RENCONTRE DU 8 JUIN 2000
Invité : M. LUDGER RAMME
SECRETAIRE GENERAL DE LA ULA

 

INTERVENTION DE LUDGER RAMME

J'ai 38 ans, je suis avocat et je travaille pour la ULA (confédération allemande des cadres supérieurs et dirigeants) dont je suis secrétaire général. Je suis également secrétaire général adjoint de la CEC.
Le syndicalisme allemand est dominé par le DGB, qui est membre de la CES.
Ses racines remontent aux dernières décades du XIXème siècle, avec les grandes usines de production.
Il a beaucoup grandi dans les années 20 et a atteint un haut degrés d'organisation.
Le pourcentage d'adhésion est plus important que dans les autres pays européens, et par exemple dans la métallurgie, l'IG-metal réunit plus de 30% des ouvriers.
Les syndicats ne reçoivent aucune subvention de l'état et sont uniquement financés par les cotisations des adhérents.
Toutefois, on observe actuellement une diminution des adhésions, et la question de l'avenir des syndicats et leur utilité pour leurs adhérents est posée.
En ce qui concerne le syndicalisme des cadres, la culture est tout à fait différente : il s'agit d'un mouvement à part du syndicalisme traditionnel. Ses racines remontent aux années 20, dans la chimie, les mines et l'énergie.
A cette époque se sont formées des associations de cadres supérieurs et dirigeants, pour défendre les niveaux de salaires et une représentation collective. La défense des autres cadres était assurée par les organisations syndicales classiques.
En Allemagne, on parle des "cadres" comme d'un 3ème facteur.
La composante la plus importante de la ULA est le secteur "chimie" avec près de 28.000 membres, avec un très fort esprit syndical.
Il y a ensuite le secteur "énergie/mines/gaz et pétrole", vient ensuite le secteur des services et de l'électromécanique. soit au total environ 50.000 membres, et un taux d'adhésion d'environ 10% des cadres supérieurs et dirigeants.
Toutefois, 1/3 de nos membres sont des cadres payés au delà du plafond des conventions collectives, mais n'ont pas encore le titre de cadre supérieur.

Nota : les conventions collectives allemandes couvrent les salariés jusqu'à un plafond de ressource, un peu à l'image du plafond de notre sécurité sociale, à la différence près que ceux qui sont au dessus de ces salaires sont en dehors des conventions collectives.

Actuellement, le DGB craint que la ULA se retrouve en concurrence avec eux. Ces craintes ne sont pas fondées, car nos membres n'auraient jamais intégré leur syndicats et vice-versa.
Les relations sont encore fraîches, mais en cours d'amélioration, surtout du fait des contacts au niveau européen.
La ULA offre à ses membres une assistance juridique et des enquêtes de salaires car, les salaires des cadres supérieurs sont hors convention et il faut les négocier individuellement.
En Allemagne, l'équivalent du comité d'entreprise ne représente pas les cadres supérieurs, qui ont un "comité de porte-parole" car ils ne peuvent pas être élus ni défendu par les C E.
La ULA assure également la représentation des cadres au niveau politique (lois, retraite mutuelle, retraite privée, projets fiscal, projets européens...)
Chaque pays européen a ses traditions, son histoire, et on peut observer des différences entre les cultures : latines comme la France ou l'Espagne, d'autre rattachées des traditions liées à l'Europe centrale de l'ancien Empire Romain Germanique, ou des traditions scandinaves, dans lesquels les cadres sont beaucoup plus proches des employeurs.
Toutefois, ces différences indéniables recouvrent aussi des valeurs communes, et je suis très optimiste pour le succès grandissant de la CEC dans les années qui viennent.


QUESTIONS DES PARTICIPANTS :

Q : En parallèle de la CEC, dont l'activité est surtout axée autour de la commission de Bruxelles, peut-on envisager un véritable syndicalisme européen, par exemple en développant la communication entre les militants syndicaux de tous les pays européens, en particulier avec l'utilisation d'internet?
De plus, le syndicalisme cadre ne devrait il pas devenir le leader du syndicalisme en Europe ?
R : Il est indispensable en effet que naisse un véritable syndicalisme européen. Nous avions en effet besoin d'un réseau européen. Chaque jour, on apprend par la presse de nouvelles fusions d'entreprises qui concernent plusieurs pays.
Ces fusions entraînent de nombreux problèmes pour nos membres concernés, et nous devons nous poser la question sur ce que nous pouvons faire pour les aider. Bloquer ces évolutions n'est sûrement pas une bonne solution, mais on peut essayer de faire évoluer les choses dans une meilleure direction. Internet est l'outil qui peut nous permettre de mieux être informés, et nous aider dans cette tâche, en permettant le développement d'un réseau de syndicats et d'associations de cadres.

