RENCONTRE DU 2 MARS 2000
Invité : M. JEAJOT
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INTERVENTION DE Mme MARIE-CHRISTINE OGHLY
Présidente de la Délégation des Hauts-de-Seine des " Femmes Chefs d'Entreprises "


Salariée chez ELF pendant quelques mois, j'avais l'impression de démarrer quelque chose sans savoir comment cela allait aboutir. Puis pendant 5 ans j'ai travaillé dans une PME (de 20 personnes) qui démarrait en France dans le domaine des logiciels informatiques.
Les actionnaires ayant changé on m'a demandé au pied levé de remplacer le directeur partant. J'avais 29 ans et pas d'expérience de direction.
Me retrouvant avec mes anciens collègues à la tête de l'entreprise, je n'ai pas eu une attitude de chef d'entreprise telle que vous pouvez la concevoir ou telle que j'avais pu la connaître chez ELF.
J'ai quitté cette société pour créer la mienne en 1992. J'ai toujours gardé l'esprit d'équipe.
J'ai rejoint l'association des Femmes Chefs d'Entreprises en 1994.

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INTERVENTION DE Mme MARTINE JOLY
Présidente Nationale des Femmes Chefs d'Entreprises.

Notre Association :
Elle
a été créée en 1945 (époque où la création d'une association de femmes était interdite) par Mme FOUANANT.
Elle a été obligée d'y intégrer des syndicats dirigés par des hommes. Mme FOUANANT a eu l'idée de créer à Paris cette association car elle avait été amenée a reprendre en 1924 une entreprise familiale de Maître de Forge suite au décès de parents.
En 1945, elle a considéré que les femmes allaient se retrouver dans la même situation qu'après la guerre de 14-18. Se souvenant des difficultés rencontrées et forte de son expérience, elle a souhaité créer une association pour aider les femmes qui se trouvent à la tête d'entreprises malgré elles et, sans y être préparées.
Très vite la délégation de Marseille a été créée, puis celle de Bordeaux.
Aujourd'hui nous sommes 40 délégations en France (DOM-TOM compris).
Ensuite elle a créée d'autres délégations au plan européen. La Belgique puis l'Allemagne en 1950.
Elle avait su faire L'Europe.
Elle a été la première femme à entrer à la Chambre de Commerce de Paris, la première femme pour qui on a créé un siège au CNPF.
Une femme remarquable qui s'est battue pour les employés, pour la formation.
Elle a essayé de développer l'apprentissage.
En résumé une femme précurseur. Aujourd'hui on n' a pas vraiment changé d'objet ; nous sommes des militantes patronales dans les organisation paritaires. Marie-Christine OGHLY siège au TASS, moi-même, je suis Présidente des ASSEDIC de Paris. J'ai été Conseiller Prud'homme pendant 15 ans. Je suis administrateur du GARP.
L'association représente 400 mandats.
Ce sont des femmes qui sont responsables financièrement de leur entreprise. On a un faible pourcentage de femmes cadres supérieurs ayant des responsabilités de dirigeants.
Actuellement nous comptons 3.000 membres en France, essentiellement des PME (entre 10 et 20 salariés).
Les femmes qui adhérent aujourd'hui à notre mouvement ont plutôt des entreprises presque sans salariés (car elles démarrent) dans des domaines d'expertise ou de nouvelles technologies. Mais créer son emploi aujourd'hui c'est déjà intéressant.

Nous sommes présentes dans 34 pays sur les 5 continents : Europe, Etats-Unis, Canada, et même l'Afrique où nous sommes très représentées. L'Asie plus difficilement, car au Japon les femmes Chefs d'Entreprises commencent seulement. Nous nous retrouvons une fois par an dans le cadre d'un congrès mondial.
En France nous organisons un congrès tous les 2 ans. Il aura lieu en Novembre à Reims, avec comme thème " Le Tutorat et l'Apprentissage ". Au congrès mondial nous abordons des thèmes plus généraux.
Notre population des Femmes Chefs d'Entreprises exporte aujourd'hui à hauteur de 30% à 40%. Cela leur permet de voir ce qui se fait ailleurs, de découvrir certains marchés. C'est une ouverture vers le monde extérieur.

Notre organisation :
Nous sommes toutes bénévoles. Nous n'avons aucune subvention, nous nous auto-gérons avec les cotisations des membres.
La cotisation moyenne est de 600 Frs. Nous avons voulu volontairement des cotisations faibles pour permettre à tout le monde, y compris à des commerçantes, d'y accéder.
Au niveau national la structure est composée d'un bureau de 10 personnes et de chargées de missions. Exemple : SOS Prud'homme, Commissions Internet, Europe, Congrès. Les 40 Présidentes de Délégation se réunissent en Comité 4 fois par an.
Les décisions sont proposées et en principe adoptées presque à l'unanimité.
Aujourd'hui les femmes représentent 6% des mandats alors que les Femmes Chefs d'Entreprise représentent 27% de la population des chefs d'entreprise (30% en création). Aux Etats-Unis elles sont 52% en création d'entreprises. Une grosse partie de l'emploi est créée par des femmes aux USA, alors que les chefs d'entreprises hommes ont stagné dans le recrutement. Moralité pour régler le problème de l'emploi il faut que les femmes créent des entreprises.

