fins syndicales ?
R : En Allemagne, le problème
de l'utilisation de l'intranet ne se pose pas de la même façon
qu'en France, du fait de la tradition germanique, où les relations
patronat syndicat ont un caractère essentiellement contractuel,
alors qu'en France, ils ont plus souvent un caractère conflictuel
et idéologique. Il existe un "partenariat social", allant
jusqu'à la "cogestion". Les partenaires sociaux participent
à la prise de décision, et sont de ce fait co-responsables
pour l'entreprise. L'IG Metal qui a des tendances plus idéologiques
peut apparaître comme une exception. En conséquence, le patronat
est beaucoup plus ouvert aux propositions des partenaires sociaux.
Toutefois, le phénomène de globalisation et l'augmentation
des investissements américain risque de mettre cette culture en
danger.
Q : En dehors des "cadres supérieurs
et dirigeants", comment cela se passe pour les autres niveaux de
l'encadrement ? en particulier pour ce qui est du temps de travail ?
R : Même pour les cadres supérieurs,
on constate une charge de travail qui s'accroît d'année en
année, et on commence à être attentif, car on ne peut
pas diminuer en permanence les effectifs et exiger plus de performances.
La réduction du temps de travail uniforme telle que celle des 35
heures est perverse, car elle ne tient pas compte de la situation globale.
Ce fait a été souligné il y a deux semaines par le
dirigeant de la DGB, qui admettait que dans certains cas, il peut être
nécessaire au contraire d'augmenter le temps de travail pour rester
compétitif sur le plan mondial. Le thème des 35 heures n'est
plus à l'ordre du jour en Allemagne.
Q : Les 35 heures étaient
un thème essentiellement politique à des fins électorales.
Mais pour revenir à la situation en Allemagne, quel a été
l'effet de la très importante réduction du temps de travail
chez Volkswagen, et qui en est sorti gagnant ?
R : L'usine Volkswagen est installée
dans une ville construite autour de l'usine (Volksburg). Le premier effet
de cette diminution du temps de travail dans les usines Volkswagen a été
la faillite de l'ensemble des petites entreprises et des artisants réalisant
les travaux d'entretien de batiment, du fait que les employés de
l'usine avaient du temps pour réaliser eux même les travaux
d'entretien de leur maison. Cette réduction du temps de travail
a été une bonne solution ponctuelle à l'époque
pour sauvegarder les emplois à l'usine Volkswagen, mais dans le
cas d'une économie qui tourne bien, la réduction à
35 heures n'est pas une bonne solution, même pour la France, car
réduction du temps de travail ne signifie pas partage du travail.
Q : Dans l'automobile, il nous semble
que le phénomène d'externalisation (hors du pays) a été
plus important en Allemagne qu'en France. Par contre ici, le phénomène
risque de prendre la même ampleur. A la différence près,
qu'ici, les solution ne sont pas négociées de la même
manière qu'en Allemagne.
R : Le problème vient souvent
de la rigidité de tous nos syndicats. Les bonnes solutions doivent
être adaptables au cas par cas, usine par usine. A nous d'inventer
ces solutions flexibles.
H B
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