Q : Au lieu de suivre le mouvement général de mondialisation, ne pourrait on pas anticiper et nouer des relations avec nos collègues des autres pays au moins sur le plan européen ?
Les staffs de patrons américains ont un réseau efficace. Il n'y a pas de raison pour que nous ne puissions pas mettre en place un réseau aussi efficace. Chez NCR, on a mis deux ans pour construire un comité européen et commencer à se connaître. Au bout de 2 ans, les un n'avaient plus de mandat, les titulaires des postes tournaient, alors qu'en face de nous, les représentants des patrons étaient stables, et notre réseau est de ce fait toujours inexistant.
Autre difficulté, en particulier pour le syndicalisme cadre, la recherche des homologues dans les entreprises d'un même groupe sur le plan européen. La ULA peut elle nous aider dans cette recherche ?
R : Si en France ou en Allemagne, le syndicalisme cadre est assez bien représenté au moins dans certains secteurs, ça n'est pas vrai partout. En plus en Allemagne, il s'agit de cadres supérieurs, très individualistes. Mais même chez nous, certains secteurs ne sont pratiquement pas syndicalisés ; par exemple en informatique ou même la DGB a beaucoup de difficulté à recruter.
A la ULA, on vient de lancer le "FORUM MEDIA COM" pour essayer de lancer une nouvelle fédération axée sur les activités informatiques. avec un réseau internet et des réunions telles que la votre. Il est certain que le modèle du syndicalisme classique n'est plus attractif pour les jeunes, et qu'il faut imaginer de nouveaux services et de nouveaux modes de fonctionnement.

Q : Bayer A G organise la semaine prochaine son "EUROPA FORUM". A ce jour, aucun cadre allemand n'y a participé. Ne serait ce pas une occasion à saisir pour les cadres allemands ? A cette occasion, il est prévu de demander à la direction du groupe un espace dans l'intranet du groupe pour le comité européen, les offres d'emploi du groupe, la possibilité d'échanges entre salariés et entre syndicats et salariés. Depuis la semaine dernière, l'ensemble des salariés ayant un PC à leur disposition ont accès non seulement à l'intranet global du groupe, mais aussi gratuitement à Internet. La direction française du groupe a accepté de mettre des ordinateurs dans les salles de pose à la disposition des salariés qui n'en seraient pas pourvus.
R : Le représentant de la ULA à la direction générale de Bayer Leverkusen est à l'origine de cet accès à internet. Bayer est en effet un pionnier dans le domaine.

Q : Quel est le temps de travail réel en Allemagne, et quels problèmes rencontrez vous avec la diminution du temps de travail ?
R : La ULA représente uniquement les cadres supérieurs, dont la conception du travail est essentiellement basée sur une mission. Les horaires sont souvent au delà de 50 heures hebdomadaires. ¨Parler de 35 heures à ce niveau n'est pas imaginable.

Q : Quid de l'utilisation de l'intranet des entreprises à des fins syndicales ?
R : En Allemagne, le problème de l'utilisation de l'intranet ne se pose pas de la même façon qu'en France, du fait de la tradition germanique, où les relations patronat syndicat ont un caractère essentiellement contractuel, alors qu'en France, ils ont plus souvent un caractère conflictuel et idéologique. Il existe un "partenariat social", allant jusqu'à la "cogestion". Les partenaires sociaux participent à la prise de décision, et sont de ce fait co-responsables pour l'entreprise. L'IG Metal qui a des tendances plus idéologiques peut apparaître comme une exception. En conséquence, le patronat est beaucoup plus ouvert aux propositions des partenaires sociaux.
Toutefois, le phénomène de globalisation et l'augmentation des investissements américain risque de mettre cette culture en danger.

Q : En dehors des "cadres supérieurs et dirigeants", comment cela se passe pour les autres niveaux de l'encadrement ? en particulier pour ce qui est du temps de travail ?
R : Même pour les cadres supérieurs, on constate une charge de travail qui s'accroît d'année en année, et on commence à être attentif, car on ne peut pas diminuer en permanence les effectifs et exiger plus de performances. La réduction du temps de travail uniforme telle que celle des 35 heures est perverse, car elle ne tient pas compte de la situation globale. Ce fait a été souligné il y a deux semaines par le dirigeant de la DGB, qui admettait que dans certains cas, il peut être nécessaire au contraire d'augmenter le temps de travail pour rester compétitif sur le plan mondial. Le thème des 35 heures n'est plus à l'ordre du jour en Allemagne.

Q : Les 35 heures étaient un thème essentiellement politique à des fins électorales. Mais pour revenir à la situation en Allemagne, quel a été l'effet de la très importante réduction du temps de travail chez Volkswagen, et qui en est sorti gagnant ?
R : L'usine Volkswagen est installée dans une ville construite autour de l'usine (Volksburg). Le premier effet de cette diminution du temps de travail dans les usines Volkswagen a été la faillite de l'ensemble des petites entreprises et des artisants réalisant les travaux d'entretien de batiment, du fait que les employés de l'usine avaient du temps pour réaliser eux même les travaux d'entretien de leur maison. Cette réduction du temps de travail a été une bonne solution ponctuelle à l'époque pour sauvegarder les emplois à l'usine Volkswagen, mais dans le cas d'une économie qui tourne bien, la réduction à 35 heures n'est pas une bonne solution, même pour la France, car réduction du temps de travail ne signifie pas partage du travail.

Q : Dans l'automobile, il nous semble que le phénomène d'externalisation (hors du pays) a été plus important en Allemagne qu'en France. Par contre ici, le phénomène risque de prendre la même ampleur. A la différence près, qu'ici, les solution ne sont pas négociées de la même manière qu'en Allemagne.
R : Le problème vient souvent de la rigidité de tous nos syndicats. Les bonnes solutions doivent être adaptables au cas par cas, usine par usine. A nous d'inventer ces solutions flexibles.

H B