En France on est en train de se rendre compte que l'emploi est créé par les PME-PMI.
Depuis le début de l'année 5 chefs d'entreprises de secteurs aussi différents que la cartographie, le textile avec, des effectifs de 60 à 80 personnes sont venues me voir pour dépôt de bilan, sans possibilité de faire un plan de continuation car les 35 heures les laminent.
C'est dommage de voir des fleurons disparaître. J'estime qu'on a perdu des cadres de valeur, d'expérience, dévouées à leur métier.
Je suis choquée lorsque je vois que l'accord de Mme AUBRY permet par le programme ADI, le départ à 52,5 ans. Je me suis investie dans le paritarisme car j'avais envie de connaître notre organisation en France sans l'apprendre par les journaux.

J'ai une entreprise d'audit de 30 personnes.
L'auditeur financier ne regarde pas toujours ce qui se passe au plan social. Un peu plus actuellement, car on est amené à examiner les problèmes d'organisation du travail dus à la RTT.
J'ai voulu faire un audit social quand je suis arrivée aux ASSEDIC de Paris. Il y a aujourd'hui un problème de compétence.

La génération des plus de 50 ans est souvent composée de personnes peu diplômées qui se sont formées sur le terrain.
Elles ont tout donné, elles ont inventé, ont été astucieuses. C'est dégradant pour ces personnes d'être remerciées à 49 ou 52 ans. Ces gens avaient un rôle à jouer dans notre société en aidant, les jeunes qui arrivent aujourd'hui et qui ne sont pas formés.
Les grandes écoles sont prisées.
Aux USA un débutant perçoit le double du salaire qu'il aurait en France ; et 25% de moins d'impôt.
On a manqué notre apprentissage. Si on avait mis en apprentissage certains jeunes à 14 ans ils auraient appris un métier. Ils n'auraient pas été en déshérence entre 14 et 16 ans parce que les études ne leur plaisent pas. Ils se seraient formés sur le terrain et aujourd'hui auraient pu nous remplacer. On a raté cette évolution. Pendant combien de temps va-t-on le payer ?

On n'a pas pris le temps de former les jeunes. On n'a pas pris le problème en amont.
A la SNCF la retraite est entre 50 et 55 ans. L'entreprise formait son personnel dans sa propre école, aujourd'hui ce n'est plus le cas.
Il y a des Bac +2 sur les quais. On se demande ce qu'ils font. Ils ne sont pas formés et ne le seront pas plus dans 5 ans.
Dans le même temps nos cadres de qualité sont partis, parfois dans des conditions difficiles.
Dans certaines branches, les cadres ont peut-être été un peu trop payés. Je pense, que si l'on avait dit à ces cadres ; on vous demande un effort, on ne vous licencie pas. On baisse votre salaire et vous vous engagez à former un jeune. 80% auraient été d'accord


QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Q : Responsable d'associations de parents d'élèvee, je rencontre nombre de familles qui refusent les orientations. Elles souhaitent que leurs enfants fassent un Bac généraliste.
R : La semaine dernière j'ai rencontré le Directeur de l'ANPE. La préoccupation prochainement ne sera pas le chômage mais le fait que les entreprises n'arrivent pas à recruter des jeunes formés. Certains enfants sont faits pour prendre une orientation technique. De grandes entreprises ont été fondées par des techniciens qui avaient un CAP. On sait dès la seconde si un enfant a la capacité à passer les concours des grandes écoles. Faire un bac S sans passer les concours ne sert à rien. Il est préférable dans ce cas de choisir des orientations plus techniques.
Nous ne sommes pas des féministes. Je suis à l'observatoire de la parité composé de 12 femmes et de 6 hommes. Nous ne sommes pas pour les quotas. Ce sont toujours les hommes qui m'ont poussé à prendre des responsabilités. Les femmes ont besoin d'être poussées car les titres ne les intéressent pas.

Q : J'ai écrit l'année dernière au Président de la République, à Lionel Jospin et à Laurent Fabius : " vous voulez faire la parité alors cédez votre place à une femme ". Je vous suggère pour la journée du 8 mars d'adresser la même lettre en précisant qu'il faudrait s'appliquer à soi-même les lois proposées. Votre discours n'est pas un discours féministe.
Au prix de la cotisation mentionnée tout à l'heure ne faut-il pas ajouter le coût de l'adhésion au MEDEF ? Car si le MEDEF vous accorde des postes qui lui sont dévolus je suppose qu'il y a une contre partie.
R : Nos membres paient une cotisation. Les délégations cotisent aux Unions Patronales, au MEDEF département et régional (à partir des cotisations des membres). Nous n'avons aucune structure, aucun permanent. La Présidente de Délégation (certaines comptant 80 chefs d'entreprise) qui organise un dîner mensuel sur un thème économique, fait en sorte que le dîner soit à un prix raisonnable pour tous. C'est notre volonté d'indépendance : pouvoir dire ce que l'on pense. Lorsque vous recevez des subventions, vous vous habituez à un certain train de vie et après vous n'avez plus la liberté de parole. Nous sommes plus connues des organisations socio-professionnelles que du public. Notre site Internet : www.fcem.com permettra peut-être aux Femmes Chefs d'Entreprises de nous rejoindre. Le but de ces femmes : créer de l'emploi. Je ne parle pas de parité mais de complémentarité. J'ai d'ailleurs monté mon Cabinet avec un camarade de promotion. Je crois que l'on a pas la même approche. Dans le contexte économique aujourd'hui la visibilité est de 6 mois pour les entreprises. La femme est un petit peu plus adaptée. L'homme a une vision à plus long terme. Cette complémentarité est bonne. Pourquoi faire un clivage homme/femme. Cette rivalité n'a pas lieu d'être.

Q : Il existe un effet pernicieux de la légalisation d'accès homme/femme. Les "écoles d'ingénieur pour jeunes filles" sont aujourd'hui devenues accessibles aux hommes. Leur niveau fait que les filles vont être complètement éliminées. Il n'y aura plus de formation spécifique d'ingénieur femme.
R : Dans les filières scientifiques (type Centrale ou X ) les femmes ne représentent pas plus de 30%, mais ce n'est déjà pas mal. Il n'y a pas très longtemps ce type d'école n'était pas ouvert aux femmes. On a tendance à cantonner les femmes dans les fonctions de DRH, dans les métiers de communication mais, elles prendront leur envol. Aux USA, on ne s'occupe pas de la race, du sexe, mais de la compétence. Les femmes ne doivent pas demander les postes et ne pas assumer les responsabilités. Aux ASSEDIC j'ai examiné des dossiers de femmes qui arrivaient à être au chômage pendant 3 ans en ayant eu 2 enfants. Ce n'est pas pour moi de la recherche de travail. Par contre il faut aider les femmes à avoir des structures qui leur permettent de faire correctement leur métier. Aux USA la garde d'enfants est déductible des impôts. Quand la déductibilité en a été revue, une femme m'a expliqué : "j'ai créé 7 emplois, j'ai 3 enfants,. Je vais fermer mon entreprise parce que coût de la garde mes enfants sera plus élevé que mon salaire".

Q : Ne faut il pas arrêter de faire des associations de femmes ? On est entrain de créer un apartheid féminin. En 1945 le paysage était différent. Aujourd'hui il faut avoir des soucis, des droits communs.
R : Toutes les femmes n'ont pas votre aisance pour s'exprimer. Notre association est une école qui permet aux femmes d'avoir des exemples concrets, de s'informer. Il n'y a pas de formation prévue pour être commissaire dans les instances. Les femmes sont beaucoup plus réservées. Elles ont besoin qu'on les accompagne pour se présenter aux élections de la Chambre de Commerce, aux Conseils des Prud'hommes. Il n'y a pas d'apartheid. Nous travaillons avec les Présidents de Chambre de Commerce, avec des hommes et cela se passe très bien. Si notre association est mondiale et continue à se développer c'est qu'il y a un besoin. Notre association a un objet bien précis : Former nos membres dans le cadre de la prise de mandat dans les organisations syndicales.

Q : Comment peuvent émerger des PME dirigées par une femme dans les pays musulmans ou en Afrique noire ?
R : Regardez les progrès qui ont été fait depuis 7 ans en Tunisie. Le Président Bourguiba a été un homme assez remarquable pour son temps, il a donné sa place à la femme. Mais il faut ajouter que les tunisiennes ont des entreprises superbes. En Mauritanie, le Ministre du Budget m'a dit : " nos femmes mauritaniennes ont réussi à faire venir dans notre pays 15 chefs d'entreprise en même temps. Il n'y a que les femmes pour réussir cela ". Ce sont les femmes qui bien souvent font marcher l'économie. Au Cameroun les femmes ont d'importantes entreprises dans le bâtiment. Il y a un espoir car certains pays produisent des femmes de qualité.

Q : Si dans certains pays islamistes les femmes sont autant réprimées, est-ce parce que les hommes ont peur ?
R : En 1975 j'ai fait partie d'une commission d'audit sur la réorganisation du complexe sidérurgique algérien. Pour la première fois un marabout invitait une femme à sa table. C'est un pays qui commençait à émerger. J'ai vu des intellectuelles algériennes venir se réfugier en France. 5 Femmes Chefs d'Entreprise sont venues dans le cadre d'un Congrès Mondial, elles nous ont dit avoir tous les jours peur de sortir. En Mauritanie les femmes ont un sens du commerce presque inné. La Présidente Mauritanienne a réuni 280 femmes pour créer 3.000M² de galerie marchande au milieu du désert. Dans ce pays où le taux d'intérêt est de 46% aucun banquier n'a voulu les aider. Elles ont réuni tout ce qu'elles possédaient. Aujourd'hui elles y vendent leurs produits artisanaux.

